Mon oncle, ce fardeau
LE MONARQUE DES OMBRES, PAR JAVIER CERCAS, TRADUIT DE L’ESPAGNOL PAR ALEKSANDAR GRUJIČIĆ, AVEC LA COLLABORATION DE KARINE LOUESDON, BABEL, 320 P., 8,80 EUROS.
Javier Cercas (photo) s’était juré de ne jamais écrire l’histoire de son grandoncle Manuel Mena, franquiste fervent, tué à 19 ans au cours de la bataille de l’Ebre, l’une des plus terribles de la guerre d’Espagne. Pour la mère de Cercas, cet oncle tombé au combat était un héros. Elle racontait son histoire à son fils, dans le secret espoir qu’il la raconterait à son tour. Mais l’écrivain était au contraire accablé par cette figure légendaire. Ecrire sur cet aïeul reviendrait à prendre en charge le passé politique de sa famille qui le faisait « rougir de honte ». Et pourtant, l’auteur d’« Anatomie d’un instant » finit par partir sur les traces de cet encombrant fantôme pour tenter de comprendre pourquoi il s’est engagé si jeune du côté de phalangistes et non auprès des républicains. Au terme de cette prodigieuse enquête en forme d’Odyssée, Javier Cercas ne fait le portrait ni d’un salaud ni d’un « monarque des ombres » régnant sur les Enfers, tel Achille, glorieux mort de « l’Iliade ». Il se contente de ramener son oncle dans le royaume des hommes. Et c’est un petit miracle littéraire.