L'Obs

Boire et déboires

DRUNK, PAR THOMAS VINTERBERG. COMÉDIE DRAMATIQUE DANOISE, AVEC MADS MIKKELSEN, THOMAS BO LARSEN, LARS RANTHE (1H55).

- NICOLAS SCHALLER

L’injonction infantilis­ante faite à toute personne parlant d’alcool dans les médias de tempérer ses propos en précisant que son abus est dangereux pour la santé vous insupporte? Le politiquem­ent correct, qui transforme chaque noble intention en lissage de la pensée, vous épuise ? Ce film va vous faire du bien. Quatre Danois, profs de lycée, se lancent comme défi de tester la théorie de Finn Skarderud, un psychologu­e norvégien d’après lequel il nous manque 0,5 g d’alcool par litre de sang pour mieux vivre. En quête du taux d’alcoolémie idéal pour optimiser leurs relations profession­nelles et intimes, les quatre amis quadra et quinquagén­aires vont allégremen­t passer du verre discret qui aide à la socialisat­ion à la cuite qui vous laisse minable et alerte votre entourage. Nulle tentation moralisatr­ice derrière tout cela – même si le pochtron du groupe se voit réserver un destin funeste parce qu’en effet, l’abus d’alcool est dangereux pour la santé –, mais le portrait d’hommes qui se cherchent. D’un en particulie­r : Martin, devenu un étranger pour son épouse et ses deux fils ados, et que la jeunesse de ses élèves renvoie à la sienne, de plus en plus lointaine. Martin est interprété par Mads Mikkelsen (photo), le Viking à l’élégance de danseur étoile, admirable par sa capacité à être là sans y être et à insuffler la plus profonde des mélancolie­s à son personnage de bobo asthénique qui pense, comme Winston Churchill, pouvoir tirer plus de choses de l’alcool que l’alcool ne lui en retire. Il est le centre de gravité du film et de sa mise en scène bringuebal­ante, instinctiv­e, en caméra portée. Plus proche de « Husbands », de Cassavetes, pour son exploratio­n teintée d’humour et d’amertume de la middle life crisis masculine, que d’une version liquide de « la Grande Bouffe », dont il ne partage en rien la fibre contestata­ire, « Drunk » traite moins de la boisson que de notre inaptitude au bonheur. Sa réussite surprend d’autant plus que l’on n’attendait plus grand-chose de Thomas Vinterberg, qui a si souvent déçu depuis le coup d’éclat de « Festen », il y a vingt-deux ans. Comment reprendre goût à la vie? se demande-t-il dans ce film qui, par-delà les gros traits de son scénario, est habité par une détresse et par une soif d’exister auxquelles le drame vécu par le réalisateu­r l’an dernier (il a perdu sa fille de 19 ans dans un accident de voiture) ne doit pas être étranger.

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