L'Obs

Pas touche à “la Recherche” !

LE CÔTÉ DE GUERMANTES, D’APRÈS MARCEL PROUST, M.E.S CHRISTOPHE HONORÉ. COMÉDIEFRA­NÇAISE AU THÉÂTRE MARIGNY, PARIS-8E ; 01-44-58-15-15, 20H30. JUSQU’AU 15 NOVEMBRE.

- JACQUES NERSON

Romancier, cinéaste, homme de théâtre, ayant connu de belles réussites dans ces trois domaines, Christophe Honoré n’a pas choisi la facilité pour ses débuts à la Comédie-Française. Il porte à la scène le troisième tome d’« A la recherche du temps perdu », le roman cyclopéen de Marcel Proust. Tentative non seulement téméraire mais, hélas ! perdue d’avance. Du moins jusqu’à preuve du contraire. D’autres que lui, en effet, et non des moindres, ont flanché en chemin (Joseph Losey, Luchino Visconti) ou s’y sont cassé les dents (Krzysztof Warlikowsk­i au théâtre, Volker Schlöndorf­f, Raoul Ruiz au cinéma). Bien qu’il prétende ne pas proposer une adaptation mais une lecture subjective de ce chefd’oeuvre, ce qu’il croit moins catégoriqu­e (en voyant le spectacle on saisit mal la différence), Christophe Honoré s’est efforcé de le théâtralis­er en supprimant l’essentiel de la partie narrative pour ne conserver que les dialogues. Ce qui revient à dessertir les pierres précieuses d’une parure ouvragée. A la fin, il reste d’un côté un petit tas de cailloux, de l’autre, une monture dégarnie. C’est la complète négation du génie de l’orfèvre. Ainsi désossée, « la Recherche » se disloque. Des tableaux sans suite se succèdent, où jacassent des personnage­s creux, surgis de nulle part. Léon Daudet disait de Proust qu’il avait su extraire des diamants (encore une comparaiso­n bijoutière) des « cendres salonnarde­s ». Ne subsiste ici que la matière vile, l’arrogante sottise des fin de race médisant des juifs pendant l’affaire Dreyfus.

Excepté quelques pépites, comme la scène que Charlus (Serge Bagdassari­an, magistral), bouffi d’orgueil, monté sur ses ergots comme un coq, fait au narrateur médusé (d’autant plus qu’il ne comprend pas qu’en réalité le baron le drague), ou encore le fameux épisode des souliers rouges de la duchesse, les Comédiens-Français déçoivent un peu. En particulie­r Laurent Lafitte qui fait, en duc de Guermantes, un numéro à la Valérie Lemercier sans rapport avec le snobisme du noble faubourg tel que décrit par Proust. Il ne suffit pas non plus de faire entendre du Cat Stevens ou du Sylvie Vartan pour moderniser « la Recherche ». Aux proustiens le spectacle n’apporte rien, il n’éveille pas plus d’écho chez les novices. Pourquoi ne pas s’incliner une fois pour toutes devant l’inaltérabi­lité de cet ouvrage ? Sa résistance à toute modificati­on n’est-elle pas la preuve de sa perfection absolue ? C’est un texte auquel on ne doit pas toucher.

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Loïc Corbery, Gilles David et Stéphane Varupenne.

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