L'Obs

Gardons la dette froide

- PAR PASCAL RICHÉ, JOURNALIST­E AU SERVICE IDÉES

Etonnant combien le thème de la dette peut soulever les passions. Lorsque le mois dernier le chiffre du déficit public pour 2023 a été publié (5,5 % du PIB), la fièvre a saisi tout ce que ce pays compte de commentate­urs. On a parlé de « perte de contrôle », de « gabegie », d’« hémorragie », la palme revenant au « Figaro » pour son titre apocalypti­que : « La France sur le toboggan de l’enfer ». Et Valérie Pécresse a ressorti son idée furieuse de « comité de la Hache », vestige de la fin des années 1930 ! Sans doute cette fébrilité tient-elle à notre culture chrétienne. Le pécheur-débiteur, le Messieréde­mpteur, « celui qui rachète » notre dette. Nietzsche a très bien analysé tout cela dans sa « Généalogie de la morale ». A noter qu’en allemand, le même mot, Schuld, désigne à la fois la dette et la faute. En araméen, la langue du Christ, aussi.

Certes, il serait naïf de nier le défi posé par l’endettemen­t public, qui dépasse 3 000 milliards d’euros (voir aussi p. 40). Mais il n’y a aucune raison de céder à la panique. Il vaut mieux respirer et se poser les bonnes questions. Pour commencer : quel est le problème ?

Potentiell­ement, il est double. D’abord, si la dette est appréciée quand on la crée (par exemple pour baisser les impôts des ménages riches ou soutenir l’économie bousculée par le Covid), il faut la rembourser, avec ses intérêts. Dans un budget, cette charge, c’est autant d’argent en moins pour les autres politiques : éducation, santé, transition écologique, etc.

Second problème : l’emballemen­t d’une dette peut conduire à une crise de solvabilit­é. Les prêteurs doutent alors brutalemen­t de la capacité de l’emprunteur à les rembourser. Cela se traduit par des taux d’intérêt très élevés et très pénalisant­s. La Grèce a vécu ce drame au début des années 2010.

Or, sur ces deux tableaux, n’en déplaise aux agités du toboggan de l’enfer, la France n’a pas trop à s’en faire. Si la dette a augmenté de 147 milliards en 2023, son poids relatif a baissé, notamment grâce à l’inflation. Elle est passée de 111,9 % à 110,6 % du PIB entre 2022 et 2023 (en 2021, elle était à 116 %).

La charge des intérêts reste modérée. Alors qu’elle était de 3,5% du PIB en 1997, elle atteint 1,8% aujourd’hui. En 2023, elle s’est même repliée de 2,6 milliards d’euros. Les projection­s alarmistes du gouverneme­nt (une dérive de cette charge d’ici à 2027) semblent surestimée­s. La hausse des taux d’intérêt s’étant arrêtée, le risque d’une explosion s’éloigne.

Quant au second risque, la crise de confiance, personne n’y croit une seconde sur les marchés (du moins à court terme). Les prêteurs restent friands de dette française. Les gesticulat­ions et cris de panique qui ont accompagné le chiffre de déficit de 5,5 % ne les ont pas impression­nés. La preuve, ces dernières semaines, les taux d’intérêt sont restés de marbre. Si les agences de notation Moody’s et Fitch décident, le 26 avril, de dégrader la note de la France, cela ne les troublera pas davantage.

La réduction de la dette publique est un défi complexe, qui doit se traiter sur le long terme. Ne pas comprendre ce principe, foncer tête baissée dans des programmes d’austérité, c’est la meilleure façon de faire souffrir les plus fragiles de la nation sans pour autant résoudre le problème visé. Alors que la croissance est faiblarde et que la Banque centrale européenne garde le pied enfoncé sur le frein, réduire les dépenses sans réfléchir, que ce soit au rabot ou à la hache, ne serait pas très malin. Les coupes que propose Bruno Le Maire pèseraient sur la croissance et donc sur les rentrées fiscales ; elles conduiraie­nt finalement au résultat inverse de celui recherché, à une augmentati­on du déficit. Le FMI met régulièrem­ent en garde contre de telles politiques contreprod­uctives. L’an dernier, ses experts ont calculé que seul un plan d’économies sur deux parvient à réduire le taux d’endettemen­t. Cela devrait calmer les bûcherons de Bercy.

Si la dette a augmenté de 147 milliards en 2023, son poids relatif a baissé, notamment grâce à l’inflation.

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