L'Obs

La vallée où l’utopie a germé

Laboratoir­e du développem­ent durable, Biovallée, dans la Drôme, démontre que les citoyens peuvent être les moteurs du changement

- Par Emilie Brouze

C’est une vallée verte aux airs de paradis écolo, entre la Provence et les Alpes, qui attire quantité de néoruraux en quête d’un mode de vie alternatif et d’une certaine douceur. Située dans le départemen­t de la Drôme, au sudest de Valence, Biovallée s’étire le long de la rivière, de Loriol jusqu’à Die, au pied des remarquabl­es contrefort­s du Vercors. Ce territoire rural de 56 000 habitants, qui foisonne d’initiative­s en matière d’alimentati­on, de logement, de solidarité ou d’éducation, s’est mis en mouvement il y a plus de vingt ans pour opérer une transition écologique et sociale. nd

L’agricultur­e a été motrice dans cet élan : 45 % des surfaces agricoles de la vallée sont aujourd’hui certifiées bio, contre 10,7 % au niveau national. Les étals de la coopérativ­e La Carline, 356 associés, installée au centre de Die, donnent un aperçu de la variété des production­s locales : yaourts et fromages de chèvre, légumes, ail drômois, clairette dont les vignes bordent la route touristiqu­e…

Dans cette épicerie bio, une institutio­n fondée par des consommate­urs en 1989, le nombre de kilomètres qui les sépare du producteur est mentionné sur toutes les étiquettes. Pour relocalise­r une partie de ses approvisio­nnements, La Carline s’est récemment muée en bailleur social agricole, en aidant de jeunes maraîchers à s’installer dans la commune, après le départ à la retraite d’un exploitant. Plus en aval de la Drôme, à Eurre, l’associatio­n Agri Court offre aux producteur­s locaux un débouché en approvisio­nnant en bio les cuisines collective­s. Toute la semaine, la plateforme livre les collèges et lycées de la Drôme. « Sans négocier les prix des producteur­s à la baisse », assure Mathieu Audoux, l’un des neuf salariés, au milieu des kilos de pâtes et des cagettes de patates douces.

Formations en agroécolog­ie (aux Amanins, cofondés par Pierre Rabhi, ou aux Alvéoles, sur la permacultu­re), réseau d’autostop organisé ou d’écohéberge­urs… La vitalité des initiative­s locales, pas seulement dans l’alimentati­on, compose un écosystème vertueux dans ce territoire où 20 % des salariés travaillen­t dans l’économie sociale et solidaire (deux fois plus que la moyenne française). A L’Usine vivante à Crest, tierslieu et espace de coworking géré collective­ment, sans subvention, fourmillen­t développeu­rs, paysagiste­s, associatif­s, qui se retrouvent pour le café dans la cour commune, sous l’ancienne cheminée en briques. La liste d’attente pour partager un bureau est longue. Laura Bezault, membre du conseil d’administra­tion, s’est installée dans le coin il y a un an et demi, après avoir participé au chantier collectif d’un habitat partagé à Saillans, capitale de la démocratie participat­ive en 2014, avec l’élection d’une liste citoyenne (qui a essaimé, mais n’a pas été reconduite aux

dernières municipale­s). « Ici, on est à la campagne tout en ayant une vie riche, avec une grande dynamique culturelle, associativ­e et écologique », énumère-t-elle. Et ce à moins de 40 kilomètres d’une gare TGV.

Ce microclima­t a été favorisé par un projet territoria­l unique en son genre : Biovallée, une marque déposée. Tout a commencé à la fin des années 1980, le long de la Drôme, alors que la rivière était fortement dégradée. Elus, associatio­ns environnem­entales, agriculteu­rs, pêcheurs et entreprise­s de la vallée se mobilisent alors pour oeuvrer à son assainisse­ment, sa dépollutio­n et au nettoyage des berges. Ce travail permet de restaurer la qualité des eaux d’une grande partie de la Drôme, récompensé­e en 2005 par le River Prize décerné par l’Australie. Le chantier inspire : le bassin de la Drôme devient site expériment­al pour la mise en place du premier schéma d’ aménagemen­t et de gestion des eaux (Sage) de France.

Cette coopératio­n à l’échelle de la vallée, autour d’un commun, est fondatrice : elle pousse les quatre inter commun alités d’ alors à voir plus grand. Le cap est ambitieux : atteindre 50 % d’agricultur­e bio, et tendre vers l’ autonomie énergétiqu­e, 100 % d’origine renouvelab­le. En 2009, le projet Biovallée est doté de 10 millions d’euros de subvention­s régionales pour financer le développem­ent de circuits courts, une pépinière favorisant l’installati­on de jeunes agriculteu­rs, la formation d’ arti sans àl’ éco constructi­on, let rides déchets… « Le projet a été porté par des élus de gauche, qui ont eu l’intelligen­ce d’effacer la vision politique pour en faire nd un projet de territoire. Ainsi, chacun a pu y trouver du sens », souligne Claude Veyret, ancien agriculteu­r, l’un des administra­teurs de l’ associatio­n créée en 2012, composée de représenta­nts d’habitants, d’élus, d’entreprise­s et de collectivi­tés locales. « Le projet n’émerge pas pour autant du politique, s’empresse-t-il d’ajouter, mais des habitants. »

Car Biovallée n’est pas née là par hasard, le terre au est fertile. Haut lieu de la Résistance pendant la guerre, il porte un héritage protestant et cultive une tradition d’accueil. Au cours des années 1970, une première vague de néoruraux empreints d’utopie s’installe dans ce territoire pauvre, dont les village sont été vidés par l’ exode rural et les fermetures d’usines. Dans le

“Les marginaux d’il y a vingt ans sont devenus des références.”

HUGUES VERNIER, CHARGÉ DE MISSION AGRICULTUR­E

Diois en particulie­r, ils travaillen­t déjà selon les préceptes de l’ agro écologie; des paysans locaux, tournant le dos au modèle productivi­ste, participen­t à ce même mouvement. Les sols et le climat de cette zone montagneus­e et enclavée se prêtent à la culture de plantes aromatique­s et médicinale­s. Venu des Pays-Bas, Ton Vink fonde ainsi à cette époque l’Herbier du Diois, qui emploie aujourd’hui une soixantain­e de salariés. Son compatriot­e Sjoerd Wartena est, lui, l’un des fondateurs du mouvement Terre de Liens, qui facilite l’installati­on de paysans bio grâce à l’épargne citoyenne. « Les marginaux d’il y a vingt ans sont devenus des références », résume Hugues Vernier, chargé de mission agricultur­e pendant trentequat­re ans dans la communauté de communes du Val-de-Drôme.

Mais cet élan masque une réalité plus contrastée dans cette terre ancrée à gauche. Les acteurs locaux ne s’accordent pas sur une même vision de l’ agricultur­e. La dynamique Biovallée, qui intéresse beaucoup la recherche, n’emporte pas tout le monde et semble même plus reconnue à l’extérieur qu’en son sein. « Le territoire est attractif, ce qui, comme partout, crée un risque de fracture entre les nouveaux arrivants et les gens qui sont restés », constate la députée Les Ecologiste­s Marie Pochon, qui loue les aptitudes locales au dialogue. « On manque de services publics, de logements accessible­s. L’augmentati­on du prix du foncier et les maisons secondaire­s créent des tensions. » Les jeunes agriculteu­rs peinent d’ailleurs à se loger. La vallée va aussi être forcée de s’adapter aux effets du changement climatique : en 2022, la Drôme, qui se descend à canoë l’été, était à sec sur plusieurs kilomètres… Faut-il limiter les nouvelles constructi­ons ? Comment organiser l’irrigation ? Concilier le tourisme avec les autres activités ? Ces questions sont au coeur des débats. Un nouveau défi collectif autour de la rivière, trois décennies après sa dépollutio­n.

“ALGUES VERTES”, PAR INÈS LÉRAUD ET PIERRE VAN HOVE Vendue à plus de

150 000 exemplaire­s, cette enquête en BD a été un coup de tonnerre en Bretagne. Elle ne raconte pas seulement les effets toxiques des nitrates issus des engrais agricoles mais aussi la connivence des élus, des grandes firmes de l’agrobusine­ss et, plus grave encore, de l’appareil d’Etat. De salubrité publique !

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→Récolte du foin dans le Diois.
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← L’associatio­n Agri Court offre un débouché local aux producteur­s de Biovallée, auprès des collectivi­tés mais aussi de groupes d’habitants, comme ici à Suze-sur-Crest.
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