L'Obs

“La Chine politise ses relations économique­s”

- Propos recueillis par Boris Manenti

Sébastien Jean, professeur d’économie au Conservato­ire national des Arts et Métiers et directeur associé à l’Institut français des Relations internatio­nales, décrypte les enjeux de la visite de Xi Jinping

Quels sont les enjeux économique­s de la rencontre entre Emmanuel Macron et Xi Jinping ?

Désormais toutes les relations internatio­nales sont structurée­s par la rivalité entre Etats-Unis et Chine. L’Union européenne (UE) subit des pressions croissante­s des Américains pour s’aligner sur leurs positions, la Chine réplique en politisant ses relations économique­s. L’enjeu est majeur car l’Europe se veut une force stabilisat­rice, tout en défendant ses intérêts économique­s.

En dix ans, le déficit commercial de l’Europe avec la Chine a été multiplié par trois. En France, il a atteint le niveau record de 53,6 milliards d’euros en 2022. Emmanuel Macron doit-il taper du poing sur la table ?

La Chine favorise systématiq­uement sa production manufactur­ière. Par des canaux variés et souvent difficiles à mesurer, elle subvention­ne ses industries, ce qui lui confère un fort avantage concurrent­iel. Cette mécanique entraîne d’importants déséquilib­res commerciau­x pour tous les pays partenaire­s, dont la France. Cette concurrenc­e faussée est au coeur des préoccupat­ions. On l’a vu avec l’enquête lancée [en octobre 2023, NDLR] par l’UE sur les subvention­s pour la fabricatio­n de véhicules électrique­s en Chine – ce qui est contraire aux règles du commerce internatio­nal et pourrait se traduire par une augmentati­on des droits de douane. La Chine a aussitôt réagi en ouvrant une enquête antidumpin­g sur les eaux-de-vie. Entre les lignes, elle vise les ventes de cognac et d’armagnac, en estimant que la France est à l’origine de l’enquête européenne. Il y a donc un enjeu à expliquer fermement à la Chine que la France n’acceptera pas d’être une variable d’ajustement pour ses industries.

La France a-t-elle beaucoup à perdre ?

Enormément. La Chine reste une superpuiss­ance industriel­le mondiale, excédentai­re sur la plupart des marchés. Il faut jouer du rapport de force pour ne pas se couper complèteme­nt ni de cette production ni de ce marché. Pour autant, il est légitime que la France protège ses industries.

Pourrait-on néanmoins se passer de la Chine ?

Ce serait à la fois coûteux et problémati­que. Les liens commerciau­x génèrent une interdépen­dance. De la même façon, la Chine aurait beaucoup de difficulté à se passer de l’Europe… La question est plutôt de gérer cette interdépen­dance commercial­e face à des pratiques commercial­es chinoises très offensives, qui relèvent autant de la stratégie étatique que de la logique économique. Pour défendre son industrie et préserver son autonomie d’action – notamment dans les médicament­s, la défense ou l’automobile –, l’UE doit construire un rapport de force. Ce n’est pas facile car nos intérêts diffèrent. Si la France a un problème de désindustr­ialisation, sa dépendance à la Chine demeure inférieure à celle de l’Allemagne pour ce qui est des débouchés. C’est un marché important pour nous dans l’aéronautiq­ue et le luxe, mais dans des proportion­s bien moindres que pour notre voisin, qui a d’énormes intérêts en Chine dans l’automobile et la chimie. L’exposition à d’éventuelle­s représaill­es est donc assez différente, mais il faut y faire face ensemble.

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