CROISEMENTS
GRAPHISTE ET ARTISTE, FAHD EL JAOUDI NOUS OUVRE LES PORTES DE SON ATELIER...
L’OFFICIEL ART : Votre oeuvre est traversée de motifs géométriques, quelles en sont les sources ? FAHD EL JAOUDI : L’abstraction géométrique dans mon travail est tirée du vocabulaire plastique arabo-musulman, à défaut de pouvoir utiliser la forme fgurative les artistes et artisans ont élaboré un langage géométrique abstrait et complexe, qui est le point de départ de mon travail. J’aime à penser que ce sont eux les précurseurs de l’abstraction. Je pars de ces systèmes et tente de les décomposer et de les déconstruire, tout en les faisant entrer en résonance avec la peinture abstraite occidentale et mon expérience personnelle. Vous travaillez exclusivement en noir et blanc, pourquoi avoir fait ce choix ? Tout d’abord il était important de “défolkloriser” ces motifs et de n’en garder que l’essence, c’est-à-dire le dessin. Le noir et ses nuances permettent aussi d’être dans un rapport direct à la forme, la lumière et la texture, qui sont mes priorités. La couleur n’a donc pas d’intérêt ici. Ensuite, j’ai grandi à Mulhouse, une ville où la culture musicale était très metal-hardcore et ayant eu un groupe, j’ai longtemps baigné dans la culture visuelle des fanzines et des afches faits au photocopieur… le noir et blanc c’est l’esthétique du pauvre.
Vous développez une activité de graphiste, comment cette discipline entre-t-elle en résonance avec votre travail artistique ?
Le graphisme c’est manipuler des formes, des couleurs, des images et du texte et de les structurer au service d’un message qui n’est pas le nôtre, mais si vous êtes votre propre commanditaire, cela peut devenir de l’art ! Les limites sont parfois ténues, mais ce que j’aime dans le graphisme c’est qu’il est complètement décomplexé par la notion de séduction. Son apprentissage m’a donc permis de manipuler et de construire des images de manière pragmatique et libre, et à vite comprendre si cela fonctionne ou pas. Dans mon travail artistique cela m’a aidé à mieux structurer visuellement ma pensée picturale et à être à l’aise avec les signes. J’utilise aussi concrètement ce savoir technique dans la production de mes images à travers des outils numériques. De par ces contraintes, j’ai acquis une gymnastique intellectuelle et formelle précieuse...
Vous avez afrmé que votre travail est aussi l’expression d’une “crise identitaire et culturelle”. Identité, culture : deux point cruciaux dans l’élaboration d’un être. Quel a été le déclencheur de cette crise, comment s’est-elle manifestée, quelle en est la teneur, comment se “porte-t-elle” aujourd’hui ?
Ces questions sont devenues les enjeux majeurs de notre époque et sont le champ de bataille de toutes les frustrations et haines. Il n’y a pas eu de déclencheur mais plutôt des catalyseurs à cette crise, latente depuis longtemps. Nous n’avons pas voulu accepter le fait que la France est multiple et complexe qu’elle se défnit ainsi et avons laissé le champ libre à d’autres… Paradoxalement, je suis optimiste car des dialogues s’ouvrent et on sent une réelle prise de conscience. Dans ce contexte, en tant qu’artiste issu d’une double culture mon travail tente de cartographier ces zones de porosité ou de friction et de formaliser ces rhétoriques communautaires.
“DANS MON TRAVAIL ARTISTIQUE, LE GRAPHISME M’A AIDé à MIEUX STRUCTURER VISUELLEMENT MA PENSéE PICTURALE ET à êTRE à L’AISE AVEC LES SIGNES.”