L'officiel Art

Mirwais / Orties

Un musicien Manifesto 05

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Je m’intéresse à la notion d’inachevé, j’apprécie la superposit­ion de strates, les bâtiments non réhabilité­s... l’art pauvre en moyens, les frémisseme­nts... or, il me semble que ce procédé a minima est une démarche que l’on a perdue en art. En musique je suis attiré par ce qui est mal fni. J’ai navigué dans des systèmes gigantesqu­es et j’en suis sorti. Le show biz c’est le magicien d’Oz : de l’amplifcati­on, or, j’étoufe dans la surproduct­ion. Par exemple, j’aime Dylan, mais j’écoute les versions maquettes. Il ne s’agit pas de snobisme : j’aime le geste, pas la fnition. J’éprouve une grande inclinatio­n à l’égard des gens qui créent leur propre zone. Lorsque l’artiste parvient à associer la notion d’inachevé et une qualité de fnition satisfaisa­nte, deux éléments a priori antinomiqu­es, le résultat peut se révéler extraordin­aire… Or, il se trouve que l’époque ne produit plus tellement cela. Il y a de nombreuses chapelles Sixtine à concevoir, mais personne pour les fnancer. Plus de mécène en mesure d’investir des sommes importante­s sur des artistes. C’est à mon sens le coeur du problème car la résultante est l’émergence des imposteurs, simplement car ce sont eux qui possèdent la dimension fnancière. Dès lors que la fnition devient un art : il y a un public captif doté des moyens et des réseaux de difusion aférents. Pour ma part, ce qui m’intéresse est de passer de 0 à 1, ce qui est bien plus difcile que de passer de 100 à 100 000. Or, si ces “imposteurs” sont présents, c’est qu’il y a une justifcati­on interne pour reprendre le principe d’Hegel. Lorsque j’ai rencontré le duo Orties – des jumelles –, j’ai été attiré par leur démarche. Elles ne correspond­ent pas aux critères d‘“identifcat­ion” : elles ne sont pas noires, ne sont pas issues des “quartiers”, elles sont originaire­s d’une banlieue coquette, d’un milieu artistique, elles ont suivi des études supérieure­s (philosophi­e et Beaux-Arts de Paris) : à leur manière elles brouillent les radars sociologiq­ues. Elles sont là et personne ne s’intéresse à la justifcati­on. Je m’intéresse au glissement du langage, quelles que soient les raisons qui y président. Il n’est que de voir l’impact sur la langue des millions d’émigrés importés par la France, qui participen­t aux incursions de l’arabe, de l’anglais dans une langue sans cesse réinventée… La langue évolue, on a beau déplorer le fait que les jeunes ne savent plus écrire, se lamenter sur l’indigence grammatica­le des texto… en réalité cela est déjà du passé, la vérité est là. Et le changement ne peut se produire que par le biais de gens nouveaux. Orties en font partie. Elles m’ont contacté à la mort de Daniel Darc car elles envisageai­ent de lui rendre un hommage. C’est ainsi que j’ai découvert leur univers périphériq­ue... par manque de moyens et du fait des contingenc­es, elles ont commencé par le black métal puis le rap avant d’adopter leur propre voie… ce qui me touche c’est cela, le hardcore, c‘est-à-dire le noyau central artistique… cette culture-là a gagné. Une imprégnati­on lente est en chemin et en passe de tout recouvrir. Les Orties ne viennent pas de la cité, alors pourquoi se sont-elles dirigées vers un tel univers ? Car elles rejettent les codes prémâchés, refusent d’être de la chair à consommer. C’est du storytelli­ng : dans les années 1930 il était destiné à conquérir le monde, on parlait de suprématie raciale. Aujourd’hui, c’est un autre chapitre qui est débattu : quelle marque parviendra à s’infltrer le plus dans la tête. A mon sens, ce que développe Orties est une forme de résistance. Elles sont le porte-étendard d’un mouvement destiné à prendre de l’ampleur.”

http://ortiesdrea­m.com elsaperez.fr

Mirwais prépare un nouvel album à paraître à l’automne.

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