La loi Doubin comporte toujours plusieurs points d’achoppement
Si les acteurs se revendiquant de la franchise sont censés connaître la loi Doubin sur le bout des doigts, force est de constater que ce n’est pas toujours le cas. Nous avons donc eu l’idée de faire un focus sur les principaux points d’achoppement du text
L’ARTICLE L.330-3 du code du Commerce, ou loi Doubin, dispose que : “Toute personne qui met à la disposition d’une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d’elle, un engagement d’exclusivité ou de quasiexclusivité pour l’exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l’intérêt commun des deux parties, de fournir à l’autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s’engager en connaissance de cause.” Dès les premières lignes de l’article de loi, la notion d’exclusivité est introduite par le biais d’une obligation contractuelle. Or, cette notion d’exclusivité est difficile à déterminer et n’est pas perçue de la même manière par tous les professionnels. D’ailleurs, les spécialistes interrogés sont nombreux à conseiller aux franchiseurs de remettre un document comportant l’intégralité du texte de la loi Doubin dans le Document d’information précontractuelle (DIP). “En général, toute
société qui se qualifie elle-même de fran
chiseur le fait”, estime Valérie Meyer, avocate au sein du cabinet Meyer & Cavard, spécialisé dans les contrats commerciaux et orienté vers les commerçants et les PME. Définir la notion d’exclusivité “Il ne s’agit pas là d’exclusivité d’approvisionnement, de produit, ni une exclusivité territoriale, prévient Valérie Meyer. Concernant la notion d’exclusivité, la jurisprudence renvoie plutôt à la nécessité de n’exercer qu’une activité principale, par exemple vendre du pain sous l’enseigne Paul implique de ne
pas travailler, par ailleurs, sous une autre enseigne.” Autre exemple, un concessionnaire automobile qui sera chargé de vendre des voitures Mercedes aurait, dans ce cadre, le droit de vendre des voitures d’une autre marque mais de manière restreinte et minoritaire. “La notion d’exclusivité d’activité est difficile à définir, convient également Dominique Baschet, avocat associé au sein du cabinet Blackbird Baschet. On dit souvent que l’exploitation de la marque doit représenter entre 70 et 80 % de l’ensemble de l’activité du signataire.” Selon ce spécialiste, cette notion d’exclusivité ne désigne pas, non
plus, d’exclusivité d’approvisionnement. “Je considère que la loi Doubin s’applique dès qu’il y a mise à disposition et exploitation de la marque, poursuit-il. Dès lors qu’il y a licence de marque, savoir-faire et assistance entre les parties, on conseille d’appliquer la loi Doubin.” Pour autant, en la matière, les avocats avouent fonctionner un peu au cas par cas, car la loi
ne définit pas les cas auxquels elle s’applique. De son côté, l’avocat Stéphane Grac ajoute que cette quasi-exclusivité permet aux personnes qui travaillent, par exemple à 90 % pour le réseau de franchise, de faire une autre activité à côté. “Le plus important étant que la personne concernée doit travailler exclusivement ou quasi-exclusivement pour le réseau”, précise-t-il.
Se servir du DIP comme d’un outil de travail
La suite de l’article de loi dispose que : “Ce document dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l’ancienneté et l’expérience de l’entreprise, l’état et les perspectives de développement du marché concerné, l’importance du réseau d’exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que les champs des exclusivités (…). Le document prévu au premier alinéa ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimum avant la signature du contrat, ou, les cas échéants, avant le versement de la somme mentionnée dans l’alinéa précédent.” Selon le décret d’application du 4 avril 1991, le DIP doit contenir au minimum : l’adresse du siège de l’entreprise et la nature de ses activités, le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, la ou les domiciliations bancaires de l’entreprise, la date et la création de l’entreprise avec un rapport des principales étapes de son évolution, une présentation du réseau d’exploitants et enfin l’indication de la durée du contrat proposé, des conditions de renouvellement, de résiliation et de cession ainsi que le champ des exclusivités. “Les franchisés doivent exiger la transmission de ce DIP dans les délais légaux et s’en servir comme outil de travail, conseille Valérie
Meyer. Il faut partir de ce DIP pour aller plus loin. Pour les concepts américains, il y a encore un certain nombre de documents qui, à mon sens, sont impossibles à décrypter pour des néophytes.” Souvent, les documents sont imprimés en petits caractères et renvoient, toutes les cinq lignes, vers d’autres articles. “Le franchiseur doit donner des pistes, mais c’est au franchisé de réaliser sa propre étude”, rappelle Valérie Meyer. “Concernant le DIP, j’estime, pour ma part, que le franchiseur n’a pas à communiquer son compte d’exploitation prévisionnel car ce n’est pas prévu dans la loi, or cela se fait de plus en plus”, remarque Dominique
Baschet.
Un outil de moralisation de la franchise
En cas de manquement à la loi Doubin, l’article 2 du décret d’application du 4 avril
1991 dispose que :“Sera punie des peines d’amendes prévues pour les contraventions de cinquième classe toute personne qui met à disposition d’une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d’elle un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l’exercice de son activité sans lui avoir communiqué, vingt jour au moins avant la signature du contrat, le document d’information et le projet de contrat mentionnés à l’article 1er de la loi du 31 décembre 1989. En cas de récidive, les peines d’amendes prévues pour la récidive des contraventions de la cinquième classe sont applicables.” Dans un contexte où les abus en matière de commerce de réseau se multipliaient, la loi Doubin a été promulguée afin de fixer un
certain nombre de règles à ce secteur. “La loi Doubin est un outil de moralisation de la
franchise”, conclut Dominique Baschet.