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Marché du bio, à quel sain se vouer ?
Avec une hausse des ventes de 14 % en 2019, le marché du bio se porte bien. La crise de coronavirus a renforcé les attentes des Français en matière de sécurité alimentaire. Les clients plébiscitent également des points de vente à taille humaine. Autant dire que le secteur s’ouvre à des néoconsommateurs plus que jamais en quête de sens. La demande, fortement démocratisée, attend des liens forts avec les producteurs locaux. Qui plus est, on assiste également à un besoin de proximité, point
’épidémie de Covid-19 qui a frappé le monde a mis en lumière de nouvelles attentes des consommateurs. Beaucoup se sont tournés vers les circuits courts et ont délaissé les hypermarchés pour les enseignes de proximité. Au sein de l’enseigne Le Grand Panier Bio, les chiffres sont d’ailleurs assez éloquents. “Si nos magasins connaissent une baisse de la fréquentation, on a enregistré une très forte augmentation du panier moyen (+ 93 %) tandis que le chiffre d’affaires des points de vente est en croissance de plus de 100 %. Nos commandes drive ont été multipliées par dix”, note Bertrand Perot, gérant de l’enseigne. Le bilan est identiquement partagé par Élisa Mollen : “Nous avons constaté une baisse d’affluence liée au confinement. Les clients venaient moins souvent mais compensaient avec un panier moyen bien plus élevé que d’ordinaire (+ 35 %).” Et la responsable développement chez So.bio, filiale de Carrefour, de poursuivre : “Nous constatons effectivement une croissance du CA à deux chiffres (+ 20 %), liée non seulement au besoin de stockage mais aussi à l’arrivée de nouveaux clients venus chercher une certaine sécurité dans leur alimentation. Le rayon des compléments alimentaires s’est aussi beaucoup développé, notamment les produits ayant pour objectif de renforcer l’immunité.” Tous les acteurs interrogés pour cette enquête ont ainsi constaté une hausse de leur panier moyen, ainsi que la venue de nouveaux clients étrangers jusque-là à la culture du bio. “Dès le début du confinement et pour répondre à une nécessité de sécurité, d’hygiène et de praticité, nous avons accompagné le réseau dans les prises de commande à distance via la création d’un numéro vert, d’une boite e-mail et d’un formulaire en ligne. Ce service a notamment permis de satisfaire des centaines de clients chaque jour. Considérant l’affluence mesurée en magasin et les paniers moyens en hausse (+ 45 %), le CA du groupement connaît une évolution en progression de 25 %”, explique Christophe Choquet, porte-parole de l’enseigne Les Comptoirs de la Bio. Même constat au sein de la marque Biocoop. “Avec le confinement, les consommateurs se sont tournés vers les enseignes les plus proches d’eux. Nous avons constaté que nos clients limitaient leur déplacement mais augmentaient leur achat. Avec une tendance à se tourner vers le produit brut plutôt que transformé. Nous avons, chaque année, 70 points de vente à ouvrir. Durant la crise du coronavirus, nous avons continué à multiplier les prises de contact pour l’ouverture d’autres magasins.
Le marché alimentaire est résilient. Il attire les porteurs de projets”, explique Gilles Baucher, directeur national du réseau Biocoop. La crise du coronavirus lancera-t-elle une véritable lame de fond ? Les responsables d’enseigne demeurent persuadés qu’ils sont sur la bonne voie. “Qu’ils soient experts ou novices de la bio, une tendance de fond semble effectivement se confirmer. Mieux manger et consommer de manière raisonnée et raisonnable semble trouver écho dans les modes de consommation. Notre recherche de différence se fait sur le respect des saisonnalités, des cycles de la nature et de l’environnement”, remarque Christophe Choquet. Aux enseignes spécialisées d’être agiles et forces de proposition dans un monde en pleine mutation sociétale et économique. “Les attentes des consommateurs sont multiples : ils souhaitent manger plus sainement, dans un budget raisonnable, tout en préservant autant que possible l’environnement”, explique Élisa Mollen. En somme, au-delà du monde de demain, des tendances se confirment jour après jour. “Aujourd’hui, le zéro déchet (produits en vrac, contenant adapté, etc.) est une tendance forte qui devrait perdurer”, note Bertrand Perot. Un constat que ne démentira pas Christophe Choquet pour qui, si les consommateurs veulent avoir la garantie de la fraîcheur, du goût et de la qualité, ils souhaitent aussi et surtout obtenir le respect d’un cahier des charges strict et d’une plus grande traçabilité des produits.
Une filière en pleine expansion
On le voit, la pandémie a renforcé les attentes des consommateurs dans la culture bio. Outre la démocratisation galopante, cet engouement, depuis plusieurs années,
”Nos clients limitaient leur déplacement mais augmentaient leur achat”
se traduit par des ventes en hausse de 14 % en 2019. Selon le cabinet d’études Xerfi, on s’oriente vers des perspectives prometteuses d’ici 2022 (+ 12 % par an en moyenne pour approcher des 15 milliards d’euros). “Le potentiel du marché est de fait énorme, le bio pesant à peine plus de 5 % des dépenses alimentaires aujourd’hui”, explique Xerfi. Autre point positif, celui des lieux d’achat actuels en produits bio. Dans son dernier baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France, l’Agence Bio, en partenariat avec Spirit Insight, révélait que si les grandes et moyennes surfaces (GMS) restent encore le circuit d’achat le plus fréquemment cité par les consommateurs bio, ce chiffre a enregistré en 2019 une baisse sensible : 77 % contre 81% en 2018. Autant dire qu’il y a de plus en plus de place pour les magasins spécialisés bio et les commerces de proximité. Ces derniers représentant respectivement 24 % et 37 % des attentes en matière de consommation de produits bio chez les clients.
La proximité comme règle d’or
Proximité, circuits courts, voici les deux maîtres mots qui doivent guider ceux qui se destinent à la création de points de ventes. “Les clients attendent de trouver des produits locaux afin de privilégier les circuits courts. La crise actuelle tend à renforcer ce point. Les clients apprécient également le fait d’avoir un magasin à taille humaine proposant un service personnalisé. Nous sommes des magasins de proximité”, remarque Bertrand Perot. Un constat que ne viendra pas démentir Christophe Choquet pour qui les consommateurs cherchent avant tout “à soutenir l’économie locale, régionale et plus largement française, notamment via les liens forts qui se tissent dans les territoires.” “Le local devient une attente globale de nos clients. Chez So.bio, les partenariats locaux existent depuis la création du premier magasin car cela répond à l’ensemble des
”Des produits locaux afin de privilégier les circuits courts”
attentes de nos consommateurs”, précise Élisa Mollen. Proximité encore et toujours, maître mot d’un secteur qui entend bien fidéliser une clientèle de plus en plus attentive à ces questions délicates. “On entend de plus en plus les gens évoquer le jour d’après. Je serais tenté de vous dire que nous n’avons pas attendu d’y être. Pour vous donner une idée, aujourd’hui, 15 % de notre chiffre d’affaires est constitué via des partenaires locaux situés à moins de 15 kilomètres de nos différents magasins. De même, le commerce équitable (origine France et Nord-Sud) représente un quart de nos revenus”, précise Gilles Baucher. Parmi les autres points mis en avant par les différentes enseignes, la nécessité de développer le maillage territorial. Si ce dernier se densifie, il reste du potentiel avec des zones ayant encore peu d’offres. “La proximité et un bon maillage territorial, cela veut dire également des magasins à taille humaine. Chez Biocoop, ces derniers oscillent entre 100 et 800 mètres carrés pour une moyenne de 300 mètres carrés. Quand une très grande enseigne de restauration rapide possède quelque 1 500 unités en France, nous nous devons d’être en mesure de proposer un maillage territorial équivalent pour renforcer ce sentiment de proximité. Avec 640 magasins, nous avons encore du chemin à parcourir pour densifier notre offre”, remarque Gilles Baucher.
Se distinguer de la filière classique
Bien évidemment, la filière cherche aussi à adopter des méthodes différentes du circuit classique. Au sein de l’enseigne Le Grand Panier Bio, on explique travailler en marge linéaire et non en marge arrière contrairement au circuit traditionnel qui mise tout sur le volume. “La notion est plus transparente. On applique simplement un coefficient de marge à un prix d’achat. Nous ne sommes donc pas impactés négativement quand le comportement d’achat des clients change brutalement. Il nous suffit d’adapter nos approvisionnements”, explique Bertrand Perot. Chez So.bio, on met en avant, parmi
”15 % de notre CA est réalisé via des partenaires locaux”
ces différences, la taille des magasins, l’offre, le relationnel entre fournisseurs et magasins. Tout comme la clientèle. “La bonne croissance du secteur, ajoutée au nombre de nouveaux consommateurs, ainsi que la relation directe avec nos fournisseurs, nous permettent d’avoir de bonnes rentabilités économiques. Le business model est simple et juste pour chacun”, note Élisa Mollen. Néanmoins, force est de constater que les enseignes spécialisées se concentrent, comme le souligne Xerfi, sans adopter des stratégies de différenciation : “En d’autres termes, le marché du bio devient de plus en plus homogène. Une standardisation qui fait craindre à certains que le bio est en train de perdre son âme.” Il y a, néanmoins, fort à parier que la crise de Covid-19 renforcera les attentes des consommateurs qui maintiendront un fort niveau d’exigence en challengeant les différentes enseignes. Les clients chercheront à être en phase avec l’enseigne la plus proche de leurs convictions.