HERVÉ DOMAS
« EN 3 ANS, ALIAPUR A RECYCLÉ 10 % DE PNEUS SCOOTER EN PLUS »
Directeur d’Aliapur, Hervé Domas est en première ligne pour évoquer cette problématique qu’a longtemps été le recyclage du pneumatique, dont sa société est l’acteur incontournable. Il nous livre sa vision du marché et ce que représente aujourd’hui cette activité.
Pouvez-vous nous rappeler la mission fondamentale d’Aliapur ? Notre rôle est très simple à énoncer, et parfois assez complexe à remplir. Il consiste à s’assurer que tous les pneus mis sur le marché en France soient collectés et, surtout, valorisés. Et c’est là que je vois les risques à l’avenir. Collecter les pneus aujourd’hui, on y arrive parfaitement. La machine Aliapur est bien rodée. Nous nous appuyons sur un réseau de prestataires qui sont des professionnels de la collecte de pneumatiques depuis très longtemps ; y compris des gens qui, dans leur ensemble, préexistent à la création de notre société. Nous collectons dans 35 000 points de vente, tous types de véhicules confondus. Aujourd’hui, le défi, c’est d’arriver à donner une valeur à ce produit – le pneu usagé. Le pneu que nos actionnaires manufacturiers ont confectionné avec soin, nous est confié in fine. Nous, nous le broyons, nous le transformons en granules. Nous sommes capables d’en séparer les éléments constitutifs majeurs, qui sont le caoutchouc, le textile et l’acier. Après, il faut trouver des solutions pour utiliser ces matières premières dans d’autres produits. Et là, on se heurte à des difficultés pas forcément spécifiques au pneu.
Lesquelles par exemple ? La crise sanitaire mondiale actuelle a un impact sur la valorisation, par exemple, car elle entraîne un ralentissement de l’économie qui fait baisser les cours des matières premières, lesquels envoient aux oubliettes les produits issus du recyclage. C’est un peu caricatural, mais pas tant que ça. On entend plein de beaux discours sur l’incorporation de matières recyclées dans les produits neufs, etc. Sauf qu’ils se heurtent parfois au principe de réalité. Quand le charbon ou les dérivés du carbone voient leurs prix baisser, le matériau issu de produits recyclés, qu’il faut souvent payer un peu plus cher parce qu’il a été collecté et modifié, atteint un certain prix. Ou alors, le matériau recyclé n’a pas complètement conservé les qualités du même produit élaboré à partir de matière vierge. Tout cela devient moins intéressant, parce que malgré tout, c’est toujours l’économie qui guide. Aujourd’hui, on est tombé au plus bas en ce qui concerne les produits pétroliers. Ça ne va sans doute pas durer, mais en attendant…
Cet effet de la crise virale par contrecoup est-il le seul à toucher votre activité ? Dès la mi-mars, une immense majorité des points de vente de pneus en France ont fermé leurs portes. Nous avons donc vécu un mois
de mars au cours duquel nous avons collecté à peu près 30 % d’un mois normal. La tendance s’est confirmée au mois d’avril. On a repris tout doucement à partir de mai, pour retrouver aujourd’hui un niveau conforme à l’avant-crise.
Compte tenu de votre position, quelle vision avez-vous du marché du pneu de motocycle ? Comme vous le savez, le marché du 2-RM est à la hausse. Nous avons un certain nombre de clients qui sont des “metteurs sur le marché” de pneus de 2/3-RM : il y a bien sûr les manufacturiers, actionnaires d’aliapur, mais également d’Autres. Je veux parler des manufacturiers qui sont clients d’Aliapur sans en être actionnaires, et de nos clients qui ne sont pas manufacturiers, mais importateurs. Ce que je note de manière très globale – les chiffres que je suis autorisé à communiquer ne peuvent être que globaux –, c’est que l’on a une catégorie dans notre barème de facturation qui regroupe ce que l’on appelle la catégorie E : les pneus d’un poids inférieur à 3 kg, de scooter pour l’essentiel. Je précise d’emblée que pour nous, il est assez difficile d’isoler les pneus de moto, car nous ne connaissons pas le poids moyen d’un pneu de moto – d’une grosse routière, pour faire court. Dans la catégorie E, donc, entre 2017 et 2020, nous avons enregistré une hausse des déclarations voisine de 10 % ; sachant que ces déclarations sont censées refléter peu ou prou le marché national de la vente de pneus. Pour tous ceux qui vivent en milieu urbain, ce n’est pas une surprise. Chacun a bien vu que le nombre de scooters explose dans ces secteurs très urbanisés. En revanche, nous ne pouvons pas communiquer des éléments sur des pneus de motocycles plus lourds. Car pour des raisons de simplification et parce que le marché dont vous parlez, est assez “epsilonesque”, nous avons choisi de ne pas faire de distinguo entre un pneu de moto de taille et de poids significatifs et un pneu de voiture. En moyenne, un pneu usagé de voiture pèse 8 kg. Et dans le 2/3-RM, même si on atteint sans doute rarement ce niveau de poids, il doit se trouver pas mal d’enveloppes qui dépassent les 3 kg. Chez nous, elles sont noyées dans la catégorie des véhicules légers.
«NOUS AVONS DÉJÀ RETROUVÉ UN NIVEAU CONFORME À L’AVANT-CRISE SANITAIRE SUR LE MARCHÉ FRANÇAIS»
Cette catégorie E englobe-t-elle autre chose que des pneus de petites cylindrées et de scooters ? Des pneus de vélo, par exemple ? On n’y trouve pas de pneus de vélo, et ce pour une raison simple : ils n’entrent pas dans le périmètre de la filière à responsabilité élargie du producteur de pneumatiques. En clair, ils sont toujours considérés comme des ordures ménagères (cf. encadré ci-dessous). Pour répondre à votre question, on ne trouve dans cette catégorie E que du pneu de deux-roues à moteur de petite cylindrée.
Eu égard à votre observation des volumes de pneus usagés collectés d’année en année, vous semble-t-il que le parc des 2/3-RM est appelé à croître ? Je pense que le deux-roues motorisé va continuer à progresser, en tant que solution pertinente en termes de mobilité. Nous vivons dans une société d’urbanisation forte, de développement des grands centres urbains. Les difficultés de circulation afférentes devraient montrer que le 2/3-RM fait partie des solutions de nature à favoriser la mobilité dans un tel contexte. Je ne vois pas de raison pour que le deux-roues stagne ou régresse.
Lorsque les metteurs sur le marché vous communiquent leurs chiffres de vente sur un exercice, Aliapur prévoit de collecter la même quantité l’année suivante, est-ce exact ? C’est ça. Certains pays en Europe ne fonctionnent pas de la même manière : ils collectent en cours d’année “N” les ventes de l’année “N”. Pour nous, c’est plus simple de collecter pendant l’année “N” le volume déclaré de l’année “N-1”. Parce que ça permet d’avoir un objectif en début d’année. En tout cas, nous avons aujourd’hui quelque 25 000 tonnes de retard depuis le début de 2020, soit 12 à 13 % de moins que prévu. Il s’agit de chiffres au 17 juillet. Nous avions estimé que la reprise se ferait en pente douce. À notre niveau, on a eu plutôt un effet “interrupteur”, une remise sous tension intense et immédiate.
Combien de prestataires collecteurs agréés par vous travaillent aujourd’hui en France ? Nous avons 27 prestataires de collecte pour l’ensemble du territoire métropolitain.
Combien avez-vous répertorié d’acteurs qui mettent des pneus de 2/3-RM sur le marché en France ? En 2020, nous comptons environ 250 clients qui déclarent des pneus de 2-roues motorisés. Par ailleurs, nous collectons les pneus usagés auprès de 498 revendeurs moto, 220 centres moto et service rapide, 284 concessionnaires scooter et quad, et enfin 857 garages moto indépendants.
En théorie, un particulier, ou même un commerçant, qui commanderait des pneus via un site en ligne implanté à l’étranger pratiquant des prix attractifs, deviendrait-il un metteur sur le marché ? Absolument. Vous soulevez là un point très important. Au fond, la législation sur les filières REP (responsabilité élargie des producteurs, ndlr), depuis environ deux décennies, a beaucoup de mal à évoluer aussi rapidement qu’évolue le monde. Quand on parle de vente dématérialisée en ligne, qui s’affranchit complètement des frontières, on s’aperçoit qu’on ne sait pas traiter ça. Et on ne peut compter que sur l’honnêteté des gens qui développent le commerce par internet ; c’est-à-dire qu’il ne faut pas trop y compter. Aujourd’hui, on voit bien qu’il y a des très gros trous dans la raquette, dès lors qu’on a un site internet accessible aux particuliers et qui fait des consommateurs des metteurs sur le marché. En réalité, le consommateur reste dans l’ignorance totale de son nouveau statut. On ne peut décemment pas attendre de lui qu’il déclare ses pneus spontanément. Il faut trouver, avec les acteurs de la vente en ligne, les moyens de le faire entrer en conformité avec la réglementation française.
Les manufacturiers y peuvent-ils quelque chose ? C’est clairement le rôle des pouvoirs publics. Mais bien sûr, ce n’est pas un problème facile à résoudre. Par ailleurs, l’estimation de ce marché gris est trop hasardeuse. Nous n’avons pas la moindre idée de ce que cela représente réellement. Dans l’auto, nous connaissons des sites internet étrangers dont nous savons que les volumes qu’ils réalisent en France sont bien plus que confidentiels. Et il est impossible d’évaluer leur part de marché et les volumes écoulés, et donc le nombre de pneus mis sur le marché français, sans donner lieu au paiement d’une éco-contribution et qui constituent une distorsion de concurrence. Nous, Aliapur, nous collectons chaque année plus que notre objectif. C’est-à-dire que les manufacturiers mettent de l’argent sur la table pour s’assurer que des pneus qui n’ont pas donné lieu au versement de l’éco-contribution soient quand même collectés, afin qu’ils ne finissent pas leur vie dans un ravin ou un ruisseau.
Les manufacturiers ne sont-ils pas censés savoir combien de pneus ils mettent sur les marchés de tous les pays où ils commercent, y compris si certains pneus changent de pays au cours du processus de revente ? Vous avez parfois des jeux d’intermédiaires successifs qui empêchent les manufacturiers de savoir qui a été le dernier revendeur de leur produit dans tel ou tel pays.
Que représente cet excédent de pneus usagés collectés ? Cela peut atteindre 10 000 tonnes par an, majoritairement constitués de pneus d’automobiles, soit entre 2,5 % et 3 % d’excédent collecté. Cela peut paraître limité, mais la facture est réglée par des industriels qui n’ont pas à financer cette collecte-là.