DANS L’AIR DU TEMPS
2/3-RM ÉLECTRIQUES ÉQUIVALENT 125 ET + DE 125
Encore pauvre, l’offre en 2/3-RM électriques “équivalent 125 cm3 et plus” est destinée à prospérer. Elle a doublé ses volumes entre 2018 et 2019 sur de petites proportions, mais son avenir dans la mobilité urbaine et péri-urbaine semble voué au succès, réglementation et air du temps obligent…
Projetons-nous dans quatre ans. Au coeur des grandes villes, la circulation des véhicules motorisés sera encore plus limitée qu’aujourd’hui. Dans le cas de Paris, la capitale qui donne souvent le tempo avant l’adhésion d’autres grandes villes (de plus en plus nombreuses à être dirigées par des municipalités écologistes comme à Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Marseille, Grenoble, Poitiers, Annecy, Tours ou Besançon…), la circulation des véhicules thermiques sera réduite à quelques catégories : plus de motorisation diesel et que des véhicules “Crit’air 1” à partir de 2024, c’est déjà acté par la mairie dans le cadre de son plan de lutte contre la pollution de l’air. Outre Paris qui entraînera dans son sillage la petite couronne jusqu’à la ceinture que forme l’a86, une douzaine de métropoles se sont également engagées à renforcer les ZFE (zones à faibles émissions) dont les véhicules les plus polluants seront bannis. Il s’agit de Marseille, Lyon, Montpellier, Nice, Strasbourg, Toulouse, Clermont-ferrand, Reims, Saint-étienne, Toulon, Rouen et Fort-de-france. Face à ce mouvement qui apparaît inéluctable, la position des 2/3-roues motorisés est appelée à évoluer avec la mise à l’écart progressive des engins les plus anciens. Pour circuler au coeur des villes, il faudra disposer d’un véhicule considéré comme propre, et gare aux resquilleurs puisque des radars peuvent potentiellement enregistrer les plaques d’immatriculations et permettre aux autorités de verbaliser les contrevenants.
Petit segment deviendra grand L’avenir s’annonce donc complexe pour le 2/3-RM thermique dans les grandes villes et les constructeurs le savent. Si on a vu se développer une offre importante de scooters et cyclos électriques “équivalent 50 cm3” ces dernières années, principalement d’origine chinoise, les “équivalent 125 cm3 et + de 125 cm3” plus performants et nécessitant le permis AL ou le B avec formation pour les 125, et le A2 ou le A pour les + de 125 selon leur puissance, ont été bien plus rares : limités à quelques motos premium européennes et américaines accompagnées de scooters pour la plupart d’origine asiatique. C’est de cette dernière offre forcément amenée à se développer dont nous allons parler dans ce dossier. Sur l’année 2019, cette catégorie a représenté 2 836 immatriculations en France métropolitaine, soit une évolution de + 93,3 %, presque le double de 2018 (1 467 unités), année elle-même un peu supérieure à 2017 (1 248) et plus forte que 2016 (836) et 2015 (557). Depuis l’ouverture de ce segment, c’est BMW qui s’en est fait le porte-drapeau et a grandement participé à son essor avec son C-evolution, un maxiscooter électrique sorti en 2014, sans aucun équivalent sur le marché, sans vouloir faire injure à Vectrix qui fut le pionnier du genre. C’est lui qui a d’entrée porté les volumes à un niveau raisonnablement quantifiable avec ses 227 immatriculations en 2014, passées à 409 en 2015, 503 en 2016 avant ses deux années record : 830 immats en 2017 et 846 en 2018. Le scooter bavarois pourrait faire encore plus fort sur le marché français, là où il se vend le plus dans le monde, mais sa production est limitée et la filiale vend tout ce qu’elle reçoit. En outre, d’autres pays ont augmenté leurs volumes de C-evo ces derniers temps, ce qui a réduit la part allouée à la France. Jusqu’en 2017, BMW a pesé autour de 65 % de marché du 2/3-RM électrique équivalent 125 et + de 125, le reste étant essentiellement représenté par le spécialiste US de la moto wattée, Zero Motorcycles – qui opère sur ce secteur depuis 2006 –, par le géant autrichien KTM avec sa e-freeride, mais aussi par d’autres petits producteurs comme les français Electric Motion pour le tout-terrain, et Eccity pour le scooter, plus quelques opérateurs plus ou moins renommés.
La poussée Super Soco L’arrivée progressive de spécialistes européens et chinois de la moto et (surtout) du scooter a réduit la part de marché de BMW et potentiellement agrandi le périmètre de ce segment. Sur l’année 2019, la marque allemande n’en a plus représenté qu’un quart (24,2 %) avec son seul C-evolution et s’est vue talonnée par deux nouveaux venus chinois, Super Soco et Niu. La première, qui a d’abord connu le succès avec ses petites motos équivalent 50, les TS et TC, a dupliqué son offre en équivalent 125 avec une version plus imposante et plus cossue de sa TC, la TC Max, qui s’est tout de même immatriculée à 495 unités sur 2019. Une allure néorétro séduisante, un moteur Bosch, une vitesse de pointe de 95 km/h et une autonomie de 60 à 140 km, selon le mode d’utilisation, pour un peu moins de 5 000 €, lui ont permis de rallier les suffrages de clients issus pour la plupart de l’automobile. « Le succès de notre TC Max est exponentiel, c’est un modèle qui plaît beaucoup et qui se vend bien sûr dans les grandes agglomérations, mais on commence aussi à le vendre dans des villes de moyenne importance parce qu’il propose plus d’autonomie que la TC. Le profil client est celui d’un trentenaire qui a le permis auto et qui veut une petite moto sympa pour aller travailler, une moto qui ne fait pas de bruit, qui ne pollue pas… On a d’ailleurs une clientèle féminine assez notable sur
la TC Max, un peu plus que la moyenne des filles qui roulent sur des motos thermiques. » explique Patrice Murtas, le directeur général de Super Soco France. La marque chinoise n’a pas fini de faire parler d’elle puisqu’elle proposera à la rentrée un nouveau scooter grandes roues équivalent 125 assez élégant et rapide (95 km/h), le CPX. Il est propulsé lui aussi par un moteur Bosch alimenté par une ou deux batteries, ce qui lui permet de doubler son autonomie, de 80/90 km à 160/180 km, tout cela pour un prix de 4 290 € pour le modèle à une seule batterie ou 5 290 € pour celui à deux batteries. Tarifs auxquels il convient d’enlever le bonus écologique de l’état et une éventuelle prime locale, ce qui le rend encore plus compétitif face à ses concurrents thermiques, typiquement du compact urbain type Honda PCX ou Yamaha N-max. La crise du Coronavirus a retardé son arrivée, mais les revendeurs Super Soco ont déjà plus de 500 commandes confirmées de la part des clients finaux, ce qui peut lui laisser espérer des ventes autour des 1 500 unités sur une année pleine nous a glissé son importateur. Deuxième nouvel acteur à pénétrer “massivement” le marché MTL électrique, l’autoproclamé n°1 chinois du scooter watté, Niu, qui a pris pied sur ce segment en France en 2019 et s’est tout de suite positionné dans l’aspiration du leader BMW avec 528 immats. Son N-GT, un scooter compact urbain motorisé par Bosch, annonce 70 km/h en pointe avec l’ambition d’une autonomie de 100 km ou de 160 km en mode “energy save”, cela grâce à ses deux batteries lithium-ion amovibles et rechargeables à domicile. Proposé à des prix s’échelonnant de 3 599 € à 4 699 € selon la marque de la batterie et la taille de ses roues (version Pro en 14 pouces), c’est déjà un best-seller dans la gamme. Un cran en dessous, le fabricant chinois Efun avec ses différents modèles (Pulse, E-presto, Vintage, Puma…) dont les prix s’échelonnent entre 3 500 € et 9 500 €, et la marque maison du distributeur marseillais Dip, Orcal, avec
Les 2/3-RM électriques du moment sont surtout l’affaire de constructeurs challengers.
la version R (80 km/h) de son Ecooter vendue 4 395 € ont également pris pied sur ce marché. Dans un segment en devenir, leurs chiffres respectifs, 233 immats pour la première, 202 pour la seconde, sont respectables.
Le prix, l’argument massue Ces constructeurs chinois témoignent de la pertinence de proposer un prix compétitif par rapport à un produit thermique équivalent pour attaquer ce marché du “gros” 2/3-RM électrique et espérer faire du volume. Jusqu’alors, les grands noms de l’industrie moto ne s’y sont placés qu’avec des produits chers : maxiscooter BMW C-evolution à 16 200 €, roadster Harley-davidson Livewire à 34 000 €, enduro KTM E-XC à 10 920 €, scooter Vespa Elettrica équivalent 50 à 6 690 €… Les pure players, ceux qui ne font que de l’électrique, annoncent aussi des tarifs élevés avec des Zero Motorcycles allant de 12 890 € à près de 24 000 € et des Energica à 30 000 €
la pièce. En tout-terrain, le producteur français Electric Motion fait un peu mieux avec un ticket d’entrée à 7 512 € pour son modèle trial Epure Lite qui est grosso modo 1 000 € plus cher que les versions thermiques comparables, mais sa randonneuse Escape à 9 278 € n’est pas donnée… Or, il apparaît que le prix reste un argument massif pour faire basculer la clientèle vers l’électrique. « Honnêtement, l’utilisateur urbain moyen s’en fiche un peu d’avoir une thermique ou une électrique, ce qui compte pour lui c’est de se déplacer facilement. Si les prestations et le budget sont comparables, il réfléchit, et si tu arrives à lui faire essayer un scooter ou une moto électrique, il y a de très fortes chances qu’il craque. Et une fois convaincu par le produit, il y a ensuite moyen de le faire monter en gamme sur des engins plus chers que nous aurons bientôt dans la gamme Super Soco » assure Patrice Murtas.
L’europe tarde à répondre Effectivement, entre un Honda 125 PCX à 2 999 € et un Super Soco CPX à 4 290 € dont le prix peut descendre sous les 3 000 € en cumulant toutes les aides à l’achat (cf. encadré p. 38) et qui coûte ensuite très peu en énergie et moins cher en entretien, convaincre un usager urbain de muter est largement envisageable. On se rend toutefois compte que la notoriété de la marque et la capillarité du réseau restent de sérieux écueils pour ces constructeurs en devenir sur l’europe, même si Niu, gros faiseur chinois, s’est engagé dans une politique de développement de magasins propres dans toutes les grandes villes du Vieux continent : Paris, Londres, Rome, Milan, Amsterdam, Lisbonne, Anvers… Face à ces Chinois ambitieux, une réponse européenne a pris corps ces dernières années avec des constructeurs latins comme l’italien Askoll, le Français Eccity ou l’espagnol Silence. Récemment importée par Doc’Biker sous l’enseigne Pure Rider, cette dernière cartonne au-delà des Pyrénées en étant la 4e meilleure vente avec 5 213 immats, entre les versions pros et particuliers, de son S01. Leurs ventes restent encore anecdotiques en France et l’on sent bien que le segment de l’électrique équivalent 125 ne décollera vraiment que lorsque de grands labels proposeront leur propre interprétation de ce genre de véhicule. On pense bien sûr aux constructeurs japonais qui n’ont pas encore dégainé et qui auraient
dû montrer de nouvelles choses en termes de mobilité électrique avant les Jeux Olympiques de Tokyo, mais ceux-ci ayant été reportés en 2021, pas de nouvelles depuis... Honda a bien un E-PCX qui se vend en Asie, mais la filiale française ne le trouve pas assez premium pour le proposer au consommateur européen. En outre, « son prix l’amènerait autour des 7 000 € et pour nous il n’y a pas de marché pour un électrique équivalent 125 à ce niveau de prix en France. D’autant qu’avec un PCX actuel qui consomme 2,2 l aux 100 km, nous considérons que c’est un produit très peu polluant pour un tarif très raisonnable » assure Fabrice Recoque, directeur de la branche moto de la filiale française de Honda. C’est plutôt sur le terrain du scooter équivalent 50 que se positionnera d’abord le n°1 mondial sur notre marché et pas dans l’immédiat, même si Fabrice Recoque assure que « le département R&D de Honda travaille sur tous les sujets et est capable de répondre rapidement à une demande de produits qui serait imposée par de nouvelles réglementations. ». Chez Yamaha, la dernière édition du salon de Tokyo en novembre 2019 a été l’occasion d’une démonstration électrisante. Outre son prototype de moto de trial TY-E déjà largement montré ces deux dernières années, la firme aux diapasons y a exposé trois scooters zéro émission, dont le E01, un équivalent 125 à l’allure sportive. « Effectivement, Yamaha travaille sur le sujet et nous aurons ce genre de produit dans un avenir “moyen/proche” si je puis dire. Après Euro 5, nous aurons du scooter électrique équivalent 50 et 125, à l’image de ce qui a été montré au salon de Tokyo avec les E01 et E02. Ce seront des produits globaux fabriqués au Japon mais je ne peux rien dire de plus pour le moment » assure Vincent Thommeret, directeur de la filiale française de Yamaha. Ce dernier estime qu’un prix potentiellement élevé ne sera pas un frein
C’est bien la règlementation dans les grandes métropoles qui fera accélérer l’arrivée des 2 et 3-roues électriques.
puisque « ce genre de véhicule se vendra plus sous forme de mensualités. On parlera plus d’un coût d’usage et le prix ne sera pas une fin en soi ». Chez Suzuki comme chez Kawasaki, rien de concret malgré l’effort des Verts qui ont montré un concept de sportive électrique, L’EV Project, une sorte de Ninja au rendement toutefois modeste : 27 ch (20 kw) de puissance maxi pour 219 kilos... Rien à voir avec ce qu’a pu dévoiler Kymco avec ses prototypes Supernex (sportive) et Revonex (roadster) annonçant des performances de premier choix, mais pas de date de commercialisation précise, même si 2021 était envisagée pour le second. Ils seront plus que probablement devancés par le scooter i-one DX équivalent 125 du I-one exposé au salon de Milan 2019 et qui affiche des performances notables : 74 km/h en vitesse de pointe et 90 km d’autonomie grâce à deux batteries amovibles de 6 kg chacune. Sa rivale nationale, Sym est également sur le front du scooter équivalent 125 et nous a appâté à l’Eicma 2018 avec son joli proto EE1 qui a depuis disparu des écrans radar… Dessiné par un studio italien pour le marché européen, performant avec une vitesse maxi annoncée à 130 km/h et une autonomie allant de 50 à 100 km selon l’utilisation, ce GT urbain semblait prometteur mais son avenir n’est pas encore bien défini de ce que l’on a compris.
En attendant les grands… Pour l’instant, donc, le présent du véhicule électrique équivalent 125 et + de 125 est plutôt l’affaire de constructeurs challengers opportunistes qui mettent les doigts dans la prise pour préparer l’avenir et faire parler d’eux plutôt que de majors qui ne veulent pas y aller trop tôt pour ne pas essuyer les plâtres. Parmi ces derniers, ceux qui ont tenté une approche n’ont pas dû non plus encourager leurs concurrents à se lancer : Piaggio fait un flop avec son petit scooter Elettrica vendu trop cher pour séduire la clientèle (110 immats pour son équivalent 50 en 2019 et 14 à fin juin 2020, 53 pour le nouvel équivalent 125 à fin juin 2020) ; KTM n’a pas non plus transformé l’essai avec son enduro Freeride électrique, transparente dans les ventes depuis sa sortie en 2014 (24 immats en 2019, 13 à fin juin 2020) ; Harley-davidson n’en est qu’au début de son histoire électrique avec la Livewire et si des retards de production et un rappel ont pénalisé son entrée sur le marché, le fait qu’elle n’arrive qu’en petite quantité et à un prix maousse (c’est la plus chère des H-D, hors CVO et 3-roues), sa diffusion en est forcément limitée (35 immats au cumul 2020) ; enfin, bien que
reine du secteur avec le C-evolution, BMW n’a jamais pu franchir la barre des 1 000 unités annuelles pour cause de contingentement, mais pas sûr qu’elle la dépasserait de beaucoup si ce n’était pas le cas, ce qui resterait faible quand un Yamaha T-max est régulièrement entre 4 000 et 6 000 immats sur le marché français… Pour que ce segment du 2/3-RM électrique équivalent 125 et + de 125 se développe vraiment, qu’il puisse atteindre un volume solide de 10 000 unités, il faudra attendre encore quelques années, et cela passera surtout par la mobilité urbaine et péri-urbaine, là où l’électrique se justifie pleinement.
Destin inéluctable Deux éléments seront les moteurs de sa croissance. L’offre constructeur d’abord : les moyens et gros scooters sont dans les cartons chez la plupart des grands généralistes, les motos arriveront dans la foulée, d’abord comme proposition unique dans leurs gammes, comme c’est déjà le cas chez Harley-davidson ou KTM, et comme cela se profile chez ceux qui ont déjà montré leurs projets tel BMW, Kawasaki ou Kymco. La réglementation ensuite : ce sont les contraignantes étapes établies par les législateurs sur cette décennie 2020 qui accéléreront le processus avec le cap de 2030 pour l’interdiction de circulation dans les ZFE des véhicules qui ne seront pas zéro émission. L’électrisation d’une partie du parc 2/3-RM semble donc inéluctable…