Panorama nouveautés 2021
Voilà 20 ans que le règlement 22-05 fixe les critères d’homologation des casques de motocycle. Au cours de ces deux décennies, la recherche en laboratoire a avancé, tandis que la mise en oeuvre de certains matériaux et le savoir-faire de nombreux industriels ont évolué. La sixième version du règlement 22 s’apprête aujourd’hui à éclore. Qu’en pensent les fabricants de casques ? Tour de table.
Depuis le printemps dernier, l’information se faufile dans les articles de presse, s’immisce dans les conversations et provoque déjà un débat. Dans l’ensemble, l’arrivée annoncée du règlement onusien 22-06, flanqué de ses nouvelles exigences en matière d’homologation de casque, est perçue comme un pas de plus en faveur de la sécurité des usagers. Mais en coulisse, les discussions ne semblent pas tout à fait closes entre experts et fabricants. En cause : le relèvement du nombre et de la nature des essais nécessaires à la mise en conformité induite par L’UN ECE R22-06 (United Nations Economic Commission for Europe, regulation n° 22-06 : Commission économique pour l’europe des Nations unies, règlement n° 22-06) tel qu’il se profile à l’horizon. Sous quel délai est-il susceptible de s’imposer ? « Avant d’être adopté, le document de travail actuel, appelé à devenir un règlement, doit encore faire l’objet d’un vote », explique Nicolas Quagliozzi, responsable du pôle EPI (Équipements de Protection Individuels) à Critt Sport Loisir, organisme indépendant spécialisé dans le test et l’homologation de diverses familles d’équipements. De fait, ledit document suscite encore des réunions du groupe de travail de la sécurité passive chargé de peaufiner le projet de règlement. Pour preuve, la dernière de ces réunions s’est tenue entre le 7 et le 11 décembre dernier. Elle devait notamment permettre d’examiner une proposition de complément au R22-06 émanant de l’expert israélien soucieux d’« éviter de faire obstacle au commerce des accessoires disponibles sur le marché de l’après-vente, qui sont actuellement en circulation, en attendant que des prescriptions soient arrêtées concernant l’homologation de ces accessoires, indépendamment des casques », comme le précise un document à en-tête du Conseil économique et social des Nations Unies daté du 24 septembre dernier. En l’occurrence, il est ici question des équipements de communication sans fil dont certains casques peuvent être ou sont couramment équipés.
Prudent, Nicolas Quagliozzi ne se hasarde pas à avancer une date précise quant à l’entrée en vigueur du R22-06. Les fabricants français de casques, eux, ont pourtant leur petite idée sur le calendrier appelé à peser sur la vie des industriels du secteur. Ainsi, Alban Rojas, responsable de la recherche et de l’innovation de Shark, affirme qu’à sa connaissance,
« les usines devront arrêter la fabrication de casques conformes aux exigences du R22-05 au plus tard en juillet 2023 », et que « la vente de ces mêmes produits sera interdite à partir de janvier 2024. » En attendant, pour l’ensemble des acteurs concernés, c’est le moment d’anticiper. Christophe Miravalls, directeur des ventes de Shark, tient d’emblée à souligner que l’arrivée du R22-06 « est en soi une bonne chose, dans la mesure où l’on va vers plus de protection pour les consommateurs. Nous accueillons cette perspective avec les difficultés qui vont avec, mais de façon positive. » De quelles difficultés s’agit-il ? Pour l’essentiel, le but du jeu consistera à limiter au maximum les prises de taille et de poids des casques ; et d’examiner les gammes Shark (et Nolan) au cas par cas. Parce que tous les produits ne présentent pas le même besoin de mise à niveau.
Les risques à ne pas prendre
« Pour nous, le fait d’avoir conçu et produit un casque de compétition conforme aux critères d’homologation de la FIM (le Racer Pro), depuis 2016, nous a permis d’acquérir un certain savoir-faire. Par ailleurs, Shark a toujours été très exigeant en termes de sécurité. Tout cela prédispose Shark à un passage sans douleur au règlement 22-06 », assure Alban Rojas. Cela étant, comme pour n’importe quel fabricant, la poursuite normale du renouvellement partiel des gammes, lorsqu’elle doit être combinée à une échéance réglementaire contraignante, conduit forcément la direction à se pencher sérieusement sur la physionomie des gammes à venir, sur les investissements auxquels consentir ; et sur le calendrier à tenir, attendu qu’il serait de bon ton de passer en mode 22-06 dans le peloton de tête des fabricants, sinon le premier. Or, à cause de la crise virale mondiale, un léger retard serait déjà pris par les laboratoires d’essai appelés à délivrer les homologations. Pourquoi ? « De nouvelles machines d’essai doivent être mises en oeuvre dans les labos.
Mais les constructeurs de ces machines ont pris un peu de retard, sur fond de Covid-19 », rapporte le responsable R&I de Shark. L’avis du représentant français d’une grande usine chinoise (MHR, inventeur de la marque LS2), résonne sur une fréquence assez proche de celle des Français précités. Jean-marc Manuguerra, directeur France, fait lui aussi référence à la compétition internationale pour expliquer que le futur règlement 22-06
Le document de travail actuel doit encore faire l’objet d’un vote. » Nicolas Quagliozzi, responsable du pôle EPI à Critt Sport Loisir « La vente de casques conformes au R22-05 sera interdite à partir de janvier 2024. » Alban Rojas, responsable de la recherche et de l’innovation de Shark
la date d’application du règlement 22-06 n’est pas encore bien précise
ne représente pas un obstacle insurmontable pour le fabricant asiatique. « Le R22-06 semble s’inspirer des critères d’homologation de la FIM, songe-t-il. Pour homologuer notre modèle Arrow par la FIM, il y a 4 ans, nous avions dû investir dans la conception, mais aussi dans du matériel de test. Les exigences du R22-06 ne sont donc pas une totale nouveauté pour LS2. D’ailleurs, le remplaçant du Arrow, le Thunder, sera bien sûr conforme au cahier des charges du R22-06.
Cela dit, selon les produits de la gamme dont il sera question, il faudra probablement retravailler sur certaines formes existantes, les arrondir peut-être un peu, et éviter qu’ils prennent du poids. La date d’entrée en application du nouveau règlement 22 étant encore assez floue, la réflexion, aujourd’hui, porte sur le rythme des renouvellements de gamme. D’ores et déjà, un nouveau casque trail, l’explorer, remplace le Pioneer. Comme le Thunder, il est conçu à l’origine pour être conforme au R22-06. D’une manière générale, tous les fabricants doivent rêver de passer au standard 22-06 dans des délais aussi brefs que possible.
Mais indépendamment des coûts engendrés par cette mutation, il n’est pas sûr qu’ils y arrivent.
Les choses vont devoir se faire progressivement. »
Chacun son défi ?
Et de rappeler que sur un marché français du casque qui oscillerait « autour des
1 200 000 unités à l’année, le risque de générer un stock obsolète à brève échéance est impossible à prendre. » Pascal Couturier, directeur de Shoei Europe Distribution, ne raisonne a priori pas avec les mêmes données que celles de son confrère. Différences de composition de gamme, de type de produits, de positionnement tarifaire et de volumes
de vente le conduisent à appréhender le passage au R22-06 avec d’autres critères. Toutefois, s’agissant du produit fini, le responsable de Shoei en France reconnaît à son tour que « toute la gamme (11 modèles) va devoir muter » et que les « tailles de coque vont devoir grandir légèrement. » Autrement dit, chaque taille est appelée à recevoir la coque du modèle de la taille supérieure, la plus grande se préparant à prendre encore un peu de volume. De même, le renouvellement naturel de la collection, au fil de l’eau, va intégrer des changements techniques profonds, à raison de « trois modèles par an jusqu’à l’été 2023 », étant donné que le premier casque Shoei homologué selon les critères du 22-06 devrait être commercialisé « à la fin de 2021. » En attendant, « nous allons fournir nos clients normalement, au même rythme qu’à l’accoutumée. »
Données manquantes
Ce qui attend donc les concepteurs-fabricants de casques s’annonce plus ou moins contraignant, selon la forme et la constitution qu’ils auront données à leurs produits dès le départ. Thomas Deboos, responsable R&D de Roof International, rappelle à ce sujet que si tous auront à investir dans des centaines d’heures d’études, dans du matériel de test et de fabrication, tous ne partent pas avec les mêmes défis à relever. « Nous procédons à des simulations de chocs à haute vitesse depuis assez longtemps et avec plus d’exigences que le niveau requis. Par ailleurs, nos casques ont toujours privilégié une forme ronde pour minimiser les conséquences de chocs obliques susceptibles d’entraîner une rotation de la tête ; sans parler de leur volume, toujours pensé pour plus de sécurité. De ces points de vue-là, nous n’aurons a priori pas trop de difficultés à passer en 22-06. Peut-être faudra-t-il travailler sur les performances de l’amortisseur, sous la coque, et vérifier la résistance de certains composés de fibres. » Réticents à parler de prise de poids et de prix de vente à la hausse, imputables au R22-06, les fabricants interrogés ne disposent simplement pas encore de toutes les données pour se laisser aller à des estimations réalistes. Au sujet du premier point, tout au plus imaginent-ils qu’un relèvement de 50 g à 100 g serait cohérent, tout en rêvant secrètement de rester au niveau antérieur. Les tarifs en magasin, quant à eux, devront nécessairement participer à l’amortissement des investissements à venir (ou en cours), sans qu’il leur soit possible, là non plus, de prédire si les augmentations dépasseront celles, saisonnières, auxquelles ils ont habitué leur clientèle depuis des lustres…
toutes les marques n’ont pas les mêmes défis à relever
Nos casques ont toujours privilégié une forme ronde pour minimiser les conséquences de chocs obliques. » Thomas Deboos, responsable R&D de Roof International