M. IAN ROGERS
Il incarne la transformation gigantesque qui secoue actuellement le monde du luxe. Nommé par Bernard Arnault lui-même, Ian Rogers est chargé d’accompagner la révolution digitale des 70 maisons de la famille LVMH. Voyage au coeur d’une intelligence non art
auteur Hervé Dewintre, illustration Kate Copeland
Dans le livre d’entretiens qu’il accorda en 1999 au journaliste Yves Messarovitch, Bernard Arnault avouait un grand regret : ne pas avoir investi, lorsqu’il en eût l’occasion, dans Microsoft. Pourtant, le patron de LVMH était déjà un fervent amateur des nouvelles technologies et un grand admirateur de Bill Gates. Le propriétaire de Louis Vuitton et de Christian Dior s’était, dès la première heure, enthousiasmé sur la possibilité de fonder ex nihilo des sociétés qui fonctionneraient uniquement en ligne : l’un de ses projets préfigurait l’adoption du web par les banques traditionnelles et la généralisation de la distribution en ligne de produits financiers multimarques, il s’appelait Zebank. Un projet éphémère qui prit fin au lendemain des attentats du World Trade Center. Puis la bulle du Net éclata, affectant durablement toutes les valeurs liées au digital. C’est ce qui explique peut-être le fait que les acteurs historiques du luxe opposèrent tant de résistances avant de s’approprier les multiples possibilités d’internet au cours de la décennie suivante. Sans décourager le célèbre capitaine d’industrie pour autant. En mai 2015, le magnat profita d’un défilé Louis Vuitton en Californie pour rencontrer Tim Cook, PDG d’apple, Mark Zuckerberg, patron de Facebook, ou encore Evan Spiegel, cofondateur de Snapchat. Il était accompagné de son fils Alexandre, en dernière année de l’école d’ingénieur Telecom Paristech, féru
de nouvelles technologies, et qui avait déjà mis un pied dans le groupe en s’occupant
précisément de ces questions. “Je n’y suis pas allé comme observateur, mais comme
investisseur”, révélait-il alors. À la suite de ces rencontres, les observateurs s’accordèrent pour proclamer ceci : la période de suspicion du luxe vis-à-vis du Net est terminée. ÉTERNEL ADOLESCENT Ian Rogers, comme tous les cadres de la Silicon Valley, ressemble à un éternel adolescent. Même lorsqu’il enfile un costume soigneusement coupé, ce natif de l’indiana continue de ressembler à ce lycéen féru de programmation informatique, de hip hop et de punk rock qui faisait de longs voyages vers Ann Arbor (Michigan) pour pouvoir poser librement les roues de son skateboard loin des regards hostiles de Goshen, petite ville industrielle de 20 000 habitants. On est tout surpris d’apprendre que Ian Rogers a plus de 40 ans. Ses tatouages montrent le visage souriant de Sly Stone, le logo Next (la société d’ordinateurs fondée par Steve Jobs en 1985) et les noms de ses deux filles. Son apparence détonne parmi les cadres supérieurs de LVHM, son CV aussi. Bien avant itunes, il fonda en 1993 l’un des tout premiers sites de musique en ligne, totalement dédié à l’oeuvre des Beastie Boys. À l’époque, ils étaient bien peu nombreux ceux qui avaient entendu