MRS. PATTI ASTOR
Passion aujourd’hui (presque) consensuelle, le graff’ doit beaucoup à l’esprit aventurier et défricheur d’une jeune femme… Patti Astor.
auteur Hélène Muron
Par un de ces effets boomerang dont l’histoire de l’art est friande, l’urban Art Fair lancée à Paris l’année dernière a fait sa première à New York cet été. Un retour aux origines pour ce mouvement artistique né sur les wagons du subway new-yorkais et entré en quelques années dans les galeries et les musées. Pour raconter l’histoire de ces autodidactes dont la cote atteint plusieurs millions de dollars, la foire a invité une pionnière : Patti Astor, venue de Californie recréer la légendaire Fun Gallery où elle exposa Keith Haring, Futura 2000 et Jean-michel Basquiat.
PHARMACIE AMBULANTE
Patti Astor est une passionnée, une authentique fanatique comme on en trouve rarement aujourd’hui. “Tout le monde
me disait, ‘Patti, si seulement tu laissais un peu tomber ton attitude de hippie, tu pourrais faire fortune, tu sais ?’ Mais mon objectif n’a jamais été de gagner des mille et des cents. D’ailleurs, j’ai très bien réussi là-dedans !”, explique-t-elle de son accent traînant.aujourd’hui, Patti réside dans une caravane de plage à Hermosa Beach, où elle relie à la main des exemplaires du livre qu’elle a écrit sur sa vie. Hermosa en espagnol, ça signifie jolie – un qualificatif qui s’applique bien à l’histoire d’amour entre Patti et l’art du graffiti. La raconter, c’est se plonger en parallèle dans celle de la contre-culture américaine telle qu’elle s’est dessinée depuis une cinquantaine d’années. Reine de la scène punk-rock des années 80 à New York, danseuse et actrice, activiste, galeriste avant-gardiste et marchande d’art urbain avant même que le concept n’existe, Patti Astor est tombée dans l’oubli. Un destin entre ombre et paillettes, au service d’artistes qu’elle considère avant tout comme ses amis. New York, 1975. “Mets-toi sous les projecteurs, Patti !”, lui crie le cinéaste Nicholas Ray au Lee Strasberg Institute où elle étudie l’art dramatique. Patti s’exécute, mais ce n’est pas son truc. Lorsqu’elle se retrouve en pleine lumière, personnage principal d’underground USA, film culte qui se joue tous les soirs à minuit au St. Marks Cinema, c’est presque par hasard. Devenue superstar du downtown new-yorkais, Patti accueille la célébrité bien volontiers, mais toujours à moitié avec un air de ne pas y toucher. Banlieusarde de Cincinnati dans l’ohio, hippie revenue de Woodstock et de Californie, pharmacie ambulante d’amphétamines et de champignons magiques, Patti a une priorité dans la vie : s’amuser.
STARLETTE AU CBGB’S
Du fun, il y en a à revendre dans l’east Village de la fin des années 70. Starlette blond platine aux lourdes paupières noircies, Patti minaude avec les artistes et les musiciens qui comme elle passent leurs nuits entre le Mudd Club et le CBGB’S. Lorsqu’elle joue dans un film avec Debbie Harry, elle se dit: “Cette fois-ci, ça y est, tu as vraiment réussi!” Patti, l’égérie de Maripol, artiste photographe, vit dans un appartement décrépit à 25 dollars par mois, en face d’un foyer pour clochards. C’est là, devant le Mudd Club, en faisant la queue, qu’elle rencontre l’un d’entre eux. Elle se moque de ses dreadlocks ; il est flatté
qu’une star vienne lui parler. Le jeune Jeanmichel Basquiat a déjà commencé à bomber le sigle SAMO partout dans le quartier. SAMO – same old. C’est aussi ce que pense Patti, devenue la coqueluche d’une certaine clique mondaine qu’elle ne tient pas en très haute estime pour autant. “Ras le bol de ces galeries blanches de Soho, pleines de Blancs qui sirotent leur vin blanc devant
trois rochers peints en blanc.” Patti la petite Blanche de l’ohio n’a pas la langue dans sa poche, et elle préfère la compagnie des rappeurs, des MCS et des breakdancers du Bronx à celle des artistes établis. Lorsqu’elle voit Keith Haring pour la première fois, il porte des lunettes phosphorescentes et JOUE LES PAPARAZZI. PATTI EST RAVIE. ELLE FLIRTE déjà avec un autre membre de la bande, Fab 5 Freddy, à qui elle a signé un autographe une nuit. Ces jeunes rebelles venus de la rue l’amusent plus que “les vieux
chichiteux ennuyeux”, comme elle appelle Donald Judd et Julian Schnabel. “Boring” est un mot qui revient souvent DANS SON VOCABULAIRE FLEURI. PATTI ÉTAIT Là pour s’amuser, elle ne le répétera jamais assez. Son entrée dans le marché de l’art se fait d’ailleurs par le biais d’une fête improvisée. Futura 2000, un graffeur de la première heure, propose de lui offrir une oeuvre. Patti réclame une peinture murale, et organise pour l’occasion une sauterie. Elle prépare une salade de pommes de terre, se procure de l’herbe et des bières pas chères, et accueille tout le gang, de Fab 5 Freddy à Dondi en passant bien sûr par Keith et Kenny. “Oh, shit! ” C’est Keith qui donne l’alerte en voyant Jeffrey Deitch débarquer. Le collectionneur, curateur et futur directeur du MOCA de L.A., se sert bientôt de Patti comme conseillère.
S’EN ALLER AVANT
East Village, 1981. Patti en a assez de ramasser les canettes et les joints dans son appartement transformé en tripot. Lorsque son ami Bill Stelling lui propose d’ouvrir une galerie dans une espèce de cagibi, elle répond oui. Le nom, c’est Kenny Scharf qui l’a trouvé, quand elle lui a offert sa première exposition personnelle. “So stupid!”, dit-elle. À la Fun Gallery, les shows se succèdent sans discontinuer, et les ventes mémorables effectuées par Patti lancent la carrière de ceux qu’elle a toujours décrits comme “des artistes tout court”. De 50 $ pour un Elroy de Kenny Scharf à 5 000 $ pour un tag de Futura 2000, les prix montent sans que les nouveaux street artists aient le temps de penser à ce qui est en train de leur arriver. Bientôt, la Fun Gallery célèbre quatre ans de succès, mais les loyers aussi ont augmenté, et une boutique Gap vient remplacer le St. Marks Cinema où tout a commencé. “Il faut toujours s’en aller avant que la fête SOIT TERMINÉE : PERSONNE N’A ENVIE DE FINIR en coma éthylique, allongé par terre au milieu des mégots et des canettes de bière.” C’est ainsi que Patti a quitté les lieux au faîte de sa gloire, après avoir révolutionné l’histoire de l’art.