M. Teddy Ondo Ella
Une jeune marque vient colorer nos vestiaires, alliant couture soignée, discours engagé et pertinence universelle. Une rencontre avec son instigateur, Teddy Ondo Ella, s’imposait.
À tous les pessimistes et liseurs de journaux en diagonale, apprenons que la Banque mondiale prévoit une croissance économique de 2,6 % de l’afrique subsaharienne, tandis que le rapport Africa’s Pulse prédit qu’elle passera à 3,2 % en 2018 et à 3,5 % en 2019. La sécheresse des chiffres ne dit pas tout du dynamisme d’un continent – dynamisme qui incite une nouvelle génération d’entrepreneurs à S’ENGAGER AU QUOTIDIEN POUR EN PROFITER. Ainsi, Teddy Ondo Ella, 38 ans, après une carrière musicale (au sein de Cartel Black), a retrouvé le chemin de son Gabon natal pour y ouvrir, à Libreville, le temple de la sneakers – The Sneakers Club – puis pour lancer une ligne de sportswear, Only Made in Gabon. Son environnement familial le prédisposait sans doute à ce goût de l’entreprise et de la mode : “Ma mère avait un magasin de vêtements, parfums, Teddy Boutique, et je l’accompagnais souvent à Paris faire ses courses, notamment chez Charles Jourdan, qu’elle revendait au Gabon.
Elle me laissait tenir la caisse, où je piochais parfois pour acheter des bonbons…” En juillet dernier, il présentait à la galerie Art Beam de New York sa première collection de prêt-à-porter haut de gamme, avec
un leitmotiv précis : “Partager ma culture, sa beauté : si la création est égoïste, je ne veux laisser personne indifférent, et que tout LE MONDE PUISSE SE L’APPROPRIER, S’Y IDENTIFIER.” La nouvelle campagne, réalisée avec le cinéaste et clippeur Andrew Dosunmu (auteur de clips pour Common, Kelis,
Maxwell…), prolonge cette volonté : “J’ai voulu qu’elle exprime l’esprit de la marque, africain, sexy et élégant. Andrew partageait mon parti pris, mon désir de montrer une identité forte, déterminée, sans agressivité.” Voyageur – né au Congo, grandi au Gabon, ayant vécu en France –, Teddy Ondo Ella tient à valoriser à la fois son héritage patrimonial et culturel (motifs tribaux, références spirituelles) et sa contemporanéité. En témoignait, EN JUILLET DERNIER, LORS DU Défilé DE SA première collection de prêt-à-porter, la présence d’une danse rituelle menée par l’oukoukouè, UNE FIGURE DU VILLAGE GABONAIS, qui incarne l’esprit qui le protège. L’originalité de sa démarche s’incarne par exemple dans l’usage d’un denim “très RIGIDE, QUI DONNE UN ASPECT fitté, PROCHE du costume. J’y ai ajouté des imprimés rappelant les motifs présents sur la veste associée”. Surtout, elle vient de l’origine de sa marque : “J’ai décidé de créer ma marque pour souligner la culture de mon pays : la mode permet de toucher des personnes qui n’auraient pas été sensibles autrement aux richesses culturelles qu’offre le Gabon. Elle permet d’ouvrir de nouveaux horizons. Je voulais m’adresser à une génération d’africains nés sur ce continent, mais avec une expérience européenne moderne.” Il signe tous les concepts, avec cette conviction : “Ce n’est pas le costume qui fait l’homme, mais l’homme qui fait le costume.” À propos de costume, une des pièces les
plus fortes de la collection était l’abacos, la version couture de “l’à bas le costume” des pays sur la voie de la décolonisation : manches courtes des vestes portées sans cravate, foulard coloré autour DU COU, POUR PROTESTER PACIFIQUEMENT contre la colonisation… “J’ai décidé de casser les stéréotypes, de ne pas utiliser le wax, précise Teddy, mais plutôt de la soie, de la popeline de coton, du super 150, super 100, du haut de gamme. Les connotations culturelles sont plus subtiles, il y a des imprimés, mais aussi des couleurs pleines.” Soucieux de démocratiser la mode africaine autour d’un ADN gabonais, et encore plus de ne pas céder aux clichés éventuels, Teddy Ondo Ella souligne que sa
démarche “n’est pas d’enfermer [sa] marque dans un contexte strictement régionaliste, même si c’est [son] vécu, [son] pays. C’est important qu’il y ait du sens, de montrer la richesse du continent”.
Et l’avenir ? “La prochaine collection sera autour de l’univers de la sape. On en parle beaucoup ici et là, mais sans profondeur. Je veux insister sur ses règles, SON CARACTÈRE PACIFISTE, SES CODES STRICTS sur les couleurs… et sur les possibilités d’évasion qu’offre la ‘sapologie’.”