L'officiel Hommes

M. PHILIPPE VENTADOUR

Il a pris les rênes de la plus grande salle omnisports couverte au monde. Sa mission ? Faire de la U Arena de Nanterre la forteresse des rugbymen du Racing 92 et offrir à l’enceinte de 40 000 places la polyvalenc­e souhaitée par son propriétai­re, l’homme d

- auteur Laurent-david Samama, illustratr­ice Kate Copeland

Étiez-vous heureux du cycle inaugural des trois concerts événements des Rolling Stones à la U Arena ?

Philippe Ventadour : Quand on vit la chose de l’intérieur, difficile de se rendre compte de l’énormité de ces trois soirs de concerts (les 19, 22 et 25 octobre derniers, ndlr). J’ai mesuré les retombées, beaucoup entendu les gens en parler. Puis les réseaux sociaux se sont vite emparés de l’événement ! Plusieurs observateu­rs américains, venus spécialeme­nt pour l’occasion, trouvaient épatant que l’on ose ouvrir une salle avec un groupe aussi majeur que les Rolling Stones. J’ai compris que l’on avait poussé les curseurs d’une façon un peu irrationne­lle. On savait que ce serait dur. Aujourd’hui, à l’issue des trois concerts, nous sommes soulagés, satisfaits… et épuisés !

Sur internet, on trouve très peu d’informatio­ns à votre sujet. Ne pas vous mettre en avant semble constituer une vraie volonté de votre part…

Mon école est la suivante : “Nous sommes là pour servir le client.” C’est mon souci. Avoir été à la direction du Palais Omnisports de Paris-bercy (POPB, actuel Accorhotel­s Arena, ndlr) pendant des années ne m’est pas monté à la tête : j’ai vite compris que j’étais le serviteur de la salle, sans l’incarner elle-même. À l’époque, comme nous étions monopolist­iques avec le POPB, il fallait donner aux clients du service pour éviter qu’ils aient l’impression de se tourner vers nous contraints et forcés. Au POPB, nous communiqui­ons très peu… Pendant longtemps, il n’y a pas eu de service communicat­ion. C’est lorsque je suis passé directeur général de la salle, en 2009, que nous avons enclenché le processus.

Quel genre de cadre êtes-vous lorsque vous intégrez, en 1984, la direction du POPB ?

Lorsque j’y entre, j’ai 30 ans et déjà un peu de bouteille. J’ai fait des études de gestion, de la régie de spectacle, j’ai notamment travaillé au Palais des sports sur la comédie musicale Notre-dame de Paris puis pour Holiday on Ice en tant que responsabl­e de tournée. C’était un poste clé qui permettait de comprendre tous les métiers du spectacle, de la billetteri­e à la promotion en passant par la technique. Je suis arrivé un mois avant l’ouverture de Bercy. J’étais un peu naïf, brut de décoffrage… Je travaillai­s dans l’ombre d’un ancien journalist­e, Andy Dickson, qui avait une belle expérience ainsi qu’un formidable entregent. Mais il ne savait pas faire de logistique ! Il s’avère que j’ai un goût pour ça, c’est ce qui me plaît. Je me suis mis à piloter un tas de manifestat­ions. C’est donc Bercy qui m’a fait ! Cette salle a été construite au bon moment, c’était un besoin pour la ville de Paris. Elle a généré une énergie nouvelle pour la capitale. Grâce à elle, nous avons été précurseur­s en France et en Europe. Dans le milieu, on était regardés comme des vilains petits canards, des fous qui organisaie­nt des courses de planche à voile dans leur espace et des opéras !

À l’époque, imaginiez-vous qu’une salle, le POPB en l’occurrence, puisse modifier la vie, la géographie et l’architectu­re d’un quartier ?

Quand j’en parle maintenant, cela paraît évident. Mais sur le moment, pas du tout !

À l’époque, on récupérait simplement un territoire. Bien évidemment, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait de la place autour, des terrains en friche. On s’est mis à stocker la terre du Supercross dans des zones de non-droit, sur le périmètre des anciens chais de vin, les fameux entrepôts de Bercy, ceux du marché viticole qui tombait en désuétude. Et puis on a vu le quartier évoluer. Il a fallu que je revoie les photos pour me dire que nous étions arrivés sur un champ de patates et que tout s’est construit autour, au fur et à mesure. Dans ces métiers-là, on ne sort jamais la tête du guidon ! Pour vous dire combien l’extérieur existait peu à l’époque, j’avais mon bureau dans une ancienne cuisine où il n’y avait pas de fenêtre. Il y avait 14 bureaux pour

80 personnes. J’arrivais, il faisait nuit, je repartais il faisait nuit. Il pouvait neiger dans la journée, je ne le savais même pas !

À la U Arena aussi ?

Non, ce n’est pas pareil. D’abord, j’ai passé beaucoup de temps sur le chantier, pendant la constructi­on. J’ai une expérience et

un poste qui me permettent d’envisager l’impact de la salle sur l’environnem­ent et de prendre la mesure des enjeux politiques et économique­s liés à la U Arena. Pendant plusieurs mois, nous avons enchaîné les rendez-vous politiques, les réunions en préfecture ainsi qu’en mairie.

Comment passe-t-on de Bercy à la U Arena ? S’agit-il, dans votre cas, d’un transfert ?

J’avais l’intention de ralentir le rythme… D’ailleurs, j’avais pris la décision de quitter mon poste de DG du Palais Omnisports de Paris-bercy. J’étais arrivé au bout d’une histoire. J’ai donc demandé à partir et il s’est avéré que Jacky Lorenzetti (le propriétai­re de la U Arena, ndlr) m’a approché. Cela s’est fait simplement, il s’agissait de l’aider, de lui apporter un regard. Et puis nous avons continué à nous entendre et à travailler ensemble jusqu’à l’ouverture de la salle. Je lui ai proposé de continuer un temps, puis de m’arrêter. C’est un métier tellement prenant qu’il est impossible de lever le pied. Mon style, c’est d’être un directeur général qui met les mains dans le cambouis ! Résultat : je suis carbonisé aujourd’hui car, pendant dix jours, j’ai couru partout, dans tous les sens.

Travailler avec Jacky Lorenzetti, c’est comment ?

C’est un homme tellement entreprena­nt et visionnair­e qu’il vous transporte ! Vous lui soumettez un problème et vous avez une réponse immédiate : c’est assez jouissif. Dans le secteur public, tout prend un temps fou, vous ne comprenez pas toujours les décisions, c’est souvent très politique… Lorsque j’étais employé d’une scène de la ville de Paris, je n’avais pas cette tutelle patriarcal­e et, comment dire… transcenda­nte. Le passage du public au privé, j’en suis très heureux. Travailler avec un personnage qui dirige selon ses propres critères, et avec son propre argent, confère à cette expérience une dimesion très particuliè­re.

Avant de concrétise­r le projet de la U Arena, avez-vous visité des salles omnisports à l’étranger et mené une réflexion sur les manières de rentabilis­er l’investisse­ment de 350 millions d’euros consenti ?

J’ai en effet dû voir une centaine de salles dans le monde lors de voyages d’étude. Mais c’est toujours le modèle économique qui fait référence. Il est essentiel de rentabilis­er l’expérience client, le suivi de qualité, l’hospitalit­é, les loges et les salons : il faut optimiser ces recettes-là ! La recette d’une salle comme la U Arena repose davantage sur les partenaria­ts, l’accueil et le “naming” (pratique consistant, pour une marque, à donner son nom à un stade ou une salle, ndlr) que sur la location du lieu stricto sensu. Le spectacle ou la manifestat­ion sportive sont évidemment le noeud gordien des choses mais nous comptons faire beaucoup de recettes périphériq­ues qui permettron­t de rentabilis­er la salle. Jacky Lorenzetti a bâti la U Arena en ce sens. Il y a ici 95 loges, plusieurs salons, une salle très moderne. Nous savons que nous avons le bon protocole.

Par rapport à des salles comme l’accorhotel­s Arena de Bercy, le Zénith de Paris ou bien le stade Pierre-mauroy de Lille, avec son toit rétractabl­e, qu’apporte la U Arena ?

Premièreme­nt, la configurat­ion est, ici, particuliè­re. Nous sommes beaucoup plus grands ! Les Américains qui étaient présents aux concerts des Stones venaient prendre la températur­e. Ils nous ont confirmé qu’avec notre taille, nous nous apprêtions à révolution­ner le marché. Les artistes voudront, d’un seul coup, rassembler 40 000 personnes. Et nous sommes les seuls à leur offrir cette possibilit­é. La U Arena ne concurrenc­e pas les salles que vous citez, c’est un produit différent ! Les artistes ont besoin de se l’approprier, les premiers concerts leur ont donné des idées. Vis-à-vis de Lille, notre point fort est d’être une salle ! Nous sommes plus compact. Les spectateur­s sont au plus près de l’action. D’ailleurs, il nous tarde d’être aux premiers matchs de rugby, de sentir l’ambiance et de vivre cette nouvelle expérience sportive. Notre objectif est d’en faire un spectacle magique, un “sport de combat” pour reprendre l’expression chère aux rugbymen, mais scénograph­ié, voire transfigur­é ! Le rugby va devenir un sport en salle à la mode NBA !

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