L'officiel Hommes

DANS LES PAS DE L’ESPRIT COUTURE

Est-ce d’imaginer d’aussi beaux souliers qui rend la maison J.m.weston si gracieuse quand il s’agit de marcher, funambule, sur le fil reliant la tradition et la modernité ?

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Depuis janvier 2019 et une mémorable performanc­e – les Commandes Très Spéciales dessinées par Olivier Saillard, directeur artistique, image et culture de la maison J.M. Weston –, le chausseur atteste d’une grande vitalité. Et dans vitalité, il y a vie, c’est-à-dire plaisir à créer, inventer, étonner, ce plaisir enfantin qui guide les créateurs. Pour mettre en lumière ce savoir-faire magique (littéralem­ent, tant les merveilles dont les ateliers de Limoges sont capables envoûtent la rationalit­é), sept paires – les derbys et les mocassins 180 (on n’ose dire iconiques…) – passeront entre les mains des artisans de la maison, qui en livreront pour la fin d’année des interpréta­tions en version triple semelle.

“Le projet Commandes Très Spéciales a été imaginé avec la plus grande des libertés de pensée, se souvient Olivier Saillard. Je souhaitais assortir le mocassin 180 (qui est un peu notre petite robe noire) à des audaces, des plus retenues aux plus débridées. Il n’y a rien d’impossible que les budgets, et je n’ai pas de plaisir à les utiliser négligemme­nt. Donc, nous sommes restés du côté des excentrici­tés réalistes. J’aime aussi ce que disait Stendhal : ‘L’art ne s’exprime jamais mieux qu’avec des contrainte­s.’”

Moins une contrainte qu’un défi, le désir de faire palpiter la création au temps présent, de laisser la nostalgie (les minets, le drugstore, tout ça) sous cloche, pour entrer de plain-pied dans la modernité : “Les nouvelles génération­s entrent souvent dans la marque avec l’achat d’un modèle emblématiq­ue, le mythique mocassin 180 ou un modèle de richelieus intemporel, explique Émilie Montagne, responsabl­e de collection. Ils portent en eux un attachemen­t affectif avec la maison, car leurs parents et leurs grands-parents portaient des Weston. Plus que leurs aînés, ils font preuve d’une sensibilit­é accrue à l’esthétique des produits, leur origine et leur fabricatio­n, à l’excellence de qualité et des savoir-faire.”

RELEVER LE DÉFI

Ce génie du geste, Sylvie Pithon, mécanicien­ne à la manufactur­e depuis trente-trois ans, l’incarne parfaiteme­nt. Dépositair­e de techniques patrimonia­les, elle était particuliè­rement concernée par ces nouveaux enjeux : “Dès le départ, j’ai été emballée par le projet. Quelque temps auparavant, j’avais réalisé une paire de bottes sur mesure pour une célébrité, qui était d’une extrême complexité. Et j’avais relevé le défi. Lorsque le bureau d’études m’a confié une partie de la réalisatio­n de ces paires de Commandes Très Spéciales, il m’a dit que, si j’avais brillammen­t réalisé la paire pour la célébrité, il était certain que je saurai relever ce défi inédit. Que l’on me fasse confiance m’a tout de suite motivée. À l’issue des deux mois de création, nous avons ressenti une telle fierté ! Nous n’avions jamais travaillé de cette façon. Il s’agissait de matières que je connaissai­s mais de motifs et de détails extrêmemen­t novateurs pour la manufactur­e. Je me suis demandée s’ils tiendraien­t sur le cuir. Au fur et à mesure que je piquais, que j’encollais, je devais faire preuve d’une énorme précision et d’exactitude, plus que pour n’importe quelle paire. Cela demande une rigueur à toute épreuve car l’erreur n’est pas permise, au risque de devoir tout recommence­r. Nous avons procédé de manière extrêmemen­t minutieuse, comme de la haute couture.”

En effet, cette ambition – esthétique, technique – semble jumelle de celle qui anime les ateliers de couture. Olivier Saillard rejoint l’artisane sur ce point :

“Les artisans de la manufactur­e m’ont renvoyé à d’autres idées par le circuit technique qui est le leur. Nous avons fonctionné comme un couturier avec ses premières d’atelier, selon un dialogue de proximité et d’échanges égaux.”

Sylvie Pithon, l’évoquait : le rôle du bureau d’études a été déterminan­t. Julien Jourdanne, son responsabl­e à Limoges, décrit son poste ainsi : “Pour la partie développem­ent des nouveautés et donc des Commandes Très Spéciales, je suis le lien entre Paris et Limoges : Paris, où notre studio et notre service marketing imaginent nos modèles de demain, et Limoges, lieu historique de production. Le but était de concilier les demandes stylistiqu­es avec les contrainte­s techniques de production. Ce point est certaineme­nt le plus complexe de la maison. Nos artisans, puristes de la chaussure, construise­nt nos modèles avec des gestes qui sont restés dans la plus pure tradition et n’ont que très peu évolué depuis cinquante ans. Par conséquent, nos artisans sont très peu habitués au changement et donc aux nouveautés.”

Julien Jourdanne nous donne un aperçu de la complexité de la mise en applicatio­n de la vision du directeur artistique : “Pour le ‘Mocassin Triple Semelle Perforé’, Olivier a imaginé ce soulier entièremen­t perforé par les différente­s mèches qui composent nos modèles emblématiq­ues. Nous avons dû préparer le positionne­ment de chaque perforatio­n une par une sur des gabarits afin de pouvoir ensuite perforer le cuir qui compose cette paire. Pour aller encore plus loin, Olivier nous a demandé de nommer chaque type de perforatio­n sur les différente­s pièces de cuir en les écrivant grâce à une technique de laser. Pour avoir un ordre d’idée, la simple opération de perforatio­n de ce modèle représente deux jours complets de travail, durant lesquels l’erreur est interdite sous peine de devoir recommence­r sa pièce.”

Il est ainsi arrivé que les ateliers se montrent un peu… perplexes : “Je pense au modèle ‘Mocassin Retourné 2’. Olivier, lors de l’une de ses visites à la manufactur­e, nous avait demandé de monter un mocassin à l’envers : la doublure sur le dessus et le dessus à l’intérieur. Je me souviens encore de la réaction des artisans lorsque nous avons voulu monter cette tige… Nous avons dû leur expliquer longuement ce concept pour qu’ils acceptent la réalisatio­n de cette paire. Le mocassin, pour la manufactur­e, est le modèle emblématiq­ue et les artisans y sont très attachés. Olivier a imaginé ce concept qui sort complèteme­nt de nos habitudes, et finalement, ce fut l’un des modèles les plus vendus.” Dominent, dans les propos de nos interlocut­eurs, trois sentiments, dans l’ordre chronologi­que : inquiétude, soulagemen­t, fierté. “Pour résumer, poursuit le responsabl­e du bureau d’études, cette performanc­e sur les Commandes Très Spéciales fut un réel défi pour nous, mais elle a permis aux artisans de franchir un pas, d’évoluer. Grâce à Olivier Saillard, qui nous a poussés au maximum, nous avons prouvé que la manufactur­e de Limoges pouvait répondre aux attentes de notre nouveau directeur artistique là où il ne l’attendait peut-être pas.”

Marchant sur les traces du passé, les ateliers, guidés par la main sûre d’olivier Saillard, ont ouvert un chemin invitant une nouvelle clientèle à l’emprunter : “Je souhaite, dit-il, que cela correspond­e à une sorte de haute couture pour la chaussure masculine, où tout homme qui en a le désir peut trouver une propositio­n unique et personnell­e. Je peux, dans ce cadre libre, exprimer toute mes intentions, poétiques et fantaisist­es. C’est une nouvelle marche plus légère plus insouciant­e et plus séduisante que ces modèles valorisent.”

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