L'officiel Hommes

CULTURE FOOT

- Auteur HUBERT ARTUS

LE GÉNIE DES COACHS CAMÉLÉONS auteur Hubert Artus

Le Barça de Guardiola, le Real Madrid de Mourinho puis de Zidane, la Roja espagnole, les Bleus de Deschamps ou encore le Liverpool FC de Klopp : les cycles sont de plus en plus courts, entre les grandes victoires et le désenchant­ement. C’est pourquoi l’époque est celle des entraîneur­s sachant s’adapter avec souplesse.

“Les Anglais ont inventé le foot, les Français l’ont organisé, les Italiens le mettent en scène” : c’est une des phrases définitive­s énoncées par “King Eric” durant sa carrière de joueur, ce Cantona dont on ne sait jamais s’il improvise, s’il calcule ou s’il a profondéme­nt maturé sa sentence. Or, hier comme aujourd’hui, il y a un peu des trois chez Éric Cantona. Et, depuis vingt ans, il en va de même dans le football moderne : pour gagner, et plus encore pour marquer les esprits, il faut un grain et du pragmatism­e. De l’expérience et de l’aventure. De la rigueur et de la poésie. Jouer l’attaque un jour. Jouer la défense le lendemain. Sans se trahir. Varier selon le moment et l’adversaire. Être caméléon. Depuis deux décennies au moins, les équipes qui ont marqué les mémoires n’ont jamais eu le même style de jeu tout au long de leur pic de forme : l’espagne championne d’europe des nations en 2012 était plus rigide que celle, hyper offensive, championne d’europe en 2008 et du monde en 2010. Mais les deux gagnaient.

LES MODÈLES

De ce football de caméléon, l’exemple le plus criant des temps récents est le sacre du Liverpool FC, vainqueur de la Champions League en mai dernier. Un jeu offensif durant la quasi-totalité de la compétitio­n, et une finale où, comme son adversaire Tottenham, il joua en mode cadenassé. Mais il a fini par l’emporter (2-0). Attaquer reste son identité, mais jouer contre-nature demeure une possibilit­é – nécessité fait loi. Jusqu’à la fin du siècle dernier, avant que le football ne devienne lui aussi un élément de la mondialisa­tion (financière comme culturelle), le monde distinguai­t quatre philosophi­es de jeu. Le “football champagne” à la brésilienn­e (Garrincha, Pelé, Jairzinho), une samba pure, un jeu pratiqué par des étoiles, parfois égalé (le Barça 2005-2006 ; les Bleus de Platini en 1982-1986), jamais dépassé. En tout cas pas par le catenaccio (“verrou” en italien), un système ultradéfen­sif inventé par le Français Robert Accard, entraîneur du Stade français dans les années 1920-1930, porté à son paroxysme dans l’italie des années 1980 par la Squadra Azzura, et réutilisé par José “Special One” Mourinho jusqu’à la lie (et son licencieme­nt de Manchester United en décembre 2018). Le troisième est de style British Air Force, fait de transversa­les, de chandelles et de contre-attaques : le fameux kick and rush britanniqu­e. Le dernier est une révolution : le “football total”, créé du côté d’amsterdam au début des seventies. Un jeu fondé sur le mouvement incessant, sur une stratégie où les défenseurs montent à l’attaque. Dans ce jeu, chacun tient son rôle (défenseur, récupérate­ur, buteur), mais tous peuvent être passeurs, voire buteurs. Ce jeu-là a traversé l’europe de haut en bas, quand le Hollandais Johan Cruyff devint l’idole de Barcelone, puis l’entraîneur du Barça. Le “Hollandais volant” dirigeait alors une équipe dont le capitaine se nommait Pep Guardiola. La transition était là.

Johan Cruyff s’est éteint le 24 mars 2016 à Barcelone. En 2019, on a revu son modèle en action. C’était du côté d’amsterdam, et de cet Ajax qui éliminait le Real Madrid en Champions League. Le Real de Zidane, triple tenant du titre. Et l’ajax l’essora en jouant “football total”. La tradition demeure.

Pourtant, son visage le plus connu a su mettre du pragmatism­e dans sa philosophi­e révolution­naire. Un an après avoir quitté le banc barcelonai­s, Pep Guardiola alla en effet entraîner au pays de la rigueur, économique comme footballis­tique : au Bayern Munich. Arrivé ensuite à Manchester City, il a offert au club deux nouveaux titres nationaux. Sans pour autant faire rêver la ville anglaise par des exploits en Coupe d’europe. Et tous les matchs des Citizens ne sont pas des chefs-d’oeuvre de spectacle. Même si L’ADN reste l’attaque, l’équipe comme le coach savent jouer serré et placé.

SUPPLÉMENT D’ÂME

A contrario, une autre formation anglaise a surpris dans sa tactique : Chelsea. De tout temps un des symboles même du boring football si souvent reproché aux pratiquant­s du kick and rush, le club de Londres s’était converti au plaisir, le temps d’une saison, en 20122013, notamment en associant trois numéros 10 : le Belge Eden Hazard, l’espagnol Juan Mata et le Brésilien Oscar. Les spécialist­es auront noté que le coach espagnol Rafael Benitez avait transposé le modèle de… Michel Hidalgo, sélectionn­eur des Bleus lors du Mundial 1982, quand il associa Giresse, Platini et Genghini. Bien qu’il remportât l’europa League (la petite Coupe d’europe) en 2013, le club choisit de le remplacer par… José Mourinho, de retour après un premier passage entre 2004 et 2007. Mourinho, chez qui la fantaisie n’a pas le droit de cité. Mourinho qui, après un passage au Real Madrid et à Manchester United, a tellement usé ses joueurs que son football, si estampillé années 1990-2000, ne lui assure même plus un banc – seulement une place de commentate­ur maussade, déplorant les prises de risque romantique­s de son ancien joueur Frank Lampard, désormais aux commandes de Chelsea. Le “Special One” n’a pas su adapter sa philosophi­e de jeu à l’époque et aux joueurs, là où Guardiola, son ennemi intime, a su adapter la sienne.

Désormais, le plus grand concurrent de l’espagnol est allemand : Jürgen Klopp. Après avoir fait vibrer la Ruhr, le pays puis l’europe grâce aux exploits du Borussia Dortmund, Klopp passa d’un mur (de supporters) jaune à un mur (idem) rouge. Posant ses valises de coach à Liverpool, il ne changea pas d’hymne, puisque le fameux You’ll Never Walk Alone est celui de chacun des deux clubs. “Je vois probableme­nt le football comme la plupart des gens : il faut le rendre excitant, il faut être dévoué, tout donner, être intelligen­t, courageux en attaque comme EN DÉFENSE, MAIS SURTOUT, ET C’EST TRÈS IMPORTANT, à LA fin, TU DOIS GAGNER”, disait-il dans une interview l’été dernier au mensuel français Onze Mondial. Adepte du jeu de passes tout en mouvements, il a toujours su s’adapter au contexte et à l’objectif. “Pour moi, la philosophi­e la plus importante est la victoire. C’est ce pour quoi on joue tous. […] Il y a plusieurs moyens d’y parvenir et je pense que ma carrière démontre que j’ai choisi une manière positive d’y parvenir”, poursuivai­t-il. La manière positive, ce supplément d’âme sans lequel vous êtes condamné à ne pas vous renouveler. Manière positive : si vous l’avez, vous vous adaptez sans vous trahir. Et vous gagnez.

 ??  ?? Pep Guardiola, entraîneur de Manchester City, lors du match entre son équipe et le Dinamo Zagreb, à Manchester, le 1er octobre 2019.
Pep Guardiola, entraîneur de Manchester City, lors du match entre son équipe et le Dinamo Zagreb, à Manchester, le 1er octobre 2019.
 ??  ?? Zinedine Zidane lors de la rencontre opposant le Real Madrid et Liverpool à Kiev, le 26 mai 2018.
Zinedine Zidane lors de la rencontre opposant le Real Madrid et Liverpool à Kiev, le 26 mai 2018.
 ??  ?? Rafael Benitez, lors du match de Premier League Watford FC vs Newcastle United, le 29 décembre 2018.
Rafael Benitez, lors du match de Premier League Watford FC vs Newcastle United, le 29 décembre 2018.

Newspapers in French

Newspapers from France