SKATE TOUJOURS
Pour le lancement de sa montre unisexe Grip, la maison Gucci mise sur l’une des subcultures urbaines iconiques de la fin du xxe siècle : le skate. Et même si les nouveaux créateurs ont déjà usé et abusé du genre, le projet initié par Alessandro
Michele s’avère l’un des plus beaux jamais réalisés sur le sujet. De quoi remettre cette communauté à l’esthétique emblématique au coeur de la tendance.
L’UNIVERS DU SKATEBOARD, QUE LA MARQUE ITALIENNE GUCCI QUALIFIE DE “sincère, radical, divers et inclusif”, semblait prédestiné à accompagner le lancement de cette montre unisexe et joueuse baptisée Grip, en référence au nom du ruban que les skateurs collent sur leur planche, qui s’agrippe littéralement au poignet.
NOUVELLE ÉNERGIE
Il faut bien le reconnaître, Alessandro Michele, directeur de création PROLIFIQUE DE LA MAISON GUCCI, S’INTÉRESSE DEPUIS UN LONG MOMENT Déjà à la communauté de ces aventuriers du bitume. Il évoquait encore récemment dans les backstages Gucci Croisière 2017 sa fascination pour les cultures nées de la rue, dont celle du skate, découvertes lors de son premier séjour à Londres dans les années 1980. Une passion QU’IL PARTAGE AUJOURD’HUI AVEC BEAUCOUP D’AUTRES ACTEURS INFLUENTS DE LA mode. Ultime preuve que cette tendance revient, les magazines anglais se prennent d’un engouement soudain pour la planche à roulettes. The Face vient de publier un gros dossier de 16 pages sur le “crew” de Palace Skateboards, la marque anglaise de référence, photographiée à San Francisco par l’artiste Jim Goldberg. Au même moment, Another Man fait paraître un article sur le photographe mythique Hugh Holland, mondialement connu pour son livre Locals Only PARU à LA fin DES années 1970 et qui rempile aujourd’hui avec la sortie de Silver. Skate. Seventies, à la fois beau livre et exposition californienne.
Porté par cette nouvelle énergie, Alessandro Michele lance à son tour un projet collaboratif qui risque de faire date. Dans le cadre d’une exploration mondiale, avec sept villes participantes et autant de têtes
D’AFFICHE, IL INVITE DES SKATEURS ET ARTISTES DE TOUTES NATIONALITÉS à PARTAGER avec la marque italienne leur philosophie de glisse urbaine, devant et derrière l’objectif. L’occasion de rencontrer de sacrées communautés, venues en famille et entre amis, des personnalités de tous âges et de tous genres. Envoyées depuis Londres, Paris, Rome, Tokyo, New York, Shanghai et Séoul, les cartes postales sont extraordinaires. À Paris, on retrouve Unity, le très hype collectif skate queer itinérant, créé en 2017 à San Francisco par le couple d’artistes Jeffrey Cheung et Gabriel Ramirez. À Londres, c’est Clémentine Schneidermann, photographe française basée au pays de Galles, qui documente un casting de skateurs dans des sites typiques de Londres, alors qu’aux États-unis, c’est le Californien Noah Dillon qui portraitise le skateur new-yorkais Tyler Blue Golden. Un couple de jeunes skateurs chinois immortalisé à Shanghai, des skateuses photographiées avec leurs familles à Séoul, le Japonais Shinpei Ueno et son groupe d’amis artistes et musiciens réunis à Tokyo… À Rome, le photographe Niccolo Berretta capture des skateurs autochtones dont Orlando Miani, vu dans la campagne Gucci Croisière 2020.
Pour donner le coup d’envoi de ce projet inédit, la marque Gucci a dévoilé, en octobre dernier sur Brick Lane, à Londres, un tout nouvel artwall (sorte de billboard maison) représentant une illustration de l’artiste, designer et directeur artistique britannique Kieron Livingstone, leader du collectif multiplate-forme Project Zoltar, pur produit de la scène punk-rock britannique, qui existe depuis plus de dix ans. Sans oublier un jeu vidéo, de skate bien sûr, qui vient enrichir Gucci Arcade, la nouvelle rubrique de l’application Gucci aux doux parfums de jeux vintage.
Auteure SÉRAPHINE BITTARD LE SKATE ET LA MODE, UNE HISTOIRE SANS FIN
Né en Californie dans les années 1950-1960, le skateboard a d’abord été influencé par la culture surf. Sport qui flirte souvent avec l’illégalité, il séduit la jeunesse émancipée des seventies. La réalité de la rue en a fait vite une activité de misfits autoproclamés, ou “skate rats”, même si la diffusion sur ABC du World Professional Championship aide à sa démocratisation. Dès les années 1980 et alors qu’elle est en pleine explosion, l’industrie de la mode récupère ce symbole fort d’indépendance pour booster l’émergence du streetwear, dérivé certes du hip-hop de la côte Est, mais aussi de la culture glisse et de la scène punk californienne. À la fin de la décennie, l’esthétique s’affirme, jusqu’à exister encore aujourd’hui: T-shirts oversize, shorts et jeans baggy, sweat-shirts à capuche, sneakers montantes et casquettes de baseball portées à l’envers…
Alors que l’on parle déjà d’un business streetwear s’élevant à 300 millions de dollars, le phénomène
“skate wear” est peut-être, comme l’observe le journaliste Ralph Rugoff dès 1992, “en train de subir le même destin que le punk : il est institutionnalisé et marketé pour une audience de masse”.
PAR LA GRANDE PORTE
Ce n’est pas un hasard si, deux ans plus tard, le Victoria & Albert Museum de Londres fait l’acquisition de centaines de vêtements de rue – dont un total-look de skater – pour une exposition intitulée “Street Style: From Sidewalk to Catwalk”. Pourtant, et même si les designers des maisons de luxe ont toujours été fascinés et inspirés par l’esthétique des subcultures, il faudra attendre 2010 pour que le skate wear fasse son entrée par la grande porte. Cette année-là, Hermès lance une campagne inspirée du “finger skating”, prolongée en 2011 par une collaboration avec la marque Vans. L’année suivante, le créateur Gosha Rubchinskiy publie Transfiguration, un recueil de photographies mêlant jeunes skateurs de Saint-pétersbourg et iconographie orthodoxe (oui, le sport est une religion!). Au même moment, la créatrice Phoebe Philo, alors chez Céline, prend le relais sur le sujet et signe avec le photographe Juergen Teller une campagne mêlant skate et art, avec la mannequin Daria Werbowy. Puis c’est au tour de Louis Vuitton de sortir en 2015 une campagne avec le skateur Alex Olson, et de Chanel en 2016 d’inviter le longboard skateur Adam Crigler pour sa campagne parfum Allure Homme Sport. La maison Kenzo défile au skatepark de La Villette, et beaucoup de marques y vont de leur skate brandé : Isabel Marant et Marc Jacobs en 2013, puis Emilio Pucci, Chanel et Saint Laurent en 2015.
Encore un peu, et c’était la skate culture qui récupérait le secteur mode ! On n’en sera pas loin ce jour de janvier 2017 où la collaboration Supreme x Louis Vuitton fera l’effet d’une bombe.