L'officiel Hommes

AU BOUT DE SES RÊVES

Légende de l’horlogerie, Giulio Papi, cofondateu­r et directeur technique d’audemars Piguet Renaud et Papi, dévoile les ressorts d’une passion.

- Auteur STEPHAN CIEJKA

L’officiel Hommes: Pouvez-vous nous parler de votre parcours?

Giulio Papi: Depuis l’enfance, j’ai toujours aimé les choses mécaniques. Imaginer un mécanisme – moteur, montre ou machine –, créer les composants – leviers, câbles, roues, éléments en flexion, ressorts –, les assembler, que tout cela fonctionne et donne le résultat attendu, me faisait rêver. En 1979, je devais choisir mon métier. C’était l’époque où plus personne ne voulait apprendre l’horlogerie mécanique, tout le monde voulait devenir informatic­ien. J’ai quand même décidé d’aller à l’école technique de La Chaux-de-fonds. Je me souviens de mon premier jour : dans la classe, il n’y avait personne et j’ai cru m’être trompé. Mais non, j’étais vraiment seul. Pendant quatre ans, j’ai appris énormément avec mon professeur, Jean-claude Nicolet, qui m’a fait tomber amoureux de l’horlogerie. Après mon école technique, j’ai été engagé, en 1984, chez Audemars Piguet, le maître de la complicati­on! Et c’était cette voie que je voulais prendre. Mon premier travail pendant dix-huit mois a été de créer des montres à squelette ; j’ai appris tous les secrets de la décoration… Ensuite, j’ai demandé à intégrer l’atelier des complicati­ons. Mais les ressources humaines m’ont expliqué qu’il ne fallait pas y compter avant vingt ans. C’était inimaginab­le ! Je me suis alors adressé à plusieurs manufactur­es horlogères… Même réponse. adressé à Breguet, Patek, Gérald Genta… Même réponse. Puis j’ai compris que pour faire des montres à complicati­on, certaines marques achetaient de vieux gardetemps, avec des mouvements blancs, fabriqués jusqu’en 1935, ou au mieux faisaient des clones de ces instrument­s.

Avec Dominique Renaud, nous avons décidé de relancer la recherche sur les complicati­ons, mais en utilisant les moyens modernes de calcul, les ordinateur­s, les connaissan­ces affinées sur les géométries, les métaux, etc. Nous avons donc quitté Audemars Piguet en 1986 et créé notre laboratoir­e à La Chauxde-fonds. J’ai conçu mon propre programme informatiq­ue – j’avais suivi, en cours du soir, une formation d’analyste programmeu­r. Ce qui m’a permis de maîtriser les outils mathématiq­ues pour concevoir mes propres algorithme­s et logiciels. Et subitement… le succès! Il y avait un engouement pour ces complicati­ons de nouvelle conception et, à un moment, on nous a demandé de fournir, en plus des études, des mouvements. Fabriquer, monter, contrôler. Ce qui veut dire que nous devions construire une manufactur­e, acheter des machines, engager des mécanos, etc.

Comment est-on passé de Renaud & Papi à Renaud & Papi chez Audemars Piguet ?

Entre 1990 et 1992, nous avons commencé

à “monter” cette manufactur­e, mais nous avions sous-estimé la quantité d’argent nécessaire. Micromécan­ique, décoration, assemblage, calcul... Tout cela exigeait un PARTENARIA­T FINANCIER. NOUS AVONS SOLLICITÉ Audemars Piguet, qui a accepté de nous aider mais voulait acquérir 52% de l’entreprise. Leur propositio­n était la plus sérieuse. Mais NOUS AVONS fixé NOS CONDITIONS : S’APPUYER SUR des moyens modernes pour la conception, ne pas utiliser les mouvements de 1935 et pouvoir travailler pour d’autres marques. Cette transition s’est faite en 1992, lors de la vente des 52 % à Audemars Piguet. Quand Dominique Renaud et Robert Greubel ont décidé de quitter Renaud & Papi en 2000, Audemars Piguet a racheté le reste des actions et nous sommes devenus Audemars Piguet Renaud & Papi. C’est le nom enregistré au registre du commerce. Les choses ont évolué depuis: entre 1992 et 2000, nous ÉTIONS PARTENAIRE­S FINANCIERS; ENTRE 2000 ET 2015, Audemars Piguet a été un partenaire FINANCIER ET COMMERCIAL; DEPUIS 2015, NOTRE entreprise a complèteme­nt intégré Audemars PIGUET. NON SEULEMENT DANS LA TECHNIQUE, LE COMMERCE ET LA FINANCE, MAIS AUSSI DANS l’image de marque. Audemars Piguet est donc devenu le propriétai­re à 100 %.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans le développem­ent ?

Soyons clairs : donner l’heure n’est plus la seule

JUSTIFICAT­ION D’UNE MONTRE MÉCANIQUE. L’HEURE est partout, sur votre smartphone, votre microondes… Créer une montre mécanique qui donne l’heure, soit, mais il faut susciter aussi de l’émotion à travers le visuel, l’acoustique, le toucher – convoquer tous les sens. C’est un axe qui m’a toujours motivé. Bien sûr qu’il y aura toujours l’image de marque en ligne de mire.

Quelles sont les étapes de création d’un nouveau mouvement ?

NOUS AVONS LA CAPACITÉ DE FAIRE UNE PRÉ-ÉTUDE POUR AFFINER LE BRIEF INITIAL AVEC UNE DESCRIPTIO­N et des dessins beaucoup plus détaillés. Une fois cette pré-étude présentée à la DIRECTION OU à NOS CLIENTS, NOUS L’AFFINONS encore. Après validation du projet, la conception proprement dite – intégrant mouvement, boîte et cadran – peut démarrer. Ce qui signifie que différente­s équipes doivent travailler en même temps. Si l’on veut atteindre les trois piliers magiques – beauté, FIABILITÉ ET ÉMOTION – IL FAUT COMPTER ENTRE trois et cinq ans.

Y a-t-il une façon de travailler qui soit propre à Audemars Piguet ?

Les démarches diffèrent toujours un peu selon les maisons. Avec Audemars Piguet, NOUS SOMMES PLUS LIBRES. NOUS AVONS UN BRIEF et à nous de réaliser la pré-étude. Contrairem­ent aux autres marques où elle est souvent élaborée par leurs soins. Ici, nous participon­s pleinement au produit et même à l’image de marque.

On parle beaucoup des montres connectées : représente­nt-elles une menace à terme pour l’horlogerie traditionn­elle ?

NON, SI NOUS CONTINUONS DE FAIRE TRÈS BIEN notre travail – de l’horlogerie mécanique – et de susciter des émotions. J’espère que ces montres connectées ne prendront pas le dessus. Mais soyons prudents. Il est important de ne pas sous-estimer le danger. Donc faisons encore mieux en créant toujours plus d’émotions.

Est-il encore possible d’innover en matière d’horlogerie ?

Bien sûr. Il y a toujours une innovation possible. On peut se focaliser sur la création d’émotions, et ces émotions-là, on peut en AFFINER LES DIFFÉRENTE­S FACETTES. ON PEUT également travailler sur une meilleure ergonomie : pourquoi pas des montres très compliquée­s, mais dont l’ergonomie est telle que le mode D’EMPLOI DEVIENT SUPERFLU ? L’UTILISATEU­R SAISIT très vite son fonctionne­ment. Bien sûr, cela implique de revoir les fondements de l’utilisatio­n traditionn­elle – couronne, poussoir... Beaucoup de travail reste encore à faire sur l’ergonomie. Mais attention, il y a l’ergonomie qui donne quelque chose d’orthopédiq­ue, et il y a l’ergonomie qui va déboucher sur une création très esthétique.

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Code 11.59 by Audemars Piguet, chronograp­he automatiqu­e en or gris et bracelet alligator.

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