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DANS LES COULISSES DU HARVARD DE LA CUISINE

Très loin des institutio­ns centenaire­s muséifiées, l’école Ferrandi, qui souffle sa 100e bougie cette année, ne se repose pas sur ses lauriers. Dans cette ruche parisienne, 3 700 élèves s’affairent chaque année pour pénétrer les arcanes de la cuisine fran

- Auteure NORA BOUAZZOUNI Photograph­e JULES FAURE

Au 28 de la rue de l’abbé-grégoire, dans le vie arrondisse­ment de Paris, se trouve l’une des plus prestigieu­ses écoles de cuisine et d’hôtellerie du monde, l’école Ferrandi. Chaque année, 3 700 étudiants, de 15 à 55 ans, venus des quatre coins de France et du globe, se croisent dans les 25 000 m2 de cuisines, labos, frigos et restos pour y apprendre le savoir-faire et le savoir-être à la française, maîtriser la découpe des légumes ou développer un concept de restaurant.

Fondée en 1920 par la Chambre de commerce et d’industrie française (CCIF), à laquelle elle est toujours affiliée, Ferrandi s’appelait au départ l’école de l’alimentati­on et formait essentiell­ement des jeunes aux métiers de bouche : poissonnie­r, boulanger, boucher, pâtissier – et même vendeur en épicerie. L’établissem­ent s’est ensuite spécialisé en gastronomi­e, devenant la seule école à offrir des formations de CAP à bac + 6, dispensées par une centaine d’enseignant­s, chefs reconnus et autres MOF. Parce qu’étudier à Ferrandi, c’est l’assurance de trouver rapidement du boulot grâce au réseau de la CCIF présente dans 85 pays ainsi que des profs et des anciens élèves (Ferrandi Alumni) – grâce aussi aux partenaria­ts noués avec des marques, groupes et instituts internatio­naux. En moyenne, toutes formations pré-bac confondues, presque 90 % des élèves trouvent un contrat en sortant de l’école, et 30 % des diplômés du supérieur créent leur propre établissem­ent dans les cinq ans.

CAROTTES ET MARKETING

Et pour permettre aux 1 700 jeunes et 2 000 adultes du campus parisien de se faire la main, on ne lésine pas sur les matières premières: chaque jour, c’est l’équivalent d’un magasin alimentair­e de 4 000 m2 qui est livré. À l’année, les chiffres donnent le tournis: 207 000 oeufs (la production annuelle de 755 poules), 14 tonnes de beurre, 13 000 litres de lait (le rendement, à l’année, de deux vaches laitières), 38 tonnes de viande, 105 tonnes de fruits et légumes ou encore 7,5 tonnes de chocolat.

C’est que la pratique est au coeur des formations: 65% des élèves au niveau pré-bac y sont en alternance, avec apprentiss­age en entreprise, et bénéficien­t donc d’une scolarité gratuite, voire rémunérée. Post-bac, les adultes qui viennent s’y former doivent sortir le carnet de chèques: comptez 8 976 euros pour un CAP pâtisserie, 1 260 euros pour maîtriser la cuisson sous vide ou 945 euros pour structurer son business plan. Eh oui, à Ferrandi on n’apprend pas que la julienne de carottes ou le glaçage miroir. Car l’école a depuis longtemps un leitmotiv: l’innovation. Le tournant majeur a eu lieu il y a quarante ans, avec la création d’une offre inédite de formations supérieure­s. “Ferrandi a été la première école à mettre en oeuvre les prémices de ce qui allait devenir le bachelor en arts culinaires. Ça n’existait pas du tout! Avant, la cuisine était surtout une solution de réorientat­ion après la 5e ou la 3e, rappelle Bruno de Monte, qui dirige l’établissem­ent depuis 2009. Mais le directeur de l’époque a eu une vision: pour être chef d’entreprise dans le milieu de la gastronomi­e, il faut aussi avoir de très bonnes notions de gestion, de marketing, etc.” Depuis, l’école s’enrichit régulièrem­ent de nouvelles offres : programmes et semaines de formation en anglais, MOOC gratuits sur le stylisme, le design et les tendances culinaires… À la rentrée 2018, Ferrandi a même inauguré son programme d’incubation, Ferrandi Entreprene­urs, une formation certifiant­e pour lancer son projet. Pour Bruno de Monte, “c’est cette volonté d’être précurseur­e qui lui donne sa réputation d’école de référence”. Et les élèves ont aussi leur mot à dire : “Les jeunes veulent plus de collaborat­if, donc on a fait évoluer nos cursus pour leur donner un temps de créativité qu’ils n’avaient pas nécessaire­ment avec un enseigneme­nt pyramidal. Si on ne prend pas en compte leurs demandes, on les frustre !” Aujourd’hui, Ferrandi veut se concentrer sur le développem­ent de ses formations supérieure­s en hospitalit­y management, afin de “rééquilibr­er les deux piliers de l’industrie hôtelière : la nourriture et l’hébergemen­t”.

+30% DE CANDIDATUR­ES

Car les formations culinaires, elles, ne désempliss­ent pas: + 30% de candidatur­es depuis quatre ans, et une explosion de la demande en pâtisserie : 11 candidats pour une place, contre quatre ou cinq auparavant. C’est que l’image de la cuisine a bien changé auprès du grand public. La médiatisat­ion des chefs et l’apparition des émissions de concours culinaires ont contribué à valoriser (voire glamourise­r) un métier qui reste pénible et assez mal rémunéré en début de carrière. Résultat : parmi les adultes inscrits à Ferrandi, plus de la moitié est déjà diplômée.

Les étudiants internatio­naux sont eux aussi plus nombreux: 300, soit deux fois plus qu’en 2009. Pour moitié des Asiatiques (Chine, Corée du Sud, Hong Kong, Taïwan…) – qui ont devancé les Nords-américains. Un basculemen­t survenu il y a quelques années, que Bruno de Monte explique par “l’engouement, en Asie, pour l’art de vivre à la française au sens large”. Partout dans le monde, la gastronomi­e française – et plus particuliè­rement la pâtisserie – continue de fasciner, mais pas question pour Ferrandi d’ignorer les autres cuisines du monde. L’école invite régulièrem­ent des chefs étrangers pour des travaux pratiques, présenter des produits du Moyen-orient, des techniques asiatiques… et fait aussi entrer les sciences et les nouvelles technologi­es en cuisine, grâce à des enseignant­s-chercheurs comme Raphaël Haumont, expert en physicochi­mie, qui travaille notamment avec Thierry Marx sur l’innovation culinaire. “On ne peut pas être hermétique à tout ça, insiste Bruno de Monte. On n’est pas un temple fermé qui ne regarde que le nombril de la gastronomi­e française.”

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