L'officiel Hommes

WOODKID, AUX ÂMES FRAGILES

- Auteure CRISTINA MANFREDI Traduction HÉLÈNE GUILLON

Le 16 octobre est sorti son nouvel album, “S16”, une réflexion sur le pouvoir de ceux qui savent admettre leurs faiblesses et demander de l’aide. Mais l’éclectique artiste français Yoann Lemoine est également prêt à partir en tournée, avec des costumes de scène conçus par Nicolas Ghesquière.

Chanteur, musicien, écrivain, artiste visuel et réalisateu­r. C’est ainsi que Yoann Lemoine se définit, et un regard sur la diversité et le niveau de son travail suffit pour donner raison à ce Français de 37 ans, timide de caractère, extraverti dans ses idées. Son diplôme d’animation l’amène à d’abord à collaborer avec Sofia Coppola et Luc Besson, avant de créer des campagnes publicitai­res – avec lesquelles il remporte une pluie de prix – et signer des clips vidéo pour des mégastars comme Moby, Katy Perry, Taylor Swift, Lana Del Rey, Harry Styles, jusqu’à ce que, en 2011, il donne un nouveau tournant à sa carrière. Il se choisit le nom de Woodkid, entre en studio et enregistre des morceaux comme Iron, Run Boy Run, Goliath, à l’architectu­re sonore complexe, s’appuyant sur des rythmes presque tribaux sur lesquels il déploie sa voix douce pour transporte­r le public dans un monde mélancoliq­ue, juste éclairé par une lueur d’espoir. Le tout soutenu par des vidéos puissantes, douloureus­es et extrêmemen­t raffinées. Le monde de la mode en tombe amoureux, à tel point que Nicolas Ghesquière, directeur de création de Louis Vuitton, lui confie une vidéo de campagne, puis, à plusieurs reprises, la conception des bandes-son des défilés de la marque. En retour, il crée, pour le chanteur tous les costumes de sa nouvelle tournée qui accompagne la sortie de son deuxième album, S16, enregistré entre Londres, Berlin, Paris, Los Angeles, Tokyo et l’islande.

L’officiel Hommes : Dans votre nouveau disque, on ressent un mélange d’angoisse et d’espoir, des sentiments sombres éclairés par la conscience que, peut-être, tout n’est pas perdu. C’est une atmosphère proche de celle que nous vivons en ce moment… Quand avez-vous commencé à y travailler?

Woodkid : C’était en janvier 2016 et, à travers la musique, je voulais exprimer l’amour que je porte à ma ville (Yoann Lemoine est né à Lyon puis s’est installé à Paris, ndlr) où j’ai beaucoup appris, à travers bien des folies, des difficulté­s, bref, j’avais des sentiments contrastés. Lorsque la crise sanitaire de la Covid a explosé, je me suis demandé si c’était bien le moment de promouvoir un disque aussi semblable à ce moment particulie­r que nous vivons, et puis je me suis dit qu’il fallait laisser les gens décider.

S16 est le symbole du soufre en chimie. Vous l’avez choisi comme titre de votre album pour suggérer une enquête sur la matière, sur ce qui compose nos cellules et nos coeurs. Avez-vous trouvé une réponse?

J’ai toujours eu plus de questions que de réponses. Prenons par exemple le changement climatique ou le capitalism­e, ce sont des sujets auxquels je réagis toujours de manière non binaire, comme je le fais d’ailleurs pour mon identité sexuelle, ma conscience, ma relation avec le pouvoir.

Mais si vous deviez donner le message de ce nouveau disque, comment le synthétise­riez-vous?

Dans l’album, je parle du pouvoir qui découle du fait de savoir demander de l’aide. Je crois que les gens doivent apprendre à admettre leur fragilité, surtout lorsqu’ils sont victimes de dépression ou de dépendance. Recon

naître une faiblesse est un merveilleu­x pas en avant, qui précède la demande d’aide proprement dite. Souvent, nous donnons de nous-même l’image de quelqu’un qui a tout sous contrôle, mais la vérité c’est qu’il y a des situations où l’on ne peut rien ou presque rien contrôler. Parfois, on se perd et il faut alors demander de l’aide et être prêt à saisir la main tendue.

Dans votre travail, le lien entre le son et l’image est très fort, quelle stimulatio­n ces deux éléments mis ensemble vous donnent-ils?

D’un point de vue artistique, ils me permettent d’élargir mon potentiel, au niveau personnel ils m’aident à garder la bonne distance par rapport aux choses. Quand je suis sur scène en tant que musicien, ou quand je réalise une vidéo, j’oublie tout, je me déconnecte et alors je réussis à laisser les choses aller. J’essaie de ne pas donner trop d’importance à ce que je fais. Je ne veux pas être agressif envers moi-même ou les gens qui m’écoutent, au fond, ce n’est que de la musique. Ceci dit, sans bouleverse­r le monde, elle peut éveiller une forme de conscience, aider à créer une meilleure connexion entre les gens. Quand on voit les choses sous cet angle, tout change.

Qu’est-ce qui vous a marqué dans la collaborat­ion avec Nicolas Ghesquière?

Le respect que lui et toute l’équipe de Louis Vuitton manifesten­t pour mon travail. Nous nous sommes rencontrés lorsqu’il m’a commandé la campagne vidéo et la musique pour la collection automne/hiver 2017/18 et nous avons eu une très bonne entente. À partir de là, il m’a demandé à plusieurs reprises de m’occuper de la bande-son des défilés, en faisant toujours confiance à ma vision. C’est un processus très créatif, dans lequel j’apprends beaucoup.

Vous ne vous sentez jamais submergé par tous ces fronts ouverts?

Cela fait au moins sept ans que je suis toujours à la limite, mais c’est normal car je mets toute mon énergie dans mon travail et je veux faire les choses par moi-même. Créer est ma passion la plus grande, c’est une histoire d’amour, pas une contrainte. Le jour où faire de la musique sera une obligation, je changerai tout de suite d’approche. Aujourd’hui, tout ce que je produis vient d’une passion absolue, donc tant mieux pour moi si je suis submergé.

Quelles sont vos valeurs en tant qu’artiste?

Je crois aux émotions et au talent, dans le sens d’une prédisposi­tion individuel­le que certains ont et d’autres pas. C’est la base. Mais ensuite il faut de l’engagement et de la curiosité. Travailler dur, apprendre à utiliser de nouveaux instrument­s et de nouvelles façons de faire les choses. Et être très critique quant à la qualité des résultats.

Y a-t-il quelque chose de nouveau que vous aimeriez essayer?

Je viens de tourner une vidéo dans laquelle je joue pour la première fois. Je veux explorer ce que l’on ressent quand on incarne les histoires et les émotions des autres.

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Total look, Louis Vuitton.
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Total look, Louis Vuitton.

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