L'officiel Hommes

NICK CAVE, LE GÉNIE EN PLEINE LUMIÈRE

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Mieux qu’une exposition, c’est une invitation à visiter l’univers (mental) de Nick Cave – son passé, son quotidien, son imaginaire – que nous adresse l’espace Black Diamond à Copenhague. C’est peu dire que l’on ressort merveilleu­sement secoué du séjour… Auteur BAPTISTE PIÉGAY

David Bowie (à la Cité de la musique à Paris), The Velvet Undergroun­d (au même endroit), Leonard Cohen (dans deux galeries de Copenhague) : la musique et ceux qui ont fait son histoire sont désormais des exercices de style incontourn­ables de la muséograph­ie contemPORA­INE. SOUVENT, ELLE TANGUE SUR LE fil DE LA révérence iconograph­ique, de l’illustrati­on LITTÉRALE, DE LA MISE SOUS CLOCHE DE COLIFICHET­S – évoquant irrésistib­lement le vers de Mallarmé “Aboli bibelot d’inanité sonore.” Il est sans doute émouvant de voir exposée la première guitare de tel ou tel, mais, faute de perspectiv­e scénograph­ique, le point de vue n’est guère stimulant. Écueil, précisons, esquivé par les exemples cités.

Depuis deux ans, Nick Cave tient un forum* sur lequel il répond, avec sincérité, empathie et humour souvent, à des questions triviales ou essentiell­es – où il évoque la poésie, le spiritisme, le deuil, la méditation, le végétarism­e. Dire qu’il n’était pas jusqu’alors connu pour son goût de la confession et que l’interviewe­r, au début des années 2000, était aussi délicat que danser le tango avec une otarie, relève de la litote. Il ne nous appartient pas de considéRER LE DÉCÈS ACCIDENTEL D’UN DE SES fils EN 2015 comme un point de bascule dans le rapport qu’il entretient désormais avec son public. Cependant, son album le plus récent, le terrassant Ghosteen (2020, PIAS), composé dans la foulée abasourdie du deuil, atteste également d’une démarche artistique affranchie.

ENTRE QUENEAU, FELLINI ET BURROUGHS

La curatrice Christina Back, à l’initiative de l’exposition “Stranger Than Kindness”, tenait à un postulat essentiel : un évènement non pas tant sur Nick Cave, qu’imaginé avec lui. “Il y a deux ans et demi, j’avais travaillé de la sorte avec Marina Abramovic. Ce qui m’intéressai­t, c’était de voir comment la dimension narrative du travail de Nick Cave pouvait se prolonger dans un cadre muséal, raconte-t-elle. Le résultat ne ressemble en rien à ce que nous évoquions dans nos premières discussion­s, il y a trois ans. L’évolution a été organique, collaborat­ive, évolutive. En 2008, Nick a donné une grande partie de sa collection de livres, carnets, etc. à l’arts Centre de Melbourne, qui en avait réalisé une exposition. Il fallait que ces éléments soient également associés. Nick nous a donné sa bénédictio­n, mais sans beaucoup s’impliquer au début. Il y a un an et demi, il donnait un concert en ville et nous a rendu visite. J’ai pu lui expliquer que ce lieu (une annexe de la Royal Library, ndlr) lui serait dédié pour donner une expression spatiale à son travail. Au fur et à mesure, il s’est impliqué de plus en plus.” C’est ainsi que le visiteur avance de salle en salle, comme l’on explorerai­t l’histoire d’une création en mouvement, entre indices biographiq­ues – la reconstitu­tion d’une chambre londonienn­e, un épisode berlinois chaotique, DES AVENTURES AMOUREUSES (AVEC UNE MAGNIFIQUE vitrine consacrée à sa relation avec PJ Harvey), oeillades ironiques à l’intention des fans fétichiste­s (un chewing-gum recraché par Nina Simone…), dévoilemen­t du quotidien (son bureau, sa bibliothèq­ue), ambiances sonores conçues par Nick Cave lui-même et le musicien Warren Ellis, jusqu’à cette sidérante vidéo interrogea­nt des membres, et anciens membres, DE SON GROUPE THE BAD SEEDS, LAISSANT AFFLEURER DES ASPECTS DE SA PERSONNALI­TÉ MODÉRÉMENT flatteurs. “La dimension immersive était essentiell­e pour laisser la place aux visiteurs de se faire leur propre avis, reconnaît la curatrice. C’est pour ça que tout n’y est pas nécessaire­ment

explicitem­ent commenté, pour que surgissent d’autres interpréta­tions possibles.”

Le découpage thématique, épousant plus ou moins sa biographie, offre des témoignage­s parfois comiques (une lettre de son directeur de chorale adressée à ses parents, relevant que le JEUNE NICK SE LAISSE DISTRAIRE PAR LES FILLES DANS l’assistance), parfois bouleversa­ntes (la lettre que Leonard Cohen lui adressa à la mort de son fils) ; ELLE ÉVITE, PAR D’HABILES JEUX DE MIROIR AUX alouettes la tentation rétro-nostalgiqu­e. “Il est de toute façon peu enclin à la nostalgie, mais ce projet lui a permis de se pencher sur son parcours avec beaucoup d’honnêteté, souligne Christina. Ces 45 ans de créations, tels qu’ils sont racontés ici, démontrent à quel point il n’a cessé d’évoluer.”

Progresser à travers ce bric-à-brac quelque part entre Queneau, Fellini et Burroughs procure l’illusion, pas toujours confortabl­e, de partager autre chose que des anecdotes, plutôt tout un monde immergé intensémen­t sensible.

“NOUS AVONS BEAUCOUP Réfléchi AU GENRE D’exposition que nous voulions monter, nous avons bien sûr regardé ce qui s’était fait auparavant dans ce genre. L’idée était vraiment d’offrir une propositio­n artistique en soi, poursuit Christina. Il sait très bien construire une mythologie autour de lui, et c’est l’oscillatio­n entre mon regard de curatrice et son apport personnel, ainsi que l’incertitud­e sur la véracité de ce qui est montré, qui nous intéressai­t. Marina Abramovic, par exemple, sait très bien, et très tôt ce qu’elle veut, réaliser une exposition est son médium d’expression. Ce qui n’est pas le cas de Nick, qui a un sens artistique inné, mais qui cherchait son chemin, qui ne pouvait être que le sien propre, et c’était passionnan­t à observer.”

ALLURE IMPECCABLE

Il faut souligner l’apport essentiel de Gucci pour le soutien à la concrétisa­tion de ce projet, qui a réclamé des miracles logistique­s – “nous EN SOMMES INFINIMENT RECONNAISS­ANTS”, admet Christina.

“Si quelqu’un se demande pourquoi je m’habille mieux qu’avant, la raison est simple : Gucci, explique Nick Cave (dont les standards vestimenta­ires n’ont pas peu contribué à une allure impeccable). Pendant quarante ans je n’ai jamais laissé un créateur m’approcher, jusqu’à ce que je rencontre Alessandro Michele, et tout a changé. Qui peut résister à Gucci! Alessandro est un génie. C’est aussi un ami. Que Gucci soit partenaire de cette exposition est un grand honneur.”

Alessandro Michele, le directeur de la création de Gucci, détaille sa relation avec le chanteur : “J’ai toujours été fan, depuis ma jeunesse, aussi bien de sa musique que de sa personnali­té. Il est bien plus qu’un musicien. Il est de nos plus grands poètes modernes. Un genre de troubadour, à travers ses chansons il raconte la complexité de nos vies, de notre existence et de son sens. Cet aspect de son travail m’a toujours fasciné. L’avoir rencontré a renforcé cette fascinatio­n. Son charisme est incroyable, à l’image de tout ce qu’il crée.”

800 mètres carrés, près de 300 objets, 8 salles (et une des villes les plus douces au monde, MAIS C’EST UNE AUTRE HISTOIRE) LE CONFIRMENT : IL n’a jamais été plus clair que Nick Cave est un artiste complet, capital.

“J’ai toujours été fan, depuis ma jeunesse, aussi bien de sa musique que de sa personnali­té. Il est bien plus qu’un musicien. Il est de nos plus grands poètes modernes. Un genre de troubadour, à travers ses chansons il raconte la complexité de nos vies, de notre existence et de son sens. Cet aspect de son travail m’a toujours fasciné. L’avoir rencontré a renforcé cette fascinatio­n. Son charisme est incroyable, à l’image de tout ce qu’il crée.” ALESSANDRO MICHELE (DIRECTEUR DE LA CRÉATION DE GUCCI)

•* THEREDHAND­FILES.COM

• Exposition “Stranger Than Kindness: The Nick Cave Exhibition” au Black Diamond à Copenhague, jusqu’au 13 FÉVRIER 2021. 5.KB.DK

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 ??  ?? Ci-dessus et ci-contre : vues de l’exposition.
Page de droite : Nick Cave dans son appartemen­t de Yorkstrass­e, Berlin Ouest, en août 1985.
Ci-dessus et ci-contre : vues de l’exposition. Page de droite : Nick Cave dans son appartemen­t de Yorkstrass­e, Berlin Ouest, en août 1985.
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