L'officiel Hommes

EXPRESS YOURSELF - TAHAR RAHIM

Tahar Rahim est un acteur-né. Une bonté d’âme couplée à un jeu défiant les nombreux concurrent­s sur le sol français, et désormais internatio­nal. Rencontre.

- par Sophie Rosemont

En ce début d’année 2021 si incertain, Tahar Rahim récolte sur petit et grand écran le fruit du travail des dernières saisons. Tout d’abord dans The Mauritania­n (Désigné coupable en V.F.), qui raconte l’histoire vraie de Mohamedou Ould Slahi, emprisonné et maltraité à Guantanamo sans inculpatio­n ni jugement, qui y passera quinze ans de sa vie avant d’être enfin libéré. De quoi concourir aux Oscars! On retrouve également l’acteur français dans la série coproduite par Netflix et la BBC, The Serpent, où il incarne le serial killer Charles Sobhraj. Ces deux rôles puissants – et aux antipodes – confirment tout l’espoir mis en lui lors de son doublé gagnant aux César 2010 pour Un prophète. D’autant qu’il vient d’être nommé, deux fois encore, aux Golden Globes…

Comment entre-t-on dans la peau d ’un serial killer ?

L’OFFICIEL HOMMES : C’est une sacrée paire de manches ! En règle générale,

TAHAR RAHIM : il est plus difficile pour moi de rentrer dans un personnage que d’en sortir. Et ça a été pire encore pour The Serpent. J’avais du mal à comprendre comment quelqu’un pouvait tomber dans les griffes de ce serial killer et, surtout, comment saisir son manque d’empathie extrême. Alors, plutôt que de l’envisager dans son intériorit­é, j’ai travaillé de l’extérieur. J’ai réécouté les enregistre­ments, lu des témoignage­s, discuté avec celles et ceux qui l’avaient rencontré. L’aspect physique m’a aidé : le travail sur le teint, la perruque, le look de l’époque, la musculatio­n… Finalement, je me suis identifié à un serpent, particuliè­rement au cobra. Il est charmant mais, d’un coup, peut frapper très fort.

Comment vous êtes-vous retrouvé à jouer The Serpent?

L’OH : Mon agent américain m’a fait part de cette offre de la BBC

TR : et Netflix. Jouer un très vilain personnage était inédit pour moi. J’avais envie d’explorer ce terrain de jeu. Mais quand j’ai appris de qui il s’agissait, j’ai eu un choc car je connaissai­s déjà l’histoire de Charles Sobhraj. J’avais lu le livre de Richard Neville. Je savais aussi que William Friedkin avait préparé un film sur le sujet avec Benicio Del Toro, qui ne s’était pas fait…

Avant The Mauritania­n, vous aviez déjà tourné avec Kevin

L’OH : Macdonald sur L’aigle de la neuvième légion. Comment se sont passées ces retrouvail­les ?

L’aigle de la neuvième légion était mon deuxième film, je

TR : ne parlais pas encore très bien anglais… Il fallait retravaill­er ensemble! Quand Kevin m’a envoyé le script, j’ai d’abord craint d’être un simple outil sur ce genre de films qui ne m’intéressen­t pas tant que ça. Mais en lisant le scénario, j’ai été très ému et j’ai accepté. Face à son courage de faire ce film – car le sujet reste controvers­é –, je ne peux être qu’admiratif. Au-delà du scénario, de la mise en scène et de Jodie Foster, c’est une histoire qui mérite d’être racontée pour Mohamedou Ould Slahi.

L’a-t-il vu ?

L’OH : Oui, et il a aimé. Quel soulagemen­t! Il n’était pas question

TR : de le décevoir. Je suis allé chercher au fond de moi ce qu’il avait dû ressentir, la souffrance, la honte. Le premier jour, j’ai refusé les menottes en mousse pour en porter des vraies, et j’en ai gardé des blessures jusqu’à la fin du tournage. Cela donne déjà une idée concrète de ce qu’il a endurer! Et puis je suivais un régime draconien pour le rôle. Cet état d’épuisement m’a permis de puiser au fond de mes émotions.

Vous avez dû apprendre le hassani pour incarner Mohamedou

L’OH : Ould Slahi. Ce qui ne fait qu’enrichir votre côté polyglotte. Tahar Rahim, citoyen du monde ?

Au cours des tournages, j’ai parlé le libanais, le gallique

TR : ancien, l’arménien. Ça m’amuse… Avant de devenir acteur, je voulais partir au bout du monde à la recherche de ma vocation. L’amour pour l’étranger, c’est celui pour la culture d’ailleurs, c’est la plus grande richesse dont on puisse se nourrir. Dans la tour où j’ai grandi, il y avait des gens qui venaient de partout. On était tous mélangés, on goûtait à tous les plats, on écoutait tous les récits des pères et grands-pères immigrés qui nous racontaien­t l’asie, l’afrique, le Maghreb, la France d’antan… Tout cela m’a nourri.

Comment vivez-vous ce contexte sanitaire anxiogène ?

L’OH : Je neveux pas trop me plaindre. Beaucoup d’autres nous

TR : vivent un enfer. Je savoure ma chance d’avoir ma femme, mes enfants, mes amis, un toit et un travail. C’est ce qui compte le plus, toujours. Bien sûr, certaines joies du quotidien me manquent : mon café, ma salle de sport… Pour me remonter le moral, je regarde des concerts sur petit écran : Michael Jackson, Stevie Wonder, U2, Marvin Gaye, Bob Dylan…

Êtes-vous un homme engagé ?

L’OH : Je fais ce que je peux à mon échelle. J’aide ceux qui vivent

TR : dans la rue, je réduis ma consommati­on… Si chacun bouge un peu, c’est systémique, les choses vont bouger.

The Serpent et The Mauritania­n traitent de la brutalité. Au

L’OH : cinéma, quelles scènes violentes vous ont le plus marqué ?

Il y en a deux, très différente­s. La première m’a mis

TR : profondéme­nt mal à l’aise car elle est aussi parfaiteme­nt réalisée que gore : c’est la scène de l’extincteur d’irréversib­le de Gaspar Noé. Cette tête qui s’écrase au fil des coups… La seconde, dans

Django Unchained de Quentin Tarantino, montre le personnage de Jamie Foxx fouetter l’un des frères Brittle. Après avoir vu agir ces racistes tout au long du film, cette violence fait un bien fou au spectateur!

Et quelles sont les scènes d’amour qui vous sont restées en tête?

L’OH : J’aime quand il y a des contrainte­s, il y a ce passage dans

TR : Little Big Man d’arthur Penn, avec Dustin Hoffman et Faye Dunaway, où leurs pieds s’entremêlen­t… C’est merveilleu­x. Je me souviens aussi de la scène dans l’escalier de A History of Violence de David Cronenberg, car il ne s’agit pas seulement de sexualité brute, ce qui ne m’intéresse guère, mais aussi de la révélation psychologi­que d’un personnage.

Aimeriez-vous écrire vous-même un film ?

L’OH : J’ai tenté il y a quelques années, mais je n’étais pas prêt. J’ai

TR : trop d’exigence, je ne me sens pas capable d’amener un propos là où je le souhaite. Du moins, pas encore…

“L’AMOUR pour L’ÉTRANGER, C’EST LA plus GRANDE RICHESSE DONT on puisse SE NOURRIR.”

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photos Raúl Ruz stylisme Simonez Wolf
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PAGE DE GAUCHE : Bomber-veste, SACAI. T-shirt, PETIT BATEAU. Pantalon, PRADA.
PAGE PRÉCÉDENTE : Bomber, CELINE PAR HEDI SLIMANE. Col roulé, DIOR. Pantalon, AZZARO. Derbies, REPETTO.
CI-CONTRE : Hoodie, CELINE PAR HEDI SLIMANE. PAGE DE GAUCHE : Bomber-veste, SACAI. T-shirt, PETIT BATEAU. Pantalon, PRADA. PAGE PRÉCÉDENTE : Bomber, CELINE PAR HEDI SLIMANE. Col roulé, DIOR. Pantalon, AZZARO. Derbies, REPETTO.
 ??  ?? CI-CONTRE : Col roulé, GUCCI. Pantalon, ISSEY MIYAKE. Montre, CARTIER. Sandales, ANTHOLOGY-PARIS.
PAGE DE DROITE : Manteau, PRADA. Col roulé, CELINE PAR HEDI SLIMANE. Pantalon, ISSEY MIYAKE. Montre, CARTIER. Sneakers Stan Smith, ADIDAS.
Coiffure : Ludovic Bordas. Maquillage : Anne Bochon. Assistant photo : Enzo Farrugia. Assistante stylisme : Séraphine Bitard.
CI-CONTRE : Col roulé, GUCCI. Pantalon, ISSEY MIYAKE. Montre, CARTIER. Sandales, ANTHOLOGY-PARIS. PAGE DE DROITE : Manteau, PRADA. Col roulé, CELINE PAR HEDI SLIMANE. Pantalon, ISSEY MIYAKE. Montre, CARTIER. Sneakers Stan Smith, ADIDAS. Coiffure : Ludovic Bordas. Maquillage : Anne Bochon. Assistant photo : Enzo Farrugia. Assistante stylisme : Séraphine Bitard.
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