La Renaissance de Daniela Dallavalle —
Difficile de réveiller une belle endormie. Et pourtant, deux défilés, quatre précollections et dix-huit mois de travail plus tard, la maison Mugler est à nouveau sur le devant de la scène. À la baguette de cette métamorphose, un prince et une bonne fée. Le premier, David Koma, est l’un des créateurs britanniques les plus en vue de sa génération. Géorgien d’origine, il fait ses classes à la Central Saint Martins, d’où il sort diplômé en 2009. Il lance dans le même temps sa griffe éponyme de prêtà-porter pour femme et se distingue par ses créations à la fois sensuelles et ludiques. David Koma se positionne dans la lignée des couturiers adeptes du body conscious qui, à l’image d’azzedine Alaïa, Hervé Léger ou Thierry Mugler, annihilent les frontières entre la forme d’un vêtement et les courbes du corps : “J’aime rester concentré sur le corps: j’aime le corps de la femme, la force qu’il dégage. Ma silhouette de prédilection est incisive et reflète la beauté de la nature.” Quand Virginie Courtin-clarins lui propose, en décembre 2013, le poste de directeur artistique de Mugler, le styliste tombe des nues, puis relève le défi avec envie et audace : “C’était comme réaliser un rêve, car j’ai toujours aimé la marque, et tout ce que Thierry Mugler avait créé et laissé à la postérité. Dès mon arrivée, il a fallu concevoir l’idée d’une nouvelle femme Mugler, et ancrer la maison dans le monde du prêt-à-porter… J’ai tout de suite voulu relever le challenge.”
UN BLASON à REDORER
La nomination de David Koma est le premier coup de maître de Virginie Courtin-clarins chez Mugler. Débarquée en septembre 2013 à la direction marketing, développement et communication de la griffe parisienne, la fille aînée de Christian Courtin-clarins se donne pour mission de redorer le blason d’un mythe terni par les années : “Quand je suis arrivée chez Mugler, ma tâche était de trouver le bon directeur artistique pour relancer la maison. David s’est imposé comme une évidence. En vrai passionné de la marque, il connaît son histoire sur le bout des doigts et pourtant, il en avait une vision nouvelle. Je ne cherchais surtout pas un designer qui refasse du Thierry Mugler. Mugler est une marque visionnaire et il nous fallait quelqu’un qui veuille faire quelque chose de nouveau.” Très vite, la magie opère: la ligne Resort 2015, première collection de l’ère Koma/courtinclarins, est une réussite et témoigne d’une inventivité et d’un charisme remarquables. Après plusieurs mois de recherches, de briefings et de remises en question, la nouvelle femme Mugler prend vie et tape dans l’oeil de la presse internationale: “On a décidé de commencer par une précollection et non par un défilé. Ça nous laissait six mois entre janvier et juin pour définir la femme Mugler. Il fallait que cette femme soit suffisamment plurielle pour se retrouver dans toutes les collections que David allait faire.” Forte, puissante et un brin futuriste, la femme Mugler version David Koma fait ses premiers pas sur les catwalks en
Depuis bientôt deux ans, ils imaginent à quatre mains le futur de Mugler. Le créatif David Koma et l’instinctive Virginie Courtin-clarins érigent ce monument des années 1980 en nouveau phénomène de la mode. Portraits croisés.
octobre 2014, lors de la fashion week printempsété 2015 à Paris. Très à l’aise dans son vestiaire seconde peau, elle se glisse dans des robes bodycon à découpes asymétriques, des jupes crayon longueur midi et des tailleurs aux épaules franchement assumées. Côté couleurs, le monochrome domine, bousculé ça et là par des jeux de textures métalliques et quelques touches de corail et de bleu pâle : “J’apprécie le noir et blanc, le bleu marine… Quand j’emploie la couleur, j’essaie de réfléchir aux contrastes. Bien sûr, j’aime toutes les nuances, mais tout dépend de quand et où elles sont utilisées. Parfois, des touches de couleur fortes peuvent être très théâtrales, et j’en suis conscient. Mais je préfère tout de même le monochrome !”
UN SECOND SOUFFLE POUR LA MAISON
S’il s’octroie quelques références à l’époque Thierry Mugler – que les puristes relèvent avec délectation –, David Koma offre un second souffle à la maison et semble réussir là où Nicola Formichetti (son prédécesseur, aujourd’hui chez Diesel) avait échoué. Tout d’abord, il rompt avec l’héritage d’une mode un tantinet mégalomane, conçue pour la démesure et le grand spectacle: “L’histoire de Thierry Mugler est célèbre et unique. La maison était principalement connue pour ses défilés haute couture spectaculaires. Le défi pour moi est de préserver cet esprit, mais de l’ancrer davantage dans la réalité, par le biais du prêtà-porter. Je cherche à créer une image contemporaine de la réussite.” Dans le même temps, il développe l’attractivité de la marque et s’entoure de mannequins qui ont la cote (Georgia May Jagger, Karlie Kloss, Nadja Bender, Jessica Stam, pour ne citer qu’elles). Enfin, il s’oppose au mythe du créateur hégémonique et s’appuie sur une équipe solide, composée de jeunes recrues et de personnalités issues de la génération Thierry Mugler. Plus soudé que jamais, le duo formé avec Virginie Courtin-clarins est le symptôme de cette nouvelle ère: “L’époque des créateurs diva n’a plus lieu d’être aujourd’hui. La mode existe si elle est portée. Une marque ne peut pas perdurer si elle n’est pas désirable. C’est important pour un créateur d’avoir un soutien qui le guide, notamment dans les choix d’ordre commercial. Le fait qu’on porte la marque à deux implique que David a moins de pression”, estime cette dernière. Ce Mugler 2.0 repose sur une transversalité à toute épreuve, gage de pérennité dans un monde où les caprices n’ont plus leur place. On s’en réjouit, à quelques jours des défilés printempsété 2016, qui verront le lancement des premiers sacs de David Koma pour Mugler. L’enchantement est levé… mais la magie perdure.