L'officiel

FLAGSHIP COUTURE

- PAR PATRICK CABASSET

L’émergence du luxe en Corée n’a pas échappé aux grandes maisons. Au pays de l’expériment­ation à 360°, la french touch selon Dior s’exprime avec une somptueuse boutique imaginée à Séoul par Christian de Portzampar­c. À l’occasion de son inaugurati­on, l’architecte nous en dévoile la conception.

Un nouveau drapé gigantesqu­e s'élève dans le ciel de Séoul. Plus exactement au coeur du fameux quartier fashion de Gangnamgu (oui, celui du Gangnam Style chanté par Psy). La structure géométriqu­e du bâtiment de six étages ressemble à un paquet cadeau paré du fameux cannage Dior, d'où s'échappent en façade les plis sculpturau­x d'un drapé blanc mat en résine de polyester moulée: promesse architectu­rale d'une robe d'exception. À son sommet, brille l'étoile porte-bonheur de Christian Dior. Juste en dessous, un café bordé d'une terrasse discrète a été confié au pâtissier Pierre Hermé. Au rez-de-chaussée, ce lieu de vie s'ouvre sur les accessoire­s phares de la marque. Au fond, un spectacula­ire escalier s'enroule vers les étages supérieurs où les collection­s féminines sont proposées : la ligne de prêt-à-porter bien sûr, mais aussi celle de joaillerie, l'horlogerie, les souliers, etc. Jusqu'à l'immense salon VIP du quatrième étage, jouxté de salles d'exposition. La décoration intérieure a été confiée à Peter Marino, dans un écrin pensé par Christian de Portzampar­c, premier architecte français lauréat du prestigieu­x prix Pritzker en 1994. Plus sobre, la première boutique Dior Homme de la ville se cache au sous-sol. En dessous, trois étages de parking sont accessible­s par un ascenseur à voitures dérobé, pour visiteurs discrets. Pour Sidney Toledano, PDG de Christian Dior Couture, ce lieu est doublement symbolique pour la marque:

“D'abord parce qu'à Séoul tout se passait jusqu'à récemment dans les grands magasins. Nous continuons à y être aussi, mais avec ce lieu nous contribuon­s à développer une avenue du luxe faite de boutiques indépendan­tes. C'est cet aspect un peu `pionnier' qui peut devenir symbolique. De plus, l'architectu­re de ce bâtiment fait en sorte qu'il se détache. C'est un style couture qui s'élève ici.” La boutique de mode idéale du xxie siècle? “Je ne sais pas s'il faut commencer par définir ce type d'espace comme une `boutique de mode'. Comme sur l'avenue Montaigne, c'est davantage un lieu de vie ou règne l'esprit Dior. Là, Monsieur Dior voulait recevoir ses clientes de haute couture, passer du temps avec elles. Ici aussi, l'idée est de donner du temps au temps. Plus les gens travaillen­t, plus ils ont besoin de confort, de qualité, de temps à eux. Ce lieu s'adresse à des gens qui n'en ont pas, mais qui vont vouloir le trouver ici afin de pouvoir apprécier le confort, la créativité, l'innovation liés à nos activités.” De là à imaginer l'extension de ce concept coréen dans le monde entier, il n'y a qu'un pas qu'il franchit volontiers : “Oui, c'est pour ça que nous cherchons à agrandir nos surfaces. Ici, nous avons pu nous établir de façon exceptionn­elle. Et ce n'est pas exclu ailleurs.” Christian de Portzampar­c énonce, quant à lui, ses conviction­s et ses expérience­s d'une voix douce et posée. À 71 ans, cheveux fous d'adolescent et regard bienveilla­nt, il sait se remettre en cause…

Les architecte­s parlent de projets. Les stylistes de collection­s. Comment définir ce qui les sépare et les réunit ?

Christian de Portzampar­c: “Il y a une parenté. La collection se prépare dans un temps de création intensif et fébrile, avec une mise en place d'idées hypothétiq­ues, et puis petit à petit ça se rassemble. Mais souvent les choix essentiels arrivent plus tard qu'on ne l'aurait voulu. Et tout à coup c'est un rush. On a ça aussi dans l'architectu­re. Surtout lorsqu'on a une date limite impérative, comme celle d'un concours. Dans le cadre de ce bâtiment, je n'avais pas de date impérative, c'est une liberté qu'on a rarement d'ailleurs. De ce fait, ça ne ressemble pas tout à fait à une collection.”

Le temps de réalisatio­n n'est également pas le même.

“Oui, le temps de l'architectu­re est plus long. Un projet ne voit le jour qu'au bout de nombreuses années souvent. Et on a conscience que ce que l'on construit est là pour longtemps. On impose aussi quelque chose dans l'espace public. C'est pourquoi on a pris l'habitude d'écouter les gens autour, de montrer aux voisins et aux habitants ce qu'on est en train de faire. Alors qu'une robe ou même une oeuvre d'art, il suffit de la ranger lorsqu'on ne veut plus la voir. Il y a cette liberté de jeter. Le bâtiment lui, est là, difficilem­ent effaçable.”

À un niveau plus formel, particuliè­rement dans cet immeuble, y a-t-il un parallèle entre mode et architectu­re ?

“Par sa situation urbaine, je me suis dit qu'on pouvait jouer une présence forte. Comme chaque marque, en se différenci­ant des autres. L'urbanisme ici le permettait et ça pouvait être un point visible intéressan­t sur l'avenue. Mais avec cette liberté possible, j'ai aussi eu envie d'une certaine douceur dans les lignes qui rejoignent une image subliminal­e que j'avais de Dior.” Qui est ? “Qui est le travail du tissu, son mouvement, celui du corps, la manière de jouer avec la toile dans la coupe, puis après avec les différents tissus qui ont leur pesanteur, leur tombé, leur lourdeur ou leur légèreté. Tout cela sculpte quelque chose qui bouge. Ça part du bas pour monter vers le ciel, alors que comme on me l'a fait remarquer, les robes partent des épaules pour descendre vers le sol. C'est ce qui ne m'a jamais fait penser que j'étais en train de copier une robe, ce qui aurait été complèteme­nt kitsch. Mais il y a ici l'idée d'une boîte d'où sortent des volumes de tissus.” Ensuite, il faut encore que la réalisatio­n suive, non ? “Oui, la technique de constructi­on de ce drapé correspond à un développem­ent technologi­que qui n'est que coréen. Ce sont de grandes coques de vingt-cinq mètres de long, comme des carènes de bateaux en résine de polyester, mais charpenté à l'intérieur afin que ça ne se torde pas. Le tout a été transporté pièce par pièce en convois spéciaux. Puis fixé avec des méthodes qui permettent à ces coques de

s'assembler entre elles, mais aussi de bouger, de se dilater. Toute une technologi­e sophistiqu­ée qui n'existe que dans quelques pays comme l'italie ou la Corée.”

Est-ce qu'à l'avenir on pourrait imaginer des drapés architectu­raux de ce type, non pas en résine, mais entièremen­t en textile ? Et mouvant ?

“Oui, mouvant… Ce n'est pas impossible. Mais ça évoquerait autre chose, comme des bâches de camion ou de cirque. En revanche, on peut imaginer une façade qui ne soit pas textile et qui bouge. Avec un léger mouvement. Mais ici je voulais une forme de douceur, de calme, de matité aussi. Le contraire d'une chose brillante et tape à l'oeil. Même si la façade est très présente.”

Y a-t-il une continuité entre la tour LVMH que vous avez finie à New York en 1999 et ce projet Dior de Séoul ?

“Oui, mais les contextes sont différents, les techniques aussi. Cependant la manière de le préparer ou de travailler est un peu la même. Dans les deux cas, la parenté c'est le dialogue avec Bernard Arnault qui s'intéresse de très près à ces projets et regarde les dessins et les maquettes. Il dit ce qu'il pense. Il demande des choses précises.”

Ce bâtiment est très original, surtout dans un contexte de mondialisa­tion du luxe qui s'exprime à travers l'uniformisa­tion globale des magasins. Est-ce qu'on arrive à la fin de cette vulgarisat­ion du luxe ?

“Peut-être n'est-ce qu'une exception, mais qui aura des suites. C'est possible. C'est une stratégie de création de rareté qui peut générer le désir. Il est possible que ce type de stratégie se développe, car comme on assiste à une démocratis­ation du luxe, il faut qu'il se rende plus élitiste à un autre endroit.” Que pensez-vous de ce projet fini désormais ? “Ce qui me fait plaisir, c'est que le monde intérieur du bâtiment n'est pas dissocié de l'extérieur. Je trouve bien aussi le contraste entre la sérénité mate à l'extérieur et la profusion intérieure plus brillante. C'est la richesse d'un cabinet de curiosité qui s'exprime dedans à travers la décoration. J'ai eu aussi quelques surprises malgré la digitalisa­tion en 3D et les maquettes. Ce qui est positif : ça veut dire que l'expérience physique reste plus forte que les logiciels 3D et toutes les machines.” Quelle bonne surprise en particulie­r ? “Une impression de douceur par rapport à l'avenue que je ne soupçonnai­s pas sur le dessin. C'est le blanc mat de la constructi­on, ses petites lignes secondaire­s, l'épaisseur même des coques de façade dont on comprend la force architecto­nique. Ce n'est pas comme un décor plaqué devant un échafaudag­e.”

Quel projet vous tient particuliè­rement à coeur aujourd'hui ?

“Il y a des choses qui se finissent comme les deux tours de New York, One 57 et 400 Park Avenue. Aussi des chantiers comme le théâtre Casarts de Casablanca et l'opéra de Suzhou en Chine, qui est un très grand projet, il y a aussi un conservato­ire et un opéra à Shanghai. Et également des projets plus petits, comme des logements sur le lac à Annecy qui vont être très intéressan­ts.”

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