L'officiel

Droit de réserve, par Simon Liberati

Simon et Eva prennent très à coeur leur rôle de reporters épicuriens pour L'officiel. Ce mois-ci, leurs pérégrinat­ions les amènent à faire une pause à La Réserve Ramatuelle, le palace repensé par Jean-michel Wilmotte sur la presqu'île de Saint-tropez.

- PAR SIMON LIBERATI PHOTOGRAPH­IE EVA IONESCO

Quand j'ai dit à Eva que nous partions à Sainttrope­z pour L'officiel, elle a crié de joie. L'un et l'autre nous avons des liens anciens avec la presqu'île. Eva y passait l'été de ses 2 ans en 1967… C'est en 1971, dans la petite Ford Anglia de ma mère, que j'ai découvert la place des Lices, la plage des Salins et le cap Camarat non loin duquel se trouve La Réserve Ramatuelle, l'hôtel qui va nous accueillir le temps d'une retraite de trois jours. D'après les photos, le site a l'air sublime. Je vais passer les quinze jours qui nous restent avant ce séjour à vérifier la météo. Tous les vieux de la vieille le savent et ne se lassent jamais de le répéter : il y a deux Saint-tropez. Le mauvais genre, qui peut s'avérer drôle, celui des bateaux, des boîtes de nuit et des plages aménagées, et le bon, qui n'a pas changé depuis les années 1930 : celui des vignes, des rochers sauvages et des vastes propriétés cachées. Aéroport de Toulon, lundi 12 heures. Nous venons de débarquer de l'avion, Eva tire le Caddie à pois plein de manuscrits et moi la grosse valise à roulettes made

in Barbès qui est un peu notre enfant, notre chien et notre poire d'angoisse. Une violente dispute à propos de son poids avant l'embarqueme­nt a laissé des séquelles. Eva est murée derrière ses lunettes noires, j'essaye de me rappeler les horreurs que j'ai pu lui dire. Le Lexomil n'aide pas à se souvenir de ses fautes. Ah si, j'y suis, je lui ai dit qu'elle était la pire de toutes les femmes avec lesquelles j'ai voyagé… Rien de plus faux, mais quand on s'emporte… En attendant, elle boude à l'arrière de la limousine noire envoyée par La Réserve à notre intention. J'ai essayé de me rabibocher en lui racontant la dernière fois que j'ai vu les palmiers de Hyères, un voyage en avion pour le festival de la mode avec notre amie Martine Sitbon. Voyage durant lequel nous avions un peu bu et parlé fort, ce qui nous avait valu de nous faire engueuler par toute la cabine. Notamment par un père de famille à minisac à dos qui ne s'intéressai­t manifestem­ent pas à la Factory ni aux mémoires de la superstar Ultra Violet, invitée du festival cette année-là.

“On avait rougi comme des collégiens et on n'osait plus aller chercher le bagage de Martine sur le tapis à cause des gens qui nous fusillaien­t du regard. – Je sais, tu me l'as déjà raconté trente fois…”

Pour améliorer mon sort, je demande au chauffeur de s'arrêter pour acheter du côtes-de-provence au Spar de La Môle.

Redevenu un enfant

Arrivée à La Réserve, un paradis situé au nord de Camarat, juste avant l'escalet. En réalité c'est un palace, appellatio­n contrôlée, mais on dirait un parc de villas luxueuses plutôt qu'un hôtel. Le bâtiment principal date des années 1970. J'ai un flash : j'y suis venu il y a plus de trente ans, c'était abandonné. Un ancien hôtel de passe qui ressemblai­t à un club nudiste avec des mini-piscines partout. Un des endroits les plus bizarres que j'aie vu sur la presqu'île avec la villa façon James Bond de la Bastide Blanche, le domaine racheté non loin par Bolloré. Maintenant ce passé proche est effacé. Seuls les vieux pins parasol, un très grand eucalyptus et la mer sont témoins. En mettant le pied dans la suite 28, je comprends que nous allons être très heureux. C'est tout simplement sublime. Le lit king-size plonge à travers la baie vitrée sur la Méditerran­ée. En face de nous, le cap Camarat désert et la silhouette à la Claude Le Lorrain du château Volterra, une folie 1906 construite par une Anglaise pour son fils alcoolique. Seuls au monde… Eva oublie ses griefs et nous allons déjeuner au soleil. Sur la carte du bar je choisis un vitello tonato et Eva une salade caesar. Elle se laisse tenter par un verre de rosé. Le mistral souffle modérément, le ciel est

limpide. Café puis rendez-vous au spa. Comme à l'ordinaire, Eva monopolise tous les soins et veut étudier le programme avec une attention qui ne souffre aucune distractio­n. Je grappille des framboises en regardant la mer derrière les instrument­s du club de sport. Les rochers en bas n'ont pas trop de secrets pour moi. Je connais leur couleur, leur odeur, leurs oursins… J'ai hâte de les retrouver. Les premières espadrille­s Nous descendons en voiturette de golf jusqu'au bord de mer. Pas un bruit, même de tondeuses. Ils doivent couper l'herbe aux ciseaux, je comprends pourquoi Karl Lagerfeld descend à l'année dans les environs. Le luxe c'est d'abord le silence. Eva, troublée par les conseils d'alexandra, la thérapeute, hésite entre les soins de la mer et je ne sais quoi d'autre. Benjamin, son coach individuel, a l'air très sympathiqu­e et musclé… Visiblemen­t tout baigne. Je croise un ouvrier en tenue de travail occupé à réparer la tuyauterie d'une villa, je le salue, il me répond: “Bonjour Monsieur Liberati, comment allez-vous aujourd'hui ?” C'est la dixième fois qu'on me pose la question dans ces termes exacts depuis que je suis arrivé à La Réserve. J'ai l'impression d'être redevenu un enfant à qui toutes sortes de vieilles dames très gentilles offrent des gâteaux. C'est l'effet “palace”. Même les moustiques doivent être briefés. Je dis ça à Eva qui éclate de son gros rire à la Diabolo. Nous sommes réconcilié­s. Le chemin du bord de mer est parcouru par des randonneur­s. Il y a un barbu en slip de bain sur mon rocher. Eva me glisse : “Fais gaffe, c'est l'inconnu du lac…” L'eau est si glaciale que j'hésite à plonger. Eva me rappelle une enquête alarmiste que je viens de lire dans Le Figaro, la grande majorité des noyades accidentel­les touche des hommes de 55 à 70 ans. Refroidi dans mon élan, je reste tranquille au soleil sur le sable d'une petite crique. Les plantes grasses en forme de griffes, communes sur toute la côte méditerran­éenne, sont en fleurs. Nous nous appuyons sur un bois flotté et nous regardons l'horizon, inchangé depuis l'odyssée. J'ai mis mes premières espadrille­s de l'année, je ne sais pas si elles me mèneront jusqu'en septembre. Un été qui commence à Pâques… Le noir est plus salissant que le gris poudré de l'année dernière. Eva va parcourir son kilomètre et demi de crawl dans la piscine pendant que je rêvasse sur un matelas. J'ai ouvert Avec

mon meilleur souvenir, le livre de Sagan sur la vitesse, le jeu, Saint-tropez : “L'action se passe en 1954 ou 1955. La scène représente un petit port dans un matin bleu pâle. C'est le printemps. Une voiture décapotabl­e, une vielle Jaguar X/440, couverte de poussière, vient de se garer sur le port. Au volant, un jeune homme décoiffé (mon frère) et, à ses côtés, une jeune fille décoiffée (moi-même).” Quel charme. Un parfum qu'on rouvre dans une salle de bains pleine de sable. Le livre a plus de trente ans, les souvenirs de Saint-tropez plus de soixante et c'est impeccable. La reprise de l'épithète

“décoiffé” est aussi négligente que raffinée… Je repense au vers de Keats qui résume l'éternel: “A thing of beauty is a

joy forever.” Voilà Sagan, voilà Keats, voilà mon coeur… Dîner délicieux au restaurant La Voile, la table gastronomi­que de l'hôtel. Le service est impeccable. Seul défaut commun à tous les endroits de luxe : une musique trop présente. C'est embêtant de devoir crier d'un fauteuil à l'autre. Nous quittons la table à peine fini le plat, comme des enfants, pour aller fumer des cigarettes sur la terrasse de la chambre. Dans l'escalier proche qui descend vers la piscine illuminée, le bruit d'une fontaine… Les étoiles sont énormes, la Grande Ourse et la Lyre se laissent facilement identifier.

C'est du haut luxe

Après une longue nuit de sommeil, petit déjeuner dans la chambre, paresseuse­ment abrités derrière la baie vitrée. Ciel limpide, mer belle, un voilier passe au loin. Eva descend faire ses soins, je marche dans l'air du matin jusqu'à la plage. Profitant de l'absence d'eva, je me force à essayer la mer mais elle est vraiment froide. Je téléphone à mes parents. Mon père a écrit jadis des poèmes sur le cap Camarat. Par extraordin­aire, il les a lus la veille à quelqu'un, Kitty, une “princesse géorgienne” selon ma mère, que je ne connais pas… C'est bien de pouvoir se faire des nouveaux amis à presque 90 ans, j'espère que je serai comme eux à leur âge. À la piscine, je croise un client de l'hôtel, seul comme moi, sa fiancée doit faire des soins avec Eva. Il est incroyable: deux mètres

dix, la carrure de Dolph Lundgren. Il me rappelle vraiment Dolph, que j'avais rencontré à un dîner pour le film Barfly voici déjà longtemps. L'inconnu de la piscine a le même sourire gentil que l'ex de Grace Jones. Déjeuner au bar. Eva revient enchantée de ses soins et, surtout, de son coach Benjamin qui lui a appris de nouveaux mouvements d'abdos méthode Pilates avec une sorte de patin qu'elle fait glisser par terre. Véronique Grange, la charmante directrice adjointe de l'hôtel, nous emmène visiter les villas qui font partie de La Réserve. Indépendan­tes, gérées chacune par une gouvernant­e, nanties d'une cave à vins, elles constituen­t d'après Véronique “l'offre la plus originale de La Réserve Ramatuelle”. Une offre qui se chiffre en saison, pour la plus petite, à 8000 € la nuit. C'est du haut luxe, avec beaucoup de charme néanmoins, grâce aux arbres anciens, aux points de vue sur la mer et aux piscines ravissante­s. Véronique me conseille de goûter au dîner le thon frotté aux épices du voyage qui est le “plat signature” du chef. Elle évoque l'environnem­ent exceptionn­el de La Réserve qui favorise un bien-être profond que les thérapeute­s du spa aident à réaliser pleinement: éveil sur la terrasse au lever du soleil, programme alternant les soins et des activités, comme la marche nordique sur le sentier de douanier qui va de Pampelonne à Cavalaire. Faute de temps, nous nous contentons avec Eva de pousser jusqu'à l'escalet, une vraie plage populaire et discrète, le contraire du 55 et autre Voile Rouge, avec des petites filles qui font la roue et mangent des cornets de glace. Un réparateur de bateau de pêche semble sorti de Et Dieu… créa la femme. Pour notre dernière nuit, je laisse les rideaux ouverts et je découvre du lit la splendeur du matin, le soleil qui vient peindre en jaune le bout du cap Taillat. Retour par Saint-tropez, déjà très animé. En regardant la chapelle Sainte-anne je pense à ma jeunesse. 1971… Mariage de Mick et Bianca Jagger. Bardot sortait avec un beau gosse, Patrick ? Non… Christian, il était en photo dans Var-matin, j'en ai parlé dans mon Anthologie des apparition­s. La statue du bailli de Suffren est toujours là… L'ombre de Sagan aussi. De quelles couleurs étaient mes espadrille­s ?

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