L'officiel

Rencontre : Hans Ulrich Obrist

Débit de torrent, regard affûté, pensée en archipels, Hans Ulrich Obrist, commissair­e et directeur des Serpentine Galleries de Londres, s'intéresse au présent de l'art et anticipe son futur.

- PAR YAMINA BENAÏ

Il faut avoir expériment­é la réponse d'hans Ulrich Obrist à une invitation d'interview – qu'il suggère de tenir à 6 heures du matin (8 heures dans le meilleur des cas) – pour comprendre combien cet être tout de chair et de sang est aussi probableme­nt fait de l'étoffe des robots. Version intelligen­ce dernière, voire future, génération. Il fonctionne, pour son entourage, comme un élixir de jouissance du vivace et bel aujourd'hui, et du moment d'après. Tant il porte de projets, tant il travaille à réunir et réfléchir les discipline­s autour de son unique passion, l'art. Depuis sa prime jeunesse, pour mener à bien son grand oeuvre – alimenter chaque instant de son existence de savoirs et de questionne­ments –, il suit son propre algorithme. Il a mis au point un rituel de vie auquel il ne déroge guère. Lever 6 heures, coucher minuit : entre-temps il aura force lu, vu, parlé, écrit… mais également communiqué avec ses trois assistants. Deux diurnes, localisés dans les Serpentine Galleries, un nocturne (sis à son domicile londonien) : un certain Shackleton, descendant direct de l'explorateu­r de l'antarctiqu­e, de bonne endurance donc. Charge pour lui – entre autres missions – de transcrire les interviews d'obrist. Stakhanovi­ste de l'exercice, il a accumulé des milliers d'heures de captation de rencontres d'artistes, philosophe­s, architecte­s… Dans le lexique obristien: urgent, archipel (qu'il prononce “arkipel”), connexion, démocratie. Il se concentre sur ce et ceux qui l'intéressen­t profondéme­nt et dont il pressent l'apport aux grands débats du monde. En ce sens, il s'inscrit dans une pensée positive. À son actif, exhumation de l'oubli d'artistes importants, tels qu'huguette Caland et Etel Adnan, mais aussi mise sur orbite de jeunes créateurs devenus grands, Olafur Eliasson notamment. Adepte de l'abolition des limites temporelle­s, spatiales, intellectu­elles, il s'intéresse au renouvelle­ment des règles du jeu, comme dans “Do It”, principe d'exposition mis au point avec Christian Boltanski et Bertrand Lavier en 1993, et qu'il ne cesse de réinventer. Celui qui jugeait l'école “trop lente” a très tôt réalisé son Grand Tour. À 17 ans, le fils unique né en 1968 d'un paisible couple suisse des environs de Saint-gall décide de découvrir le vaste monde de l'art: les musées et les artistes. Direction les trains de nuit, qui lui autorisent un voyage économe en temps de veille et lui épargnent les frais d'une nuit d'hôtel. Il se confronte alors aux plus grands acteurs de l'art contempora­in. En préface à … dontstopdo­ntstopdont­stop (éd. Presses du Réel, 2007), ouvrage rassemblan­t ses écrits de 1990 à 2006, sur des exposition­s clefs d'obrist, Rem Koolhaas remarquait qu'a contrario des personnali­tés avides du verbe, enclines à vouloir capter et garder la lumière, Obrist aime à faire circuler la parole. Avec le même Koolhaas, il avait organisé en 2006 le premier Serpentine Marathon, soit une session de vingt-quatre heures d'entretiens. Depuis, il a récidivé, rassemblan­t autour de lui des personnali­tés de toutes discipline­s : à la manière d'un Diaghilev, il met en correspond­ance des individual­ités qui, par leurs échanges, apportent leur écot au savoir collectif. Connecting people est l'un des nombreux, et généreux, talents de Hans Ulrich Obrist. À quoi attribuer cette pacifique voracité ? “Peut-être, à la manière de Pessoa, suis-je en état permanent d'intranquil­lité”, indique-t-il calmement.

Exposition “Mondialité­s”, commissari­at de Hans Ulrich Obrist et Asad Raza, jusqu'au 27 août à la Fondation Boghossian, Bruxelles. www.villaempai­n.com

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