L'officiel

Billie Eilish

- PHOTOGRAPH­IE JORY LEE CORDY STYLISME HENNA KOSKINEN PROPOS RECUEILLIS PAR BILLIE JD PORTER TRADUCTION MATHIEU WARSKY

À 18 ans, elle vient de rafler quatre grammy awards en janvier : révélation de l’année, meilleure chanson et meilleur enregistre­ment avec “Bad Guy” et meilleur album de l’année avec “When We All Fall Asleep, Where Do We Go?” Nous avions rencontré la nouvelle reine de la pop il y a quelques mois, juste avant la sortie de son album. Armée d’une sincérité rare et d’un regard décapant sur le monde, elle nous avait parlé sans fard de musique, de danse et de résistance.

Durant des décennies, le modèle de la pop-star américaine, – l’archétype Disney de la fille innocente mais qui déborde de sex-appeal (Britney, Miley, Selena) – a bien joué le rôle que les maisons de disques lui ont attribué. Quand Billie Eilish débarque, avec sa voix angélique et une production plus sombre et envoûtante, l’industrie ne sait pas quoi en faire. Par bien des aspects, Billie jette à la poubelle le vieux règlement de la musique mainstream, que trop d’artistes féminines ont été jusqu’alors contrainte­s de respecter. Elle porte un uniforme composé presque exclusivem­ent de survêtemen­ts aux couleurs tapageuses. Elle est brute, sans filtre. Et ça plaît, beaucoup.

Fraîche sincérité

Au moment de notre interview, Billie, 17 ans, va annoncer dans quelques jours la sortie de son premier album, When We All Fall Asleep, Where Do We Go? Elle s’est fait des millions de fans avec une poignée de singles, et un EP, Don’t Smile At Me. Avoir amassé un tel following, et joué des concerts complets partout dans le monde avant même d’avoir sorti un album, n’est pas donné à tout un chacun. Quel effet ça fait? “Ça semble irréel. Genre, littéralem­ent fou, dit-elle. J’ai travaillé vraiment dur sur cet album. Il y a eu plein de disputes, et maintenant, putain, ça sort enfin. Je me réjouis de ce qui m’attend. Mais je ressens la pression à mort.”

Billie a toujours fait preuve d’une rafraîchis­sante honnêteté quant à la réalité de sa vie. Dans ses interviews elle reconnait souffrir de troubles mentaux, et discute candidemen­t de l’épuisement, ou de la solitude en tournée. Contrairem­ent à d’autres, elle n’édulcore pas la vérité. “Je vois pas l’intérêt de faire une interview si les réponses sont bidon. Ça n’a pas de sens. Pourquoi s’emmerder à faire une interview dans ce cas? Les gens veulent entendre vos opinions véritables.”

Si cette attitude est un rêve pour les journalist­es qui ont le plaisir de la rencontrer, je me demande si sa sincérité lui a attiré des ennuis côté coulisses. “J’adore mon équipe, mais, bien sûr, elle préférerai­t sans doute que je ne dise que des choses positives dans la presse, que je n’exprime que mon excitation à faire ce que je fais, confie Billie. Je sais ce que je devrais dire, je connais les réponses parfaites pour une artiste de mon âge, mais honnêtemen­t, je m’en bats les couilles.”

Et c’est sans doute parce que sa priorité : c’est la musique.”

Sourire davantage?

En 2016, le fruit de son travail a été validé dans le monde entier quand son premier single Ocean Eyes a explosé sur internet.

“Ocean Eyes a littéralem­ent été créé pour une danse, se souvient Billie.

Toute la question était : comment rendre ça dansant? Qu’est-ce qu’on peut ajouter pour donner envie de lever une épaule ici, ou de bouger comme ça là. Pour moi, si on ne peut pas danser sur une chanson, alors ce n’est pas vraiment une chanson.” Ce succès a catapulté Billie dans la lumière, et les journaux l’ont présentée comme un prodige musical précoce, elle n’avait alors que 15 ans… “J’ai toujours dit qu’il n’est pas nécessaire d’avoir vécu ce sur quoi on écrit. Ceci dit, à 12 ans je n’avais rien vécu qui ressemble à ce que j’ai pu vivre dernièreme­nt. Je ne suis tombée amoureuse pour la première fois que l’an dernier.” L’adolescenc­e est une période douce-amère où beaucoup de premières fois peuvent changer une vie. Mais la plupart d’entre nous ne la traversons pas avec des millions d’abonnés prêts à donner leur avis. On attend des jeunes femmes sous les feux de la rampe qu’elles soient des modèles. “C’est de la merde. T’imagines pas combien de fois on m’a dit de sourire davantage, de porter des vêtements à ma taille ou d’écrire des chansons plus gaies, dit Billie avec lassitude.

Et tout ce truc de ‘s’habiller comme un garçon’, du coup les gens pensent que je suis gay. Ces gens ont une vision du monde tellement stéréotypé­e.”

Elle ajoute que son nouvel album a de quoi plaire à tout le monde.

“J’espère que ça ne fait pas mensonge. Mais honnêtemen­t, toutes les chansons sont différente­s, c’est quelque chose que mon frère et moi avons toujours eu à coeur de faire. Si on met cinquante personnes dans une pièce, et qu’ils ont tous un genre de musique préféré, on veut que chaque personne dans cette pièce aime au moins une chanson de l’album.”

La semaine qui suit notre interview, je passe devant un immense panneau à Hollywood qui annonce le nouvel album de Billie. On la voit assise sur un lit, un sourire fou aux lèvres, les yeux blancs, comme son survêtemen­t. L’image est à la fois glaçante et enjouée. Moi qui ai grandi à une époque où les jeunes chanteuses de pop étaient si sexualisée­s que c’en était grotesque, ça me réchauffe le coeur de voir Billie devenir une nouvelle icône de la musique. Sa rébellion n’a pas été décidée par un conseil d’administra­tion de label pour vendre un disque. “Je n’ai pas de robe ou de jupe. Ni de talons hauts, dit Billie. Je m’en bats les couilles.”

Newspapers in French

Newspapers from France