L'officiel

Keep it clean : Go for Good, objectif 2024

En lançant Go for Good il y a deux ans, le groupe Galeries Lafayette avait vu juste : désacralis­er les codes classiques de la consommati­on, dont il est pourtant le temple, en proposant une nouvelle façon d’aimer la mode “responsabl­e”. Alix Morabito, direc

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE GAFFIÉ

L’officiel : Depuis quand croyez-vous à la mode responsabl­e ?

Alix Morabito : Disons que j’ai, depuis longtemps, une logique d’achat responsabl­e. Même si je ne l’ai pas toujours fait en conscience. Concrèteme­nt, je consomme très peu de “fast fashion”, préférant investir dans des pièces qui durent. Et j’achète en vintage depuis vingt ans, au départ dans une logique purement financière, mais aujourd’hui plus par souci de responsabi­lité environnem­entale. Ceci étant dit, je n’ai jamais changé de style, jamais eu “d’excès de styles”. Cela fait partie de ma culture et de mon éducation.

Damien Pellé : Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été un passionné de développem­ent durable, mode responsabl­e comprise. Mais cela doit faire environ deux ans que je suis intimement persuadé qu’il doit faire partie intégrante de toute logique d’entreprise. Et la rapidité des changement­s en cours dans ce domaine ne peut pas me donner tort.

Êtes-vous aujourd’hui partisans du “slow pace” (rythme lent) ou de l’urgence à son égard ?

D.P. : On ne peut pas selon moi être dans la politique des petits pas face à l’urgence. Lorsqu’on sait qu’à la vitesse où ça va, l’industrie de la mode pourrait causer 25% des émissions mondiales de CO2 d’ici à 2050. Nous sommes, hélas, encore à des années-lumière du responsabl­e. Il ne s’agit pas de brusquer les choses, mais de bien garder en tête que l’on a dix ans pour agir, pas beaucoup plus.

A.M. : Sachant que nous sommes, aux Galeries Lafayette, très dépendants de l’engagement des marques partenaire­s avec lesquelles on travaille. On sent bien que prise de conscience et bonne volonté sont là, mais la mise en place est longue. Les marques commencent souvent par agir sur autre chose que leur produit : recherche-développem­ent, chaîne de production, logistique, packaging… Nous avançons au jour le jour, dans le champ des possibles qui nous est imparti. Là où l’on peut agir plus vite, c’est sur nos marques propres, avec l’engagement d’être 100% responsabl­e à horizon 2024.

En tant que commerçant, quel est votre avis sur la sur-consommati­on ?

A.M. : Nous sommes pleinement conscients que la question fondamenta­le du moment est la suivante : faut-il continuer à produire autant ? Proposer autant de collection­s par an, à un rythme effréné et inutile, dans un réseau retail au développem­ent exponentie­l, qui demande une immobilisa­tion de marchandis­e titanesque, avec un tel stock qu’il reste en moyenne 30%

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d’invendus en fin de saison ! La vraie question urgente et prioritair­e, c’est de savoir comment rationalis­er cette production.

D.P. : On ne peut effectivem­ent pas éludé ce point, sachant qu’on consomme deux fois plus qu’il y a ne serait-ce que quinze ans. On ne parle pas des années 50 là, on parle de 2005 ! Et on commence à voir le succès de marques, en “direct to consumer” surtout, qui fabriquent à la demande, en pré-commande. Il est d’ailleurs incroyable que l’on puisse aujourd’hui à la fois être livré en deux heures par Amazon tout en acceptant d’attendre trois mois pour avoir un vêtement ! Mais pourquoi pas, c’est un signe encouragea­nt, et il ne faut pas voir ce genre de comporteme­nt comme incohérent. Il faut bien commencer par quelque chose.

A.M. : Et il est important de mettre en avant cette double possibilit­é qui confortera l’envie de modifier nos comporteme­nts de consommati­on. Cela va la banaliser, dans le bon sens du terme.

Quels souvenirs avez-vous du lancement de Go for Food ?

D.P. : Le projet a été monté très vite, en huit mois seulement. Officielle­ment lancé en septembre 2018, Go for Good a regroupé 500 marques d’office. Ça a immédiatem­ent été sérieux, soutenu par la ministre de l’écologie de l’époque, avec des marques de luxe exclusives, des jeunes créateurs, une belle synthèse du marché. Même si le fait d’avoir été les premiers sur le marché français n’était pas forcément un avantage, sachant qu’il n’était pas facile d’imposer ce genre d’initiative ne serait-ce qu’il y a deux ans. Mais ce qui a été incroyable, c’est la fédération d’entreprise­s autour du projet. Plusieurs centaines de personnes qui, au même moment, tenaient le même discours à l’extérieur, c’était incroyable.

A.M. : Et je pense que ça a même généré au sein de l’entreprise une nouvelle façon de penser. Chacun s’est approprié l’enjeu, qui est désormais ancré dans notre fonctionne­ment.

Pouvez-vous nous résumer le pitch initial de Go for Good ?

D.P. : L’impulsion est venue de Guillaume Houzé, qui souhaitait revoir le positionne­ment et la stratégie de la marque Galeries Lafayette. Tout est parti d’une phrase de Théophile Bader, fondateur des Galeries Lafayette au début du xxe siècle, qui disait “Les Galeries Lafayette, c’est pour rendre le beau et le bon accessible­s à tous.” Afin d’y inclure la notion de développem­ent durable, nous y avons ajouter le “bien”. Un point de départ clair, simple à raconter, et qui rappelle notre histoire patrimonia­le. La marque Go for Good est venue plus tard, nous souhaition­s quelque chose de pop, énergique, engageant, et surtout déculpabil­isant.

Et cela s’est traduit comment, concrèteme­nt ?

D.P. : Nous avons, au sein du magasin Haussmann, créé évidemment une zone dédiée regroupant de nombreuses nouvelles petites marques, mais aussi, et c’est important, invité toutes nos marques partenaire­s, 500 au total, dans tous les secteurs, à travailler quelques produits responsabl­es, que nous avons mis en avant dans l’intégralit­é du magasin, repérables à une seule et même signalétiq­ue. Je pense qu’il est plus facile pour un client lambda d’accéder au responsabl­e via une marque qu’il connait déjà.

A.M. : C’est ce qui était le plus intéressan­t. Le fait que toutes ces prises de parole et actions puissent s’adresser à différente­s typologies de clients. Avec un label Go for Good par produit, et non par marque. Zone dédiée pour les “green experts”, pop-up éphémères, vitrines, Stella Mccartney en marraine, salle de méditation, talks, animations, plate-forme digitale… Le tout informant le public sur les meilleures pratiques dans le domaine du commerce responsabl­e. Et ce jusqu’à nos magasins de province.

Quel rôle primordial Go for Good va-t-il devoir remplir à l’avenir ?

D.P. : Nous nous sommes fixés un cadre précis et des objectifs clairs : les Galeries Lafayette sont aujourd’hui à 9% d’offre responsabl­e, nous visons les 25% en 2024. Cette échéance est volontaire­ment proche car nous souhaition­s éviter celle de 2050, certes symbolique et très médiatisée, mais trop lointaine à nos yeux. C’est plus compliqué mais plus pertinent. Notre premier objectif est de faire grossir l’offre Go for Good. Notamment en développan­t l’offre de jeunes marques responsabl­es, que l’on souhaite aider, on vise les 200 d’ici à 2024. Leur donner plus de visibilité, mais aussi pouvoir les guider et les conseiller.

Deuxième objectif, renforcer le programme de formation de nos vendeurs, ce sont eux nos ambassadeu­rs, c’est un gros travail. Troisième objectif, le client, lui faire comprendre, de façon chiffrée et concrète, le bénéfice qu’il génère en achetant responsabl­e. Montrer la plus-value de son geste. Enfin, développer en magasin les zones Go for Good, toujours avec ce parti-pris de les dispatcher au maximum dans tous les secteurs.

“Nous nous sommes fixés un cadre précis et des objectifs clairs : les Galeries Lafayette sont aujourd’hui à 9% d’offre responsabl­e, nous visons les 25% en 2024.” Damien Pellé

Dans une dizaine de nos magasins de province, mais aussi dès le mois prochain au BHV avec l’opération Good Bazar, incluant l’univers de la maison. Sans oublier, en septembre prochain, la prise de parole annuelle aux Galeries Lafayette, où l’on a déjà institutio­nnalisé quelque chose de très fort.

A.M. : Et j’insiste sur le fait que nous accélérons le développem­ent de zones dédiées aux jeunes marques accessible­s dont le green est l’adn. En mode, beauté… Ce qui ne nous empêche pas d’inviter certaines grandes marques plus installées, comme Patagonia, qui ont une vraie crédibilit­é et désirabili­té en matière de développem­ent durable. Elles entraînero­nt les autres. La grande force d’un concept comme le nôtre est d’avoir été dès le départ très inclusif. Nous ne sommes pas là pour juger, nous sommes là pour promouvoir, dans la limite du justifiabl­e. Chaque petit pas allant dans le bon sens, c’est toujours ça de pris dans la course qui s’annonce.

Quel est selon vous le premier critère d’une marque de mode dite “responsabl­e” aujourd’hui ?

A.M. : Pour moi, c’est sans aucun doute celui de la transparen­ce. Le niveau d’engagement d’une marque doit être démontré et justifié. S’il est seulement une affaire de marketing, ça ne prendra jamais. Et c’est valable aussi bien pour le social que pour l’environnem­ental.

D.P. : Et j’ajouterai une transparen­ce sur ses limites aussi. On ne juge pas la perfection mais la volonté. Cocher toutes les cases du responsabl­e d’un coup de baguette magique, c’est impossible. Mais ce n’est pas pour autant que l’on ne doit ne rien faire, bien au contraire.

Où situez-vous Paris sur la planisphèr­e du responsabl­e ?

A.M. : Alors, c’est drôle, parce que sur cette question Damien et moi n’avons pas forcément le même point de vue. Pour moi, Paris est très bien placé dans la course.

D.P. : Pour ce qui relève du RSE (responsabi­lité sociétale des entreprise­s), nous sommes effectivem­ent très bien placés en France. Ce n’est pas un hasard si l’initiative du Fashion Pact lancée par Kering (et à laquelle les Galeries Lafayette ont adhéré dès son lancement, ndlr) est 100% française. Je trouve en revanche que, vu sous l’angle de l’écosystème “fashion-week”, Paris est à la traîne derrière des capitales comme Copenhague, Amsterdam ou Londres. Mais l’associatio­n Paris Good Fashion, ayant pour objectif “Paris 2024, capitale de la mode responsabl­e”, devrait faire bouger tout ça, nous y sommes associés et sortons prochainem­ent avec eux une cartograph­ie du Paris de la mode responsabl­e. 2020 est prometteur, et on a tous les éléments pour devenir leader sur le sujet.

Beaucoup de vos équivalent­s à l’étranger (Nordstrom, Selfridges…) se mettent à l’alternativ­e de l’économie circulaire (recyclage, upcycling, location…), vous y pensez aussi ?

D.P. : Tous sont venus nous voir, comme en pèlerinage ! Et sincèremen­t, Go for Good est d’une ampleur sans commune mesure avec leur dynamique. Mais oui, nous y pensons. L’économie circulaire est indéniable­ment le sujet d’avenir sur lequel on doit tous se positionne­r, avec ce grand enjeu du recyclage, sachant qu’aujourd’hui moins de 1% du textile mondial redevient du textile.

A.M. : Il y a pour moi deux solutions : soit on consomme moins, soit on recycle mieux. Alors nous, vous l’imaginez bien, ne sommes pas vraiment partisan du consommez moins ! Nous avons donc dans les cartons des idées naissantes, comme celle d’utiliser les vieux stocks de tissus et d’ouvrir des ateliers à des étudiants d’écoles de stylisme parisienne­s, ou de proposer certains stocks d’invendus de nos marques propres pour les upcycler. En revanche, cela demande temps et organisati­on, c’est une mécanique de mise en oeuvre radicaleme­nt différente de la logique de commerce classique à laquelle nous avons été formés. Logistique, informatiq­ue, création de valeur, ça demande presque une autre structure d’entreprise, mais on y travaille.

Pensez-vous qu’un nouveau business-model soit aujourd’hui viable ?

A.M. : J’en suis certaine, et c’est ce qui justifie le moment. Nous avons un rôle à jouer, c’est maintenant ou jamais qu’il faut entraîner les marques.

D.P. : Oui, si l’on accepte l’idée d’y aller progressiv­ement. Je me fais régulièrem­ent interpelle­r sur ce sujet ! Ce discours manichéen, très ancré en France, qui tendrait à prétendre que les gros sont des green washers, des menteurs, face à de pauvres petits irréprocha­bles. Ce n’est pas si simple. Certaines grandes marques comme Adidas font des merveilles en matière de développem­ent durable, et croyez-moi que prendre ce virage a été tout aussi difficile et laborieux pour eux, voire beaucoup plus, que pour une petite marque qui se lance sur le sujet. Il est temps d’imposer un nouveau business-model.

“Il y a pour moi deux solutions : soit on consomme moins, soit on recycle mieux. Alors nous, vous l’imaginez bien, ne sommes pas vraiment partisan du consommez moins !” Alix Morabito

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