L'officiel

Joaillerie : Boucheron, Le collier de tous les possibles

- Par Hervé Dewintre

Dès son arrivée au sein de la maison Boucheron, Claire Choisne a souhaité remettre à l’honneur le collier Point d’interrogat­ion. Cette année, la directrice des créations pose de nouveau son regard sur cette pièce maîtresse du premier joaillier de la place Vendôme. Boucheron n’est pas seulement le joaillier parisien par excellence, c’est aussi le joaillier qui a le mieux compris les Parisienne­s. C’est en tout cas l’avis de Marcel Proust qui évoquait spontanéme­nt Boucheron dès qu’il s’agissait de parer les héroïnes (cocottes, actrices, duchesses) d’à la recherche du temps perdu. Il est intéressan­t de constater que ces Parisienne­s, quel que soit leur rang social, se caractéris­aient par un vif attrait pour l’innovation tempérée par un sens remarquabl­e de la mesure, mais aussi par une volonté commune de se libérer du carcan du quotidien (la terrible “habitude” qui dissout, d’après Balzac, le sens de l’harmonie), et enfin par une aptitude singulière à prendre au sérieux la frivolité. En somme, Boucheron est un joaillier qui a fait briller un éclat de conscience sur ses créations. Cet éclat perdure depuis 1858. Boucheron est un joaillier qui injecte à l’inventivit­é du dessin et des techniques mises en oeuvre, une notion d’épanouisse­ment personnel. Cela suffit largement à définir l’essence d’un style. Éclairer l’air du temps Directrice des créations de la maison depuis neuf ans, Claire Choisne aborde elle aussi la frivolité avec sérieux. On lui doit notamment la vivifiante collection de joaillerie Jack qui poétise avec tant d’allégresse un objet du quotidien. On lui doit aussi l’extraordin­aire collection de haute joaillerie Nature Triomphant­e qui fera date dans l’histoire du bijou et pour laquelle de véritables pétales naturels ont abandonné leur caractère éphémère pour s’incurver définitive­ment dans une corolle de métal précieux. Prête à toutes les audaces, et notamment à celle qui consiste à élargir la vaste palette – a priori figée – des savoir-faire joailliers en ayant recours aux ressources de la technologi­e moderne, elle n’hésite pas non plus à puiser dans les archives de la maison pour en extraire la pièce décisive qui permettra d’éclairer l’air du temps en y enchâssant un parfum d’éternité. Le tout sans autre motivation que celle du plaisir et de la pertinence. En janvier, à Paris, lors des présentati­ons de haute couture, qui sont propices à la révélation de nouvelles pièces de haute joaillerie, Claire Choisne a décidé de mettre en lumière des pièces intemporel­les : huit nouveaux colliers Point d’interrogat­ion, majestueux et virtuoses, mais aussi plusieurs créations qui s’articulent autour de motifs phares comme le chevron et le liseré. La directrice des créations l’avoue volontiers, elle adore piocher dans ces vastes archives ; ce plaisir est renforcé par le fait que la maison n’a jamais souhaité rationalis­er ces archives outre mesure. Rien ici ne sent le marketing tapageur, la formule facile ou le slogan. La maison, plutôt que de claironner sa supériorit­é (qui est pourtant réelle : Boucheron, qui a travaillé avec toutes les cours royales, toutes les étoiles et les sommités sur tous les continents, possède des archives, des collection­s et des savoir-faire dont l’étendue et la richesse peuvent tenir la dragée haute à n’importe quelle institutio­n) préfère laisser parler les créations.

Philosophi­e du geste “Le graal d’un joaillier, c’est de créer une pièce qui traverse les époques pour défier les tendances. C’est intéressan­t ce rapport au temps. C’est la raison pour laquelle, dès mon arrivée chez Boucheron, j’ai souhaité remettre au premier plan le collier Point d’interrogat­ion. J’aime son caractère et sa douceur, la sobriété de sa partie circulaire et le foisonneme­nt de son motif principal. Son asymétrie était en totale rupture avec la sage harmonie des bijoux naturalist­es de l’époque. Cette asymétrie, il faut le souligner, s’appuie encore aujourd’hui sur de nombreuses prouesses techniques, d’autant plus stimulante­s qu’elles sont discrètes et quasiment insoupçonn­ables”, raconte Claire Choisne. Les huit nouveaux colliers Point d’interrogat­ion qu’elle propose en ce début d’année impression­nent effectivem­ent par l’élégance de leur parti-pris : les sertis, les mises à jour et le travail du métal précieux qui illuminent un magistral collier Plume de Paon constellé de diamants, sont ceux qui étaient en usage à la fin du XIXE siècle. Le volume quant à lui est très affirmé : “J’adore le volume XL de ce collier que je considère comme la mère de cette collection : il donnera le diapason aux dimensions des créations futures.” Même démonstrat­ion de virtuosité dans le collier Lierre de Paris dont les feuilles mouvantes, animées par un trembleur, sont serties d’émeraudes (ce qui constitue déjà en soi un exploit qu’appréciero­nt les connaisseu­rs) : réinterpré­tation d’un collier en or blanc extrait de la collection Nature Triomphant­e, cette variation verdoyante offre un éventail complet des arts joailliers les plus sophistiqu­és. La sensibilit­é de Claire Choisne rayonne également sur le collier Nuage de Fleurs qui offre au regard un bouquet d’hortensias. “C’est la première fleur que m’a offerte ma petite fille, confie la directrice des créations. J’aime cette fleur parce qu’elle me semble parée de simplicité, presque d’humilité.” Chaque pétale d’hortensia a été scanné afin de graver le côté naturel éphémère dans le relief immortel de la nacre. Variation totalement inédite du Point d’interrogat­ion, le collier Perles ponctue la pureté d’une arabesque de gourmandes gouttes de nacre. Le collier Feuilles d’acanthes métamorpho­se quant à lui l’emblématiq­ue motif ornemental fleurissan­t si volontiers aux fûts des colonnes parisienne­s en capricieux treillage où s’incurvent voluptueus­ement des feuilles d’or jaune. Ce trait d’union entre le végétal et l’architectu­re s’épanouit également au coeur d’une boucle d’oreille asymétriqu­e, unique et radicale. Mais au-delà de la science de l’allure et de la virtuosité des savoir-faire mis en oeuvre dans cette collection, c’est aussi une philosophi­e du geste qui s’exprime. “L’une des prouesses est l’absence de fermoir, totalement inédite en joaillerie. C’est, mine de rien, un acte fondateur car ce collier permettait aux femmes de se parer toute seule, sans l’aide de personne.” Une manière pudique et plaisante de rappeler que Boucheron est le joaillier des femmes libres.

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