L'officiel

Rencontre avec Giulia Foïs

La journalist­e Giulia Foïs publie le livre le plus intense de ce printemps où elle raconte son viol, et l’après. Rencontre avec une combattant­e.

- Par Sophie Rosemont

Elle a 20 ans, sort de son travail d’hôtesse d’accueil au Festival d’avignon, et, en rendant service à un inconnu, tombe dans un piège qui aurait pu être mortel. Violée sous la menace d’une arme blanche, Giulia Foïs porte plainte mais, trois ans plus tard, pour des raisons ahurissant­es qu’on vous laisse découvrir dans Je suis une sur deux, le violeur est acquitté. Après des années passées à se reconstrui­re et à s’activer dans un journalism­e sociétal très engagé, elle témoigne aujourd’hui avec son énergie et sa verve légendaire­s.

Pourquoi écrire ce livre aujourd’hui ?

Depuis l’acquitteme­nt de mon agresseur, je me disais que j’allais reprendre le pouvoir sur cette histoire, où j’avais été niée deux fois : d’abord le soir même, puis le jour du verdict. Mais je ne savais pas comment. Dix ans plus tard, j’ai écrit ma première enquête pour Marianne, sur le viol. Elle m’a permis de mettre

des chiffres et des mots, donc du sens, sur le non-sens absolu qu’est un viol. Ensuite, il y a eu des années d’expérience de journalist­e qui m’ont fait me sentir légitime, et puis Balance ton porc. J’ai réalisé que les réactions étaient les mêmes qu’il y a vingt ans : on devient accusée alors qu’on est victime. Enfin, j’ai failli perdre mon fils, et j’ai retrouvé à ce moment-là une colère intacte. J’étais déjà en contact avec mon éditeur, qui m’avait demandé un recueil de chroniques ou un essai sur Balance ton porc. Je lui ai annoncé que, finalement, je voulais raconter ce viol-là, du 24 juillet 1997.

Dans votre livre, vous citez Virginie Despentes et Clémentine Autain, qui ont chacune raconté leur viol. Pourquoi, d’après vous, si peu de femmes témoignent ?

Parce que notre parole est trop souvent mise en cause. Après la violence qu’on a subie, on n’en a pas toujours le courage. De plus,

on a grandi avec l’idée que l’homme était un être secoué de pulsions incontrôla­bles et que c’était à nous, femmes, tentatrice­s, de les contenir… Sondage après sondage, on constate que l’on nous suspecte à chaque fois de mentir, comme si on pouvait accuser quelqu’un parce qu’il nous aurait posé un lapin ou refusé une augmentati­on ! Les fausses plaintes, c’est seulement 2 à 8 % des cas. Les chiffres sont là : il y a un viol toutes les 7 minutes en France. Le point commun entre Despentes, Autain et moi, c’est qu’il s’agit d’agressions plus facilement concevable­s dans l’imaginaire collectif : un inconnu, la nuit, une arme… et non pas un ami ou quelqu’un de la famille. C’est ce qui m’a aussi permis d’oser porter plainte, à l’époque.

En quoi cette agression a-t-elle influencé votre parcours ?

En tout. Quand on frôle la mort dans un champ, que le coupable

a été acquitté et qu’on n’a que 23 ans, la vision du monde est très assombrie. Cela conditionn­e un rapport à la vérité, au récit, donc au journalism­e. Le viol ne transforme pas, il maximalise. J’ai toujours aimé écrire, le viol m’a donné une urgence à écrire. J’ai toujours été quelqu’un de joyeux, le viol m’a donné une urgence à vivre.

Avec Me Too et Balance ton porc, peut-on parler de libération de la parole, qui plus est féministe ?

Je dirais plutôt que les filles s’emparent de la parole, et c’est pour ça qu’elles sont belles et courageuse­s. Quand on dit qu’on est féministe aujourd’hui, on est moins agressées, certaines s’excusent presque de ne pas l’être, sans oublier l’opportunis­me de ceux qui arrivent trop tard… C’est toujours mieux qu’avant Me Too, où on était quelques poignées à défiler le 8 mars, à se faire traiter d’hystéros. C’est grâce à une jeune génération,

celle des réseaux sociaux, que le féminisme se renouvelle, communique mieux et davantage. Lors de la manifestat­ion du 23 novembre 2019, il y avait beaucoup d’hommes. Ils en ont marre des injonction­s à la virilité, qu’on viole leurs femmes, leurs soeurs ou leurs filles. Mais, tant que le Secrétaria­t d’état des femmes touchera le budget le plus ridicule du gouverneme­nt, cela signifiera que les politiques nous ignorent.

Que vous apporte votre émission, Pas son genre, où vous décryptez une société post Me Too qui cherche à redéfinir les codes ?

Une forme de paix. Après des années à travailler sur ce terrain-là, j’avais parfois l’impression de parler dans le vide. Désormais, j’entends un véritable écho. Cela signifie aussi qu’il ne faut pas se tromper, être démago ou tomber dans l’entre-soi. Et qu’il faut viser un

large public afin que les auditeurs se sentent concernés par la discussion : qu’est-ce que c’est d’être hétéro, gay, homme, femme, qu’est-ce que la domination ou l’équilibre ?

Une question futile pour la fin : peut-on parler de vos fameuses créoles ?

Évidemment! En effet, je ne les quitte jamais. À la fin de chaque émission, je demande aux invités :

“Qu’est-ce qui incarne votre féminin?”

Moi, ce sont mes créoles. J’aime leur côté bling, ce côté rond qui va bien avec mes origines méditerran­éennes. Et quand on a pu se relever de quelque chose aussi terrible que le viol, la futilité n’est pas un droit, c’est un devoir.

Je suis une sur deux, de Giulia Fois, Flammarion. Pas son genre, le vendredi de 20 à 21 h sur France Inter.

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