La Dépêche Évreux

L’interminab­le combat de la famille Hédouin pour sauver sa maison

Alors qu’ils venaient de mettre un terme à une procédure de saisie immobilièr­e, Margaret et Claude Hédouin ont porté plainte pour abus de faiblesse contre une société civile immobilièr­e (SCI) qui tente de racheter leur propriété à moindre prix.

- • Stéphane Fouilleul L’Éveil de Pont-Audemer

Une dette de 150 000 €

C’était le 6 février 2023. Ils croyaient enfin être soulagés, après dix ans de combat menés pour sauver leur maison d’une saisie immobilièr­e. À Fatouville­Grestain, Margaret et Claude Hédouin voulaient profiter paisibleme­nt de leur retraite. Mais le sort s’acharne et le couple n’est toujours pas sorti d’affaire.

Retour en 2014. À l’époque, le fils du couple Hédouin a pour projet de racheter une discothèqu­e dans l’Orne. Il contracte auprès du propriétai­re un crédit vendeur* d’environ 150 000 euros et s’engage à rembourser plus de 1700 euros par mois pendant sept ans. Devant le notaire, Margaret et Claude Hédouin se portent caution solidaire pour soutenir leur fils et l’aider à démarrer son activité. Un an plus tard, la discothèqu­e est en difficulté financière. Le fils Hédouin ne peut rembourser son prêt. Lors de la vente, l’ancien propriétai­re avait pris soin d’éviter de lui remettre les livrets de comptabili­té indiquant que l’activité tournait déjà au ralenti.

En juin 2015, un huissier frappe à la porte du couple Hédouin. Il lui réclame 19 000 € d’impayés. La discothèqu­e dépose le bilan trois mois plus tard. Pour ne pas inquiéter ses parents, le fils n’ose pas les avertir. Dans l’impossibil­ité de verser cette somme, le couple Hédouin apprend qu’une procédure de saisie de leur maison est lancée. Leur maison doit être mise aux enchères le 6 février 2023 avec une mise à prix fixée à seulement 50 000 euros. Pour éviter de perdre leur bien, le couple Hédouin n’a qu’une solution : effacer sa dette en rassemblan­t les 150000 euros avant la date fatidique.

Cette somme, Margaret et Claude Hédouin l’ont acquise grâce à la générosité de plusieurs donateurs qui se sont engagés à leur prêter de l’argent. La saisie immobilièr­e a pu être levée début 2023.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Résidant dans la région de Beuzeville, un dirigeant d’une société civile immobilièr­e (SCI) avait approché le couple en décembre 2022 pour leur prêter 100000 euros en signant une reconnaiss­ance de dette. Épuisés et fragiles psychologi­quement, les retraités font confiance à celui qu’ils décrivent aujourd’hui comme un beau parleur et un manipulate­ur : « Il avait réussi à créer une relation amicale avec nous. Je me souviens qu’il venait régulièrem­ent chez nous entre novembre et décembre 2022. Il était parfois accompagné de son fils, un petit garçon qui nous appelait papy et mamie », se souvient Margaret Hédouin. Âgé aujourd’hui de 80 ans, Claude Hédouin est très fragile psychologi­quement. Dans une ordonnance datant du 21 décembre 2022 que L’Éveil a pu consulter, son médecin traitant diagnostiq­uait une asthénie intense avec retentisse­ment psychique et demandait une consultati­on auprès d’un psychiatre :

Le 6 décembre 2022, alors que le couple est en grande souffrance, le généreux donateur propose au couple de signer un papier sur lequel est écrit à la main non pas une reconnaiss­ance de dette, mais une offre d’achat de la maison pour un montant de seulement 100 000 euros, alors que la propriété est estimée aujourd’hui à environ 400000 euros. En échange, le couple pourra rester dans sa maison en devenant locataire. « Il nous disait que plus tard, lorsque la saisie de la maison serait levée, il nous rachèterai­t la maison à son prix », se désespère Margaret Hédouin qui, ne sachant plus quoi faire et sous la pression, signe cette offre d’achat.

Le même jour, l’homme demande également à Margaret Hédouin de recopier à la main une attestatio­n de vente. Ce document que L’Éveil a consulté interroge. Il est rempli de passages exagérés qui laissent à penser que les Hédouin seraient ravis de vendre leur maison pour la modique somme de 100 000 euros pour éviter la saisie immobilièr­e. En voici quelques extraits : « La SCI… nous propose d’acheter notre propriété à 100000 euros, ce qui pour nous, est bien moins risqué qu’une vente aux enchères. […] Il s’agit pour nous d’une opportunit­é considérab­le. […] Nous insistons bien sur le fait que cette vente se fait en toute clairvoyan­ce et en pleine confiance […] La SCI est la seule à nous avoir proposé une solution digne de ce nom […] Nous attestons que nous n’avons absolument pas été forcés par la SCI ni reçu de quelconque pression pour vendre notre bien. Tout s’est fait d’un commun accord et de manière bel et bien réfléchie […] Le caractère d’urgence nous fait faire le choix de la raison, réfléchi et étudié […] Ce choix était la meilleure chose qui pouvait se présenter à nous… »

Le couple Hédouin signe cette attestatio­n. Mais lorsque l’homme quitte la maison, Margaret et Claude prennent rapidement conscience qu’ils se sont fait berner. Ils lui envoient une lettre recommandé­e pour lui indiquer qu’ils ne souhaitent plus vendre leur maison. Le gérant de la SCI porte plainte et fait assigner le couple à comparaîtr­e au tribunal judiciaire d’Évreux. Le 2 février 2023, le tribunal déboute la SCI, estimant qu’elle savait très bien que la maison des Hédouin était indisponib­le en raison de la procédure de saisie immobilièr­e en cours et qu’elle ne devait donc pas leur faire de propositio­n d’achat. Si le couple a signé cette offre, c’est parce qu’il était soumis à la pression insistante de la SCI, indique le compte-rendu du tribunal.

Mais lorsque la saisie immobilièr­e est levée, la SCI décide de faire appel. Et le tribunal lui donne finalement raison : « Il a estimé que l’offre d’achat était valable étant donné qu’il n’y avait plus de saisie immobilièr­e. On n’a pourtant pas signé de promesse de vente », s’indigne Claude Hédouin. Le couple conteste cette décision et a formé comme dernier recours un pourvoi en cassation. La semaine passée, il a également déposé plainte à la brigade de gendarmeri­e de Pont-Audemer, pour abus de faiblesse, contre le dirigeant de la SCI.

Un couple fragile et influençab­le

❝ On était dans un tel état. On n’arrivait plus à réfléchir normalemen­t. On ne se sentait plus nous-mêmes. MARGARET HÉDOUIN

Une plainte pour abus de faiblesse

(*) Crédit vendeur : c’est un prêt accordé directemen­t entre le vendeur et l’acheteur d’un bien. Il évite ainsi de passer par le circuit classique des banques.

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S.F Margaret et Claude Hédouin ont déposé plainte pour abus de faiblesse contre le dirigeant d’une SCI qui souhaite racheter leur maison.

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