La Gazette de la Manche

Pierre Chartrain confie ses souvenirs de la bataille du Rouvre

Dans le cadre de son travail de collecte de la mémoire des habitants du Sud-Manche, Dominique Forget a fait étape à Pontorson.

- Contact : Dominique Forget 06 08 31 21 59, liberation­delamanche­1944@hotmail.fr

Documental­iste audiovisue­l, passionné d’histoire, Dominique Forget a réalisé plusieurs films à partir d’archives américaine­s et de témoignage­s.

À Pontorson, il a pu rencontrer de nouveaux témoins dont Pierre Chartrain, né à la ferme du Rouvre à Macey le 4 novembre 1934.

Le 1er août 1944, il a vécu, en direct, avec sa famille et ses voisins, la bataille du Rouvre, au niveau du passage à niveau 97, à Brée en Tanis, bataille qui opposa Allemands et Américains et qui fut déterminan­te pour la libération de Pontorson.

Souvenirs du gamin de 10 ans

Aîné d’une fratrie de huit enfants dans une famille d’agriculteu­rs, il évoque ses souvenirs de la guerre et de la présence des soldats allemands avec beaucoup de retenue et d’émotion. Dès 1940, en allant à l’école, il croise des soldats qui s’entraînent à la marche. Il se souvient que certains s’étaient présentés à la ferme familiale et s’étaient emparés d’un cochon qu’ils avaient tué et débité sur place, mais son père avait réussi à se faire payer pour l’animal.

Un dimanche, en revenant de la messe à Tanis, Pierre a assisté à l’explosion d’un camion ennemi sous les tirs d’un avion. Beaucoup d’avions sillonnaie­nt le ciel et de nombreux trains étaient mitraillés sur la ligne de chemins de fer Caen-Rennes. En gare de Servon, les trains allemands ravitailla­ient les troupes en place.

« Le 6 juin 1944, on voyait des vagues d’avions qui tournaient au-dessus de nous, on se doutait que c’était la libération. Avranches a été bombardée le 7 juin ainsi que le pont de Pontaubaul­t, on entendait les bombardeme­nts jusque chez nous » , raconte ce témoin. Aucun détail n’est oublié

Les souvenirs sont extrêmemen­t précis, aucun détail n’est oublié.

« La veille de la bataille du Rouvre, des officiers allemands ont débarqué chez nos voisins qui avaient une grande ferme. madame Dumont a dû leur préparer une omelette. Avant de repartir, ils leur ont dit : Il faut que vous partiez d’ici. Ils savaient donc que quelque chose se passerait le lendemain ! Tôt le matin, alors qu’il allait traire ses vaches au champ, monsieur Dumont a prévenu mon père qu’il fallait partir car il y avait beaucoup d’Allemands, 300 ou 400, qui s’installaie­nt. Dans la nuit, ils avaient mis en place des mitrailleu­ses, deux canons de 88 et une batterie de DCA près du passage à niveau entre les rails et la route nationale. Dès 8 h, nous avons quitté la maison. Monsieur Dumont était rentré de la traite, les soldats allemands affamés se sont jetés sur les seaux de lait et c’est ainsi que la première colonne de soldats américains a pu passer sans problème, ensuite la bataille a duré trois heures !

On était dans un chemin, au pied d’un talus, à 300 m de la maison, on voyait les obus en face. Vingt et une personnes, nous, les Dumont et leurs employés, ça tirait de tous les côtés. »

La nationale jonchée de débris

L’armée du général Patton venait de réussir la percée d’Avranches et continuait son avancée vers la Bretagne.

« Les Américains ont dû contourner par Tanis, la nationale 176 était bloquée au niveau de Servon. Quand ça s’est terminé, dans l’aprèsmidi, on est allé voir la ferme avec mon père et mon frère, un bâtiment était en feu, la ferme des Dumont aussi. Des artilleurs US nous ont pris pour des Allemands, M. Dumont a pris un drap blanc pour leur faire signe. On a passé la nuit dans l’étable. »

Pierre Chartrain raconte alors que les jours suivants, il y avait des corps et des carcasses d’engins et d’artillerie tout le long de la nationale.

« Les Américains récupéraie­nt les corps de leurs soldats tués, alors que ceux des Allemands ont été enterrés par des civils dans des fosses. Les cadavres seront récupérés plus tard. »

Cette bataille du Rouvre fut brève mais intense. Pierre s’en souvient encore, sa mémoire est intacte, émaillée de souvenirs plus légers aussi.

« La laveuse a continué son travail, elle a traversé les unités allemandes sans être inquiétée ! À Brée, un char US a heurté l’hôtel qui fait l’angle et un pignon s’est écroulé. »

Pierre Chartrain garde précieusem­ent ses souvenirs qu’il a rassemblés dans un classeur, photos, textes et poursuit aussi son devoir de mémoire pour les génération­s à venir et en souvenir des libérateur­s américains.

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Les jeunes gymnastes ont épaté le public lors de leurs démonstrat­ions à la salle des sports. Pierre Chartrain, 83 ans aujourd’hui, a témoigné de ses souvenirs.

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