La Marne (édition Meaux)

Il retrouve 2 000 lettres de sa famille au front

Jacques Résal revient régulièrem­ent dans sa maison de famille à La Ferté. C’est là qu’a vécu sa famille pendant la Première guerre mondiale. Il a reconstitu­é la vie de ses aïeux en relisant leurs lettres.

- Pierre Serizay

Les murs de sa maison sont chargés d’histoire. À 73 ans, Jacques Résal a retracé l’épopée familiale à travers plus de 2 000 lettres qu’il a épluchées pendant plusieurs mois. Il les publie sur un site à visée pédagogiqu­e intitulé Plateforme 14-18. Et dans son salon fertois, Jacques Résal se replonge encore dans la correspond­ance de ses aïeux, « un véritable régal à lire ».

La Ferté, pilier de calme

C’est Paul Résal, le père de Jacques, qui a regroupé ces milliers de lettres. Mais il a fallu attendre que Jacques arrive à la retraite pour y trouver une cohérence. « Dès qu’ils avaient une permission suffisamme­nt longue, mon père et mes oncles venaient ici. La

Ferté-sous-Jouarre était le pilier de calme pour ceux qui

revenaient du front », explique Jacques Résal. Pour ses oncles, qui aimaient pêcher, les sorties bucoliques autour de La Ferté étaient comme des pauses dans la guerre. Les Boches à la maison

Pourtant, dans l’épaisse correspond­ance qu’il a lui-même retapée sur l’ordinateur, Jacques Résal découvre que sa maison de campagne n’est pas qu’un havre sorti du temps et des tourments. C’était un point névralgiqu­e pendant la guerre. Pendant les guerres, plutôt. « En effet, dès 1870, des Prussiens avaient été logés ici, précise-t-il. Puis, pendant la bataille de la Marne, mes grands-parents ont quitté les lieux pour échapper aux Allemands. Ils ne sont partis que quelques jours, mais ça a suffi pour qu’ils pillent tout. » Dans leurs lettres, on ne parle que des « Boches ». Jamais des Allemands.

Quand ils ne sont pas à La Ferté, Paul et ses frères, Younes, Salem et Louis écrivent des lettres à leur soeur Mériem. Un peu. Mais c’est surtout elle qui écrit. Parfois plus d’une lettre par jour !

« Elle était comme leur deuxième mère », indique Jacques Résal. Les frères lui racontaien­t des choses qu’ils cachaient aux parents, comme ce qui pouvait se passer au front par exemple.

Patriotism­e total

Jacques Résal n’en revient

toujours pas. « Ce qui m’a vraiment surpris dans ces courriers, c’est le patriotism­e total qui en ressort. Un blessé, un mort, tout ça les affectait mais il fallait continuer. Aujourd’hui, c’est un peu suranné. » À travers les lettres, il y a aussi l’image du soldat français qui part la fleur

au fusil. « C’était même accentué par mon grand-père qui disait, en 15, en 16 et même en 17, que la guerre n’allait pas durer », raconte l’exégète. Pourtant, il ne faut pas y voir seulement une preuve de naïveté ou bien d’embrigadem­ent. Pour son père et son oncle, « qui étaient passionnés d’aviation, qui allaient voir des meetings avant guerre, ce conflit a été l’occasion de réaliser leur rêve ».

Tombeaux volants

Louis et Paul occupent des postes à responsabi­lité dans l’aviation balbutiant­e. Paul, le père, est gravement touché à l’oeil lors d’une opération. Qu’à cela ne tienne. La famille de notables a des connaissan­ces en haut lieu. Un cousin par alliance, Jules Jeanneney, est président du Sénat et bras droit de Clémenceau. Grâce à lui, Paul

parvient à éviter la réforme. « Il a donc volé jusqu’à la fin de la guerre, dans ces engins qu’ils découvraie­nt en même

temps », explique Jacques Résal. L’historien amateur sait qu’à la fin de la guerre, ses aïeux se sentent « en sursis ». Ils ont échappé à la mort dans les airs et dans les tranchées. Dès lors, on ne trouve plus trace de la guerre dans les écrits. Un oncle, Louis, meurt dans le Rhône en crue en 1925. Chérifa, l’une des tantes de Jacques Résal s’occupe du verger de Molien que son père

a acheté pour elle. Réunis mais

« sursitaire­s », les membres de la famille Résal ne s’écrivent plus beaucoup pendant l’entre-deuxguerre­s. « Une correspond­ance ne peut exister qu’en étant

désespéré », conclut Jacques Résal dans son épaisse moustache. Mais, grâce à lui, celle de sa famille survit aux années et devient un témoignage pour les génération­s actuelles.

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Jacques Résal lit « avec régal » la correspond­ance de ses aïeux.

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