Les cristaux temporels pourraient exister
Trois physiciens américains ont démontré comment des curiosités mathématiques baptisées « cristaux temporels », imaginées par un ancien Prix Nobel, peuvent être créées dans le monde réel.
maginez-vous dans un état tel que votre corps est à son niveau d’énergie le plus faible. Dans ce genre de situation, il vous est physiquement impossible de vous mouvoir. Mais est-ce le cas pour tous les systèmes physiques ? Non. Trois physiciens – Dominic Else, de l’université de Californie à Santa Barbara, Bela Bauer et Chetan Nayak, du laboratoire Microsoft Station Q à Santa Barbara – viennent de démontrer que des objets d’un genre particulier, baptisés « cristaux temporels », pourraient réaliser ce genre de prouesse dans le monde physique classique, à notre échelle (1). L’idée des cristaux temporels date de 2012. Elle émane de Frank Wilczek, du MIT. Le Prix Nobel de physique 2004 (il l’a reçu conjointe-
Iment avec deux autres physiciens, David Jonathan Gross et Hugh David Politzer) imaginait réaliser des cristaux temporels avec des particules quantiques enfermées dans un anneau d’atomes ultrafroids. En le couplant à un champ magnétique, ce dispositif parviendrait, dans son état d’énergie minimal, à se mettre en mouvement (soit en rotation, soit en oscillation), et reviendrait de manière périodique à sa position initiale (2). L’existence des cristaux temporels a depuis été très débattue et contestée. Et pour cause : d’après certains spécialistes, elle impliquerait de briser une symétrie fondamentale de la physique, connue sous le nom de symétrie de translation temporelle. La physique moderne repose en effet sur plusieurs idées fortes. L’une d’elles stipule que l’Univers est gouverné par des symétries. Cela signifie qu’un système physique, même s’il est soumis à des transformations (une rotation dans l’espace, par exemple), conserve inchangées certaines de ses caractéristiques, selon un principe connu sous le nom de « loi de conservation ». Mais une autre idée est tout aussi forte en physique moderne : celle selon laquelle ces mêmes symétries peuvent être brisées.
VEILLER À DEUX PARAMÈTRES
CE DISPOSITIF PARVIENDRAIT, DANS SON ÉTAT D’ÉNERGIE MINIMAL, À SE METTRE EN MOUVEMENT
Comment les cristaux temporels peuvent-ils exister, tout en brisant cette symétrie de translation temporelle ? Dominic Else, Bela Bauer et Chetan Nayak ont travaillé à l’aide de simulations pour répondre à cette question. D’après eux, il faut veiller à deux paramètres : d’abord, il faut s’assurer que le système – eux aussi imaginent des particules piégées dans un nuage d’atomes froids – effectue un mouvement périodique sans se réchauffer : la chaleur fait sortir le système de son état d’énergie fondamental ; ensuite, il faut que le système soit le plus massif possible. « Plus il est grand, plus il est difficile de trouver un état dans lequel il va respecter la symétrie de translation temporelle » , commente Bela Bauer. Le trio est en train d’explorer, avec des physiciens expérimentaux, des pistes pour réaliser des cristaux temporels. De quoi susciter l’enthousiasme de Frank Wilczek. « Ce travail est très original, et possiblement important, explique le Prix Nobel. Je suis optimiste quant au fait que nous arriverons à concevoir des expériences à partir de ces recherches. »
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