La Recherche

Les marins, précieux témoins des séismes

- Denis Legrand, Daniel Rouland, Annie Souriau, sismologue­s

Brise légère, mer calme, beau temps. À 5 heures du matin, je fus réveillé par une violente secousse, elle était accompagné­e d’un fort grondement », relate le commandant du Ann Mary qui navigue ce 5 février 1842 en plein océan Atlantique. « J’ai cru que nous avions rencontré un écueil. Puis j’ai pensé que le bateau avait été frappé par la foudre, et que les mâts étaient tombés. Quand je suis monté sur le pont, j’ai vu que le bateau avait été si violemment secoué qu’il semblait sur le point de se disloquer, si bien que l’homme à la barre ne parvenait plus à le gouverner. Tout l’équipage fut rapidement sur le pont, saisi de panique à cause de ce terrible tremblemen­t de terre qui a duré environ une minute. Une autre secousse s’est produite à 5 h 50, moins forte, puis une autre à 9 h 45, plus faible encore, et une dernière vers midi, à peine perceptibl­e. À midi, la latitude était de 0° 44’S et la longitude 20° 16’W, le chronomètr­e indiquait une course de 26 miles vers le SW depuis 5 heures. » Le témoignage du capitaine Rackham est publié par The Nautical Magazine and Naval Chronicle, qui prend la peine de préciser que l’homme est sain d’esprit. Le cas du Ann Mary est loin d’être isolé. Aux XVIIIe et XIXe siècles, des centaines d’autres témoignage­s, semblables dans leur formulatio­n, proviennen­t de navires sillonnant aussi bien l’Atlantique que le Pacifique ou l’océan Indien. Ils reportent des phénomènes similaires et évoquent eux aussi des tremblemen­ts de terre, parfois des phénomènes volcanique­s. Ainsi, le 20 novembre 1890, le capitaine Crosbie, à bord du Carleton, écrit : « Par 8° 45’N et 40° 28’W, nous avons ressenti un choc puissant. La mer est devenue comme une marmite en ébullition, une masse d’eau roulant d’avant en arrière, tandis que la températur­e de l’eau s’élevait. On a entendu un bruit sourd, comme si le bateau passait sur un récif » (1). À la lumière de la sismologie moderne, ces descriptio­ns s’expliquent très bien. Mais que savaient les scientifiq­ues de l’époque ?

Tremblemen­ts de terre, éruptions volcanique­s et glissement­s de terrain sous-marins ont été ressentis par les navigateur­s lors des siècles passés. Leurs témoignage­s auraient pu aider à découvrir les plaques tectonique­s bien avant le XXe siècle. Un rendez-vous manqué.

PREMIER ENREGISTRE­MENT DE SÉISME

Au XIXe siècle, la sismologie en est encore à ses balbutieme­nts. Certes, dès le IIe siècle, un savant chinois, Chang Hêng, met au point un appareil en forme de grosse jarre percée de 8 orifices (des gueules de dragons), orientés dans 8 directions différente­s. La chute d’une des balles placées dans les orifices permet de détecter la direction d’un séisme. Au XVIIIe siècle, plusieurs « sismoscope­s », qui n’indiquaien­t souvent que l’heure et la direction d’arrivée du séisme, sont construits en Europe, principale­ment par des savants italiens soucieux de comprendre les séismes de leur pays. Luigi Palmieri, qui étudie les séismes en liaison avec le Vésuve, conçoit un instrument qui détecte les mouvements horizontau­x du sol, en plus des mouvements verticaux. Au Japon, à la suite du séisme de Yokohama de

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