Les marins, précieux témoins des séismes
Brise légère, mer calme, beau temps. À 5 heures du matin, je fus réveillé par une violente secousse, elle était accompagnée d’un fort grondement », relate le commandant du Ann Mary qui navigue ce 5 février 1842 en plein océan Atlantique. « J’ai cru que nous avions rencontré un écueil. Puis j’ai pensé que le bateau avait été frappé par la foudre, et que les mâts étaient tombés. Quand je suis monté sur le pont, j’ai vu que le bateau avait été si violemment secoué qu’il semblait sur le point de se disloquer, si bien que l’homme à la barre ne parvenait plus à le gouverner. Tout l’équipage fut rapidement sur le pont, saisi de panique à cause de ce terrible tremblement de terre qui a duré environ une minute. Une autre secousse s’est produite à 5 h 50, moins forte, puis une autre à 9 h 45, plus faible encore, et une dernière vers midi, à peine perceptible. À midi, la latitude était de 0° 44’S et la longitude 20° 16’W, le chronomètre indiquait une course de 26 miles vers le SW depuis 5 heures. » Le témoignage du capitaine Rackham est publié par The Nautical Magazine and Naval Chronicle, qui prend la peine de préciser que l’homme est sain d’esprit. Le cas du Ann Mary est loin d’être isolé. Aux XVIIIe et XIXe siècles, des centaines d’autres témoignages, semblables dans leur formulation, proviennent de navires sillonnant aussi bien l’Atlantique que le Pacifique ou l’océan Indien. Ils reportent des phénomènes similaires et évoquent eux aussi des tremblements de terre, parfois des phénomènes volcaniques. Ainsi, le 20 novembre 1890, le capitaine Crosbie, à bord du Carleton, écrit : « Par 8° 45’N et 40° 28’W, nous avons ressenti un choc puissant. La mer est devenue comme une marmite en ébullition, une masse d’eau roulant d’avant en arrière, tandis que la température de l’eau s’élevait. On a entendu un bruit sourd, comme si le bateau passait sur un récif » (1). À la lumière de la sismologie moderne, ces descriptions s’expliquent très bien. Mais que savaient les scientifiques de l’époque ?
Tremblements de terre, éruptions volcaniques et glissements de terrain sous-marins ont été ressentis par les navigateurs lors des siècles passés. Leurs témoignages auraient pu aider à découvrir les plaques tectoniques bien avant le XXe siècle. Un rendez-vous manqué.
PREMIER ENREGISTREMENT DE SÉISME
Au XIXe siècle, la sismologie en est encore à ses balbutiements. Certes, dès le IIe siècle, un savant chinois, Chang Hêng, met au point un appareil en forme de grosse jarre percée de 8 orifices (des gueules de dragons), orientés dans 8 directions différentes. La chute d’une des balles placées dans les orifices permet de détecter la direction d’un séisme. Au XVIIIe siècle, plusieurs « sismoscopes », qui n’indiquaient souvent que l’heure et la direction d’arrivée du séisme, sont construits en Europe, principalement par des savants italiens soucieux de comprendre les séismes de leur pays. Luigi Palmieri, qui étudie les séismes en liaison avec le Vésuve, conçoit un instrument qui détecte les mouvements horizontaux du sol, en plus des mouvements verticaux. Au Japon, à la suite du séisme de Yokohama de