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Le déclin du rêve américain

Au pays où le self-made-man est roi, une nouvelle étude sociologiq­ue montre que les financemen­ts des études par les parents est un vecteur puissant de reproducti­on sociale.

- Lucie Rondou

AUX ÉTATS-UNIS, LES DEUX TIERS DES ÉTUDIANTS NE PERÇOIVENT AUCUNE AIDE DE LEURS PARENTS

Aux États-Unis, l’ascenseur social est bloqué. « Cela fait quinze ans que les sociologue­s s’inquiètent du manque de mobilité sociale », explique Elliot Weininger, professeur de sociologie à l’université de Brockport, dans l’État de New York. Un rapport paru en décembre 2016 a chiffré pour la première fois le déclin du rêve américain. Si les enfants nés en 1940 avaient 90 % de chances de gagner plus que leurs parents, cette probabilit­é tombe à 50 % pour ceux nés en 1980 (1). Mais tandis que les recherches pour expliquer la reproducti­on sociale portent habituelle­ment sur la socialisat­ion dans la petite enfance, une étude récente menée par Emily Rauscher, de l’université du Kansas, étudie les mécanismes à l’oeuvre pendant les études supérieure­s. À partir d’un panel d’étudiants entre 1978 et 2002, la sociologue a étudié l’influence du financemen­t des études par les parents sur le devenir socio-économique de l’enfant (2). L’étude nous apprend qu’aux États-Unis un enfant reçoit en moyenne 13 035 dollars (environ 12 500 euros) pour l’ensemble de sa scolarité de la part de ses parents. Un chiffre trompeur puisque les deux tiers des étudiants ne perçoivent rien. Si on exclut ces derniers, la moyenne s’élève alors à 52 185 dollars (50 000 euros). « C’est énorme, souligne Elliott Weininger, cela équivaut au revenu médian (*) actuel par foyer aux ÉtatsUnis [56 516 dollars en 2015, NDLR]. » Et cette somme augmente encore dans les fractions les plus aisées de la population : les 25 % les plus riches ont financé les études de leurs enfants à hauteur de 78 212 dollars (près de 75 000 euros), soit près de trois fois plus que les foyers situés sous la médiane des revenus. L’inégalité est encore plus frappante lorsqu’elle se rapporte à la « richesse » (biens immobilier­s, financiers) : les 25 % les plus riches de la population ont donné 11 fois plus que les 50 % de la population les plus pauvres. « En 1968, recevoir de l’argent de la part de ses parents concernait moins de 1 % des étudiants. Aujourd’hui, avec l’explosion du coût des université­s et le poids du diplôme qui est de plus en plus important, ce chiffre augmente, indique Elliott Weininger. Mais la capacité des familles à donner a d’importante­s conséquenc­es sur l’adulte en devenir. » En effet, les étudiants qui doivent financer eux-mêmes leurs études contracten­t des prêts qu’ils ne seront peut-être pas en mesure de rembourser, « surtout s’ils ne valident pas leur diplôme » , souligne le sociologue. Quid de l’éducation, censée nous mettre tous sur un pied d’égalité ? « Ces quinze dernières années, il est devenu évident que l’école en fait autant pour reproduire les inégalités de classe que pour les affaiblir, regrette Elliott Weininger. J’aime à dire que Bourdieu a gagné, même si peu de personnes lisent Bourdieu aux États-Unis ! »

(1) R. Chetty, The National Bureau of Economic Research, 22910, 2016. (2) E. Rauscher, The Russell Sage Foundation Journal of The Social Sciences, 2, 172, 2016.

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À l’université Harvard, les frais de scolarité sont élevés, mais ils varient en fonction des revenus des familles.

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