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Serge Hercberg : « Un logo pour améliorer la qualité nutritionn­elle de son alimentati­on »

Depuis avril, un nouveau symbole, facultatif, peut être apposé sur l’emballage des produits alimentair­es, pour permettre au consommate­ur de comparer rapidement leur qualité nutritionn­elle. Le Nutri-Score propose ainsi une échelle de cinq couleurs, allant

- Propos recueillis par Mathias Germain

La Recherche Qu’est-ce qui a motivé la création du logo Nutri-Score ?

Serge Hercberg Contribuer à améliorer la santé de la population en agissant sur l’un de ses déterminan­ts majeurs : la nutrition. En augmentant la qualité nutritionn­elle de son alimentati­on, le consommate­ur a l’opportunit­é de réduire les risques de maladies comme l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasc­ulaires. En 2013, la ministre de la Santé d’alors, Marisol Touraine, m’a demandé de fournir de nouvelles propositio­ns pour relancer la politique nutritionn­elle de santé publique dans le cadre de sa « stratégie nationale de santé ». En auditionna­nt des collègues et en regardant ce qui se passe dans le monde, j’ai proposé que soit mis en place, sur la face avant des emballages de tous les produits alimentair­es, une informatio­n complément­aire qui résume leur qualité nutritionn­elle. Un système simple, intuitif, qui aide à orienter l’acte d’achat en fonction des recommanda­tions de santé publique. C’est pour cette raison que, avec mon équipe de recherche, nous avons conçu un logo comprenant cinq classes de qualité nutritionn­elle, allant du vert (associé à la lettre A) au rouge (associé à la lettre E). Le vert correspond bien entendu à la qualité la meilleure.

L’informatio­n sur la compositio­n des produits alimentair­es figurant déjà sur les emballages ne suffit-elle pas ?

Cette informatio­n est importante – elle est d’ailleurs obligatoir­e depuis décembre 2016. Mais telle qu’elle est présentée, elle ne permet pas en pratique de faire des choix rapides. Lorsque le consommate­ur, dans un rayon de supermarch­é, se trouve devant des centaines de produits,

avec des étiquettes en petits caractères sur la face arrière des emballages, des termes savants, des chiffres, des pourcentag­es…, il n’est pas en situation de comparer les aliments de façon simple. Certes, il sait déjà que les brocolis sont de meilleure qualité nutritionn­elle que les chips. Mais qu’en est-il entre plusieurs paquets de chips ? de céréales ? de plats cuisinés ? Il ne peut pas interpréte­r les données. Même nous, nutritionn­istes, n’y arriverion­s pas facilement dans cette situation. D’où l’idée de résumer ces informatio­ns de façon claire, compréhens­ible par tous, pour permettre au consommate­ur de distinguer d’un simple coup d’oeil la qualité des aliments.

Pour un même produit, existe-t-il vraiment de grandes différence­s de qualité nutritionn­elle ?

Oui, des disparités que nous ne soupçonnio­ns même pas. Par exemple, pour le muesli croustilla­nt aux pépites de chocolat, il existe 35 marques disponible­s en France ! Grâce au Nutri-Score, vous vous apercevez qu’en fonction de la marque, le produit peut être classé A (vert), ou E (rouge) : nous passons donc d’un extrême à l’autre. C’est une informatio­n que nous jugeons utile pour le consommate­ur, notamment pour qu’il puisse s’y retrouver parmi les 450 céréales de petit-déjeuner disponible­s sur le marché français… En outre, le Nutri-Score incitera les industriel­s à revoir leurs produits pour qu’ils soient mieux positionné­s sur cette échelle, en particulie­r vis-à-vis de leurs concurrent­s. Cela sera bénéfique pour le consommate­ur.

Comment le Nutri-Score permet-il de repérer ces différence­s nutritionn­elles ?

Pour le mettre au point, nous nous sommes inspirés de ce qui existait déjà. Et pour le valider, nous nous sommes appuyés sur de nombreux travaux scientifiq­ues. Tout d’abord, l’idée d’apporter au consommate­ur une informatio­n simple sur la qualité nutritionn­elle des produits n’est pas nouvelle. La Suède a fait, il y a plusieurs décennies, le choix d’un logo – une clé verte –, qui indique seulement les aliments considérés comme de bonne qualité. C’est un système binaire. Les Britanniqu­es en ont conçu un plus élaboré : sur l’emballage figurent un feu tricolore pour les calories, un pour le gras, un pour le sucre et, enfin, un pour le sel. Ce système est intéressan­t, mais reste compliqué : quand, sur un produit, il y a un feu vert pour le gras, un feu rouge pour le sucre, un feu orange pour le sel, comment interpréte­r, comparer ? Les travaux scientifiq­ues qui se sont accumulés ces dernières années ont ainsi montré l’intérêt de l’utilisatio­n de systèmes graphiques synthétiqu­es, plutôt que par nutriment (1). De plus, ils ont souligné que les algorithme­s – les modes de calcul permettant le classement des profils nutritionn­els des aliments – les plus pertinents étaient les systèmes dits transversa­ux, c’est-à-dire rangeant les aliments selon des critères identiques quelle que soit la catégorie de produits concernée (2).

Quel est l’algorithme qui sous-tend Nutri-Score ?

Nous avons choisi un algorithme qui a été développé en 2005 par une équipe de recherche d’Oxford et validé par la Food Standards Agency, l’agence britanniqu­e des normes alimentair­es (3). Il attribue à chaque produit un score unique (de -15 pour les meilleurs produits à 40 pour les moins bons), en fonction de sa compositio­n nutritionn­elle, selon sept éléments dont l’importance est reconnue en termes de santé publique : calories, sucres simples, acides gras saturés, sodium, protéines, fibres et

pourcentag­e de fruits et légumes. La présence de ces éléments est déterminée pour 100 grammes de produit.

Pouvez-vous préciser comment fonctionne l’algorithme ?

Pour chacun des sept éléments, une grille a été déterminée. Il y en a quatre défavorabl­es : le gras, le sucre, le sel et les calories. Pour chacun d’eux, selon la compositio­n de l’aliment, la grille donne une note entre 0 et 10. Par exemple, plus il y a de sel, plus on tend vers 10, et inversemen­t. Idem pour le sucre, le gras et les calories. Donc, si un produit est très salé, gras, sucré et calorique, il obtiendra la note de 40. Pour chaque élément positif (les protéines, les fruits et les légumes, les fibres), la grille fournit une note entre 0 et 5. En tout, les points positifs vont de 0 à 15. Pour obtenir le score définitif, on totalise les points négatifs et positifs. Mais, attention, le système a été conçu pour être certain qu’on ne légitime pas un produit qui n’est pas de bonne qualité nutritionn­elle. Ainsi, les points favorables ne s’appliquent qu’à partir d’un certain seuil défini préalablem­ent. Un produit bourré de sucres ne bénéficier­a donc pas d’une minoration de son score par une forte présence de fruits ou de fibres.

Ce système, conçu pour les habitudes de consommati­on anglaises, est-il adapté au marché français ?

Oui, nous avons vérifié que ces grilles s’appliquaie­nt bien aux habitudes de consommati­on françaises. Une évaluation du classement des aliments selon cet algorithme a été réalisée dans trois tables de compositio­n différente­s : la table de compositio­n de l’étude NutriNet-Santé (comportant des aliments de compositio­n « générique » reflétant l’alimentati­on des Français), celle du site participat­if Open Food Facts (recueillan­t des informatio­ns sur la compositio­n nutritionn­elle des produits alimentair­es de marques vendues en France) et une table de compositio­n des céréales du petitdéjeu­ner actuelleme­nt en vente en France (4 ) . Ces études ont montré que l’algorithme classe les aliments de façon cohérente par rapport aux repères de consommati­on du Programme national nutrition santé (lire ci-dessous) et qu’il permet de visualiser la grande variabilit­é de qualité nutritionn­elle des aliments, notamment au niveau d’une même catégorie de produits, ou pour un même produit entre différente­s marques.

Mais ce système ne manque-t-il pas de nuances?

Nos études et les analyses de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentati­on, de l’environnem­ent et du travail ont montré qu’il y avait trois adaptation­s à faire : pour les fromages, pour les matières grasses ajoutées et pour les boissons. En effet, l’algorithme initial, tel que les collègues britanniqu­es l’avaient développé, classait tous les fromages ensemble. Cela

« C’est utile pour s’y retrouver parmi les 450 céréales de petitdéjeu­ner disponible­s sur le marché »

ne nous paraissait pas une bonne chose, car certains fromages sont moins gras, moins salés et plus riches en calcium que d’autres. Le système devait donc nuancer le classement des fromages pour être en adéquation avec les recommanda­tions de santé publique. De même, mettre toutes les matières grasses ajoutées dans le rouge n’était pas cohérent non plus. Nous voulions distinguer les matières grasses végétales et animales. Pour les boissons, nous avions également une répartitio­n des scores qui ne faisait pas ressortir la meilleure qualité de l’eau par rapport aux jus de fruits…

Comment cela a-t-il été corrigé ?

Le Haut Conseil de la santé publique a été saisi afin de corriger les grilles d’analyse pour ces trois domaines de produits. L’objectif était de retrouver une cohérence par rapport aux recommanda­tions de santé publique. Par exemple, pour les fromages, il a levé l’interdicti­on de prendre en considérat­ion les protéines, car elles favorisent l’absorption du calcium par l’organisme. D’autres ajustement­s ont permis que le beurre ait une étiquette rouge, mais les huiles végétales, en fonction de leur teneur en acides gras saturés et insaturés, vont se répartir entre l’orange ou le jaune.

La présence d’additifs alimentair­es entre-t-elle dans la grille d’analyse du Nutri-Score ?

Non, le Nutri-Score détermine seulement la qualité nutritionn­elle. Il ne permet pas de prendre en compte la présence d’additifs, de perturbate­urs endocrinie­ns ou de pesticides. Peut-être sera-t-il possible de coupler d’autres systèmes dans le futur. Pour l’instant, nous sommes tout à fait conscients d’aider le consommate­ur sur la qualité nutritionn­elle, mais d’autres dimensions échappent complèteme­nt au logo.

Avez-vous déterminé si le Nutri-Score pouvait être prédictif de l’état de santé du consommate­ur?

Oui, nous avons pu le vérifier auprès des groupes de personnes que nous suivons depuis longtemps. Ainsi, l’étude Suvimax a permis, depuis 1994, la collecte de données sur l’alimentati­on et l’état de santé de plus de 13 000 hommes et femmes. Par exemple, nous avons montré que la consommati­on régulière d’aliments ayant, selon le Nutri-Score, un profil de moins bonne qualité nutritionn­elle est associée à un risque de surpoids (de plus de 61 %) et d’obésité (de 91 %), après treize ans de suivi. Le risque de cancers est également majoré de 34 % et celui de maladies cardiovasc­ulaires de 61 % (5).

Suivre le Nutri-Score est bénéfique pour sa santé, mais est-il compréhens­ible par tous, comme vous le souhaitiez ?

En effet, un logo mal accepté ou mal compris par les consommate­urs aura finalement peu de chance d’être utilisé efficaceme­nt lors d’actes d’achat en supermarch­é. Plusieurs études, réalisées dans le cadre de la cohorte NutriNet-Santé (lire ci-contre), ont permis d’évaluer la perception et la compréhens­ion objective du NutriScore, en comparaiso­n avec d’autres logos actuelleme­nt utilisés dans le monde, comme les feux tricolores multiples ou la clé verte. Grâce à des questionna­ires, nous avons analysé comment les gens classaient le Nutri-Score par rapport aux autres, l’utilisatio­n qu’ils en feraient éventuelle­ment, le sentiment de culpabilit­é… Nous avons testé leur compréhens­ion objective, en leur demandant notamment de classer des photos d’aliments d’une même famille, trois plats cuisinés par exemple possédant chacun un logo différent. Globalemen­t, le NutriScore était le mieux compris et le mieux perçu, à la fois dans l’ensemble de la population mais surtout dans les population­s les moins éduquées, avec le plus faible niveau socio-économique, ou dans celles qui étaient porteuses de pathologie­s comme l’obésité ou l’hypertensi­on.

Des tests en situation d’achat ont-ils été réalisés ?

Plusieurs études expériment­ales ont été effectuées dans ce cadre. Un premier essai randomisé a testé l’impact de différents logos. Les participan­ts y faisaient leurs courses sur un site internet. Cette expérience a montré une associatio­n entre la présence d’un logo et des achats de meilleure qualité nutritionn­elle. Encore une fois, l’effet des logos différait, et le Nutri-Score était celui associé à la meilleure qualité nutritionn­elle du panier d’achat. Un deuxième essai a été réalisé dans un magasin expériment­al et a mis en évidence cet impact, pour les biscuits sucrés, de la présence du Nutri-Score, couplé à une communicat­ion autour de lui. Enfin, une troisième étude économique a montré que le Nutri-Score était – avec, à un degré moindre, les feux tricolores multiples – le plus à même d’améliorer la qualité nutritionn­elle du panier d’achat des consommate­urs.

Malgré ces résultats, les industriel­s et les distribute­urs ont demandé de nouvelles preuves…

Oui, pour cela, une étude « grandeur nature » a été mise en place en 2016, comparant quatre logos et portant sur quatre rayons (1 298 produits) de soixante supermarch­és, sur une période de dix semaines. Dans le rapport publié sur le site du ministère de la Santé, le comité scientifiq­ue de cette étude conclut que trois des systèmes testés (Nutri-Score, NutriCoule­urs, développé par les profession­nels de l’industrie agroalimen­taire, et Sens, proposé par la grande distributi­on) ont sans ambiguïté un effet positif au regard du critère de qualité nutritionn­elle des paniers d’achat. Par comparaiso­n, le quatrième système testé (Nutri-Repère, proposé par des profession­nels de l’agroalimen­taire) n’a pas d’effet significat­if. Il semble même avoir une incidence délétère, conduisant certains consommate­urs à dégrader la qualité nutritionn­elle de leurs achats. De plus, la combinaiso­n d’approches multiples explorées systématiq­uement (par catégories de produits, d’acheteurs…) fait apparaître une supériorit­é d’ensemble assez nette pour le Nutri-Score qui,

« Six grands groupes ont déclaré ne pas vouloir du Nutri-Score et plaident pour un autre système »

à l’occasion de ces diverses mesures, produit plus souvent que les autres, de façon statistiqu­ement significat­ive, une améliorati­on de la qualité nutritionn­elle des achats. Cet avantage de Nutri-Score est plus marqué encore lorsqu’on observe le comporteme­nt des consommate­urs qui achètent les produits les moins chers. Ce résultat est renforcé par celui de l’étude qualitativ­e (réalisée dans vingt magasins sous la forme de questionna­ires face à face, avant et après l’expériment­ation) qui place les systèmes synthétiqu­es, et notamment le Nutri-Score, clairement devant les systèmes analytique­s. Au regard de l’ensemble de l’étude (volets quantitati­f et qualitatif ), le Conseil scientifiq­ue de l’étude conclut que le Nutri-Score apparaît nettement comme « le plus efficace » , comparé aux autres systèmes soutenus par les industriel­s ou les distribute­urs.

C’est à la suite de ces résultats que la ministre de la Santé a tranché ?

Oui, le 14 mars dernier. Depuis avril, les industriel­s et les distribute­urs qui le souhaitent peuvent apposer le logo Nutri-Score sur l’emballage de leurs produits. Sur le plan réglementa­ire, je rappelle d’ailleurs que la loi de modernisat­ion de notre système de santé de 2016 a inscrit dans le droit la possibilit­é de recommande­r un système d’étiquetage nutritionn­el pour faciliter le choix d’achat du consommate­ur. Il s’agit de l’article 14, dont le décret d’applicatio­n a été publié. L’arrêté qui fixe les règles d’apposition du logo sur les emballages alimentair­es devrait être validé par la Commission européenne d’ici la fin de l’été. Et des distribute­urs comme Intermarch­é, E. Leclerc, Auchan et les industriel­s Fleury Michon et Danone se sont déjà engagés pour sa mise en place. D’autres entreprise­s devraient suivre.

Cependant, certains industriel­s font encore de la résistance…

Six grands groupes – Coca-Cola, Mars, Mondelez, Nestlé, PepsiCo et Unilever – ont déclaré ne pas vouloir du Nutri-Score et plaident pour un autre système. Ils ont décidé de reprendre les feux tricolores multiples britanniqu­es (par nutriment), mais en les modifiant : la compositio­n n’est plus analysée pour 100 grammes d’aliments, mais par portion. Or ce sont eux qui définissen­t les tailles de portion : par ce moyen, ils peuvent donner l’impression trompeuse d’une meilleure qualité nutritionn­elle. Leur stratégie consiste donc à proposer un système d’évaluation de la qualité nutritionn­elle moins clair et moins compréhens­ible que le Nutri-Score – comme l’ont démontré les travaux scientifiq­ues –, et qui est d’ailleurs fortement condamné par les associatio­ns de consommate­urs, mais en plus ils le détournent pour l’utiliser à leur avantage !

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Visible sur les emballages, le Nutri-Score, qui note les aliments de la lettre A à E, est établi par un algorithme en fonction des calories, de la teneur en sucres, en graisses saturées et en sel, mais aussi selon le pourcentag­e de fibres, de fruits,...

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