TRIBUNE DE PHILIPPE RAVAUD ET ISABELLE BOUTRON
Le défaut de reproductibilité d’un travail de recherche est dangereux à deux titres. D’une part, un résultat que l’on ne peut reproduire perturbe le bon processus de la recherche, car les recherches ultérieures s’appuieront sur des résultats erronés. Cela peut conduire à l’utilisation de traitements inefficaces ou nocifs, de tests diagnostiques inutiles ou inopérants, et à un gâchis de la recherche. D’autre part, il compromet la crédibilité de la recherche, et mine la confiance du public et des professionnels de santé. Les défauts de reproductibilité peuvent survenir dans le processus normal de recherche. Mais ce qui est inquiétant, c’est leur fréquence actuelle. Celle-ci va bien au-delà de ce qui est raisonnablement attendu et est souvent liée à des pratiques telles que la non-publication ou l’omission de résultats négatifs, la réalisation d’analyses inappropriées pour obtenir des résultats positifs, des méthodes mal décrites, des effectifs insuffisants, etc. Ce problème a des causes multiples. Il n’est pas uniquement la conséquence de dérives et d’erreurs individuelles : il est systémique. Au-delà de la responsabilité évidente des chercheurs, celle des autres acteurs du système (organismes de recherche, universités, hôpitaux, financeurs, éditeurs scientifiques, médias et même grand public) est clairement engagée. Aucune solution unique ne le résoudra. Sont nécessaires à la fois une prise de conscience de tous ces acteurs et la mise en place d’une série de mesures dont l’efficacité ne peut être immédiate. L’une des actions à mener concerne la qualité des publications. Il est nécessaire d’inciter les scientifiques à suivre des recommandations précises sur les articles. C’est en ce sens que travaille le réseau Equator. Créée en 2006, cette organisation internationale regroupe des chercheurs, des éditeurs de revues médicales, des reviewers, des organismes de financement de la recherche, etc., qui cherchent à améliorer la qualité des publications de recherche et de la recherche elle-même. Concrètement, Equator développe par exemple une collection complète de ressources en ligne, en accès libre ; il conçoit des algorithmes afin d’aider les auteurs à identifier les recommandations les mieux adaptées à leur recherche ; il aide les revues et universités à mettre en oeuvre ces recommandations ; il crée et évalue des interventions pour améliorer la qualité de la recherche ; enfin, il réalise des travaux de recherche sur la recherche (1). Agir sur la qualité des publications est indispensable, mais pas suffisant. Il faut intervenir à toutes les étapes de la recherche, de sa conception à la diffusion des résultats (2). Ainsi, encourager l’enregistrement préalable des études cliniques (afin de réduire les biais de publication ou de présentation sélective des résultats), inciter au partage des données (pour permettre la réplication des analyses par d’autres équipes) ou renforcer les supports méthodologiques et statistiques indépendants (dans le but d’éviter les principales erreurs méthodologiques) sont d’autres actions possibles. Enfin, il est impératif de faire évoluer les normes culturelles. Au-delà du seul nombre d’articles publiés, il faut encourager la qualité de la production scientifique et, au-delà de la production individuelle, la production collective de connaissances. Ceci nécessite de repenser l’évaluation et le mode de recrutement des chercheurs, et de valoriser l’apport réel et la qualité scientifique de ces derniers. Renforcer la culture de l’intégrité scientifique est aussi indispensable. Les formations à l’intégrité, obligatoires depuis peu en France pour tous les doctorants, sont un premier pas, mais seul le développement d’une culture de rigueur et de transparence dans tous les laboratoires permettra de réduire les pratiques discutables ou inappropriées qui sont nuisibles à la recherche. (1) (2)