La sélection du mois
Le monde qui nous entoure, l’air que nous respirons, notre corps de la naissance à la tombe sont peuplés de milliards d’organismes invisibles : les microbes. Longtemps considérés comme des prédateurs et des tueurs, ils jouent pourtant un rôle clé dans le bon fonctionnement des plantes, des animaux et des écosystèmes. C’est à la découverte de ce monde discret mais omniprésent que nous invite Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Dans Jamais seul, il nous présente ce bestiaire microscopique et, en particulier, les microbes qui tissent des liens avec les plantes et les animaux en formant des associations durables à bénéfices réciproques, les symbioses. En spécialiste des symbioses mycorhiziennes, l’auteur nous fait bénéficier de son érudition encyclopédique et nous convainc que plantes et animaux, dont l’homme, ne sont jamais vraiment seuls puisqu’ils hébergent un ensemble conséquent de microbes. Ces symbioses sont un moteur essentiel de l’évolution des lignées végétales et animales. Ces associations intimes ont façonné les écosystèmes marins et terrestres. Le fonctionnement des symbioses végétales et animales n’en reste pas moins complexe. La tentation est grande de les décrire en termes économiques ou guerriers : échanges, bénéfices, commerce équitable, marché biologique, coopération ou fraude. Cependant, Marc-André Selosse nous rappelle que l’évolution est aveugle et que la sélection naturelle n’obéit pas toujours aux lois qui régissent nos sociétés occidentales. L’ouvrage ne se contente pas de décrire les merveilles cachées des interactions symbiotiques, il incite à réfléchir sur le rôle des microbes dans l’évolution des organismes, des communautés et des civilisations. Et il est émaillé de réflexions philosophiques sur l’importance primordiale des interactions écologiques. Jamais seul est aussi un livre d’aventures. Il nous emmène aux quatre coins du globe – des forêts tropicales aux fosses océaniques – en compagnie des grands explorateurs et savants, d’Antoni van Leeuwenhoek à Louis Pasteur. Avec passion et beaucoup d’humour, Marc-André Selosse nous conte l’histoire du monde : comment les symbioses racinaires ont permis la colonisation des continents primitifs il y a 400 millions d’années, comment les anémones de mer et des algues planctoniques s’accouplent pour former les coraux, comment les fourmis ont inventé la culture des champignons pour se nourrir, comment les plantes hébergent des insectes ou des champignons afin de se protéger des prédateurs et des brouteurs, mais aussi comment les mitochondries peuplant nos cellules sont le produit d’amours endosymbiotiques. Car c’est aussi à un voyage à l’intérieur de notre corps auquel nous sommes conviés. Au sein de nos entrailles, les microbes agissent, contrôlent notre digestion, influencent notre santé et, probablement, notre comportement. Les microbes colonisent par millions la surface de notre corps, dont les cavités les plus intimes et humides. Au fait des travaux les plus récents sur le rôle du microbiote humain, l’exploration scatologique de notre appareil digestif devient un passage obligé. On y découvre le fonctionnement des machines microbiennes qui décomposent les fibres végétales alimentaires. Et quand cette symbiose homme-microbiote est perturbée, déstabilisée, c’est la porte ouverte aux maladies chroniques : obésité, diabète, etc. Au-delà des symbioses, les microbes jouent aussi un rôle primordial dans la fabrication d’une multitude de nos mets et boissons, via la fermentation alimentaire. Est-il possible d’imaginer un monde sans pain, ni vin, ni bière, ni fromages ? Dans la dernière partie de son ouvrage, l’auteur se plaît ainsi à souligner la dimension culturelle et civilisationnelle des microbes. « Le monde visible n’est-il que l’écume des interactions microbiennes ? » se demande Marc-André Selosse en conclusion. Comme lui, je pense pouvoir affirmer : oui, sans aucun doute !