« Nous avons imaginé un système de pompage transportable en cas d’attaque chimique »
Un agent chimique proche du gaz moutarde a pu être neutralisé par un dispositif expérimental. L’objectif est de rendre ce système utilisable quelle que soit l’arme chimique.
La Recherche Votre travail répond à l’appel lancé par le CNRS après les attentats du 13 novembre 2015 (1). Est-ce un projet conçu pour l’occasion ?
Julien Legros L’idée de ce dispositif nous est venue en 2013, quand Américains et Russes ont signé un accord de destruction des stocks d’armes chimiques du régime de Bachar Al-Assad, en Syrie. Quand est apparu l’appel à projets « attentats recherche » du CNRS, fin 2015, nous avons repensé à cette idée. M’est également revenu en tête l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, en 1995. Il avait été exécuté de manière très artisanale : les terroristes avaient laissé se répandre du sarin contenu, sous forme liquide, dans des poches. C’est alors que nous avons imaginé un système de pompage transportable, avec un agent neutralisant original, qui pourrait être utilisé sur le lieu d’une attaque chimique (2).
En quoi consiste le dispositif ?
Il s’agit de contrôler la réaction de neutralisation de la manière la plus fine possible, afin qu’elle ne produise pas un agent chimique aussi toxique que celui de départ. Nous avons conçu un appareillage se composant de trois tubes, d’un volume de quelques dizaines de millilitres, faits dans un matériau résistant de type Téflon. Deux d’entre eux comportent une pompe à piston. L’une de ces pompes est reliée à la poche contenant l’agent chimique – dans notre expérience, un simulant très proche du gaz moutarde, le sulfure d’éthyle et de chloroéthyle (CEES). L’autre est reliée à un agent neutralisant – du méthanol mélangé à un peu d’acide. Les deux tubes se rencontrent au sein du troisième, où a lieu la neutralisation de l’agent chimique. Ce tube passe au travers d’un appareil à résonance magnétique nucléaire portable, à l’aide duquel nous suivons en temps réel l’évolution de la réaction chimique. Grâce à ce dispositif, nous avons réussi à neutraliser, avec un taux d’efficacité proche de 100 %, 25 grammes purs de CEES en 46 minutes.
Quelles étapes restent à franchir avant une commercialisation ?
Le premier objectif est d’aboutir à un processus unique, utilisable quelle que soit l’arme chimique. Là, nous avons visé le gaz moutarde, qui est un peu l’arme chimique du pauvre. Mais la vraie menace, ce sont les composés organophosphorés, comme le sarin et le gaz VX – qui a été utilisé en Malaisie pour tuer Kim Jong-nam, le demi-frère du dictateur nord-coréen Kim Jong-un. Le second objectif, c’est la validation de notre système sur agent réel. Aujourd’hui, nous travaillons avec des simulants, car les vrais agents chimiques sont très toxiques : une seule goutte de gaz VX sur la peau et vous décédez dans l’heure ! Travailler avec ces produits implique d’avoir un accord de collaboration avec la Direction générale de l’armement, du ministère de la Défense. Nous y oeuvrons. Nous avons par ailleurs déposé un projet complet, baptisé Flowar, auprès de l’Agence nationale de la recherche. La décision finale sera prise cet été. Si nous obtenons un financement, nous pourrions être opérationnels d’ici trois ou quatre ans.
LA VRAIE MENACE, CE SONT LES COMPOSÉS ORGANOPHOSPHORÉS, COMME LE SARIN ET LE GAZ VX, TRÈS TOXIQUES