Une stratégie prometteuse pour restaurer la vision
La thérapie optogénétique a permis à des souris aveugles de revoir. Leurs rétines réanimées ont ainsi recouvré la sensibilité à la lumière, perdue à cause de la maladie. Le traitement a ensuite été validé sur des tissus rétiniens de macaques et d’humains
Plus d’un million de personnes dans le monde souffrent de maladies dégénératives de la rétine, comme la rétinite pigmentaire. Ces maladies affectent les cellules de la rétine qui captent la lumière. Faute de traitement, ces cellules meurent, et les personnes perdent progressivement la vue. Depuis une dizaine d’années, grâce au développement des thérapies géniques et de l’optogénétique, la perspective de recouvrer la vue ne relève plus de la science-fiction. Des biologistes de l’Institut de la vision ont expérimenté une thérapie originale pour redonner la vue à des souris aveugles. Ils ont inséré un gène d’une algue sensible à la lumière dans des cellules qui n’étaient pas photoréceptrices (1). Ce travail ouvre la voie à une nouvelle piste, après celle de l’implant rétinien, pour restaurer la vue des malades. Notre vision est assurée par une combinaison de trois éléments : l’oeil, le cerveau et la lumière. La rétine, localisée à l’arrière de l’oeil, est responsable de la capture de la lumière. Sur le plan cellulaire, la rétine se compose de neurones photorécepteurs spécialisés qui transforment le signal lumineux en signal électrique. La rétine humaine comprend deux types de photorécepteurs, les bâtonnets (vision nocturne) et les cônes (vision diurne) qui transmettent ce signal électrique au cerveau via le nerf optique. Les maladies génétiques rétiniennes sont dues à des mutations génétiques affectant le fonctionnement de ces photorécepteurs. Face à ce problème, les médecins et les biologistes ont d’abord exploré la piste de la thérapie génique. Elle consiste à utiliser comme médicament un ADN thérapeutique. Inséré dans la cellule malade, la protéine produite grâce à cet ADN rétablit alors le fonctionnement de la cellule. Administrer un tel médicament est loin d’être simple. En effet, comment peut-on amener ce
gène thérapeutique à des cellules de la rétine, située à l’arrière de l’oeil ? C’est là toute la difficulté de la thérapie génique. Il faut un transporteur qui devra encapsuler le gène, le protéger et l’amener jusqu’aux cellules à traiter ; puis le libérer en temps voulu pour obtenir l’effet thérapeutique attendu. Or, dans la nature, on dispose déjà d’agents biologiques capables de réaliser tout ce travail… les virus ! L’idée consiste alors à modifier les virus pour les rendre inoffensifs et capables de transporter le gène. Le virus modifié devient un « vecteur », c’est-à-dire le transporteur de l’ADN médicament. Il s’agit en somme d’infecter les cellules malades de la rétine comme le ferait un virus, mais avec les bonnes instructions génétiques. Une nouvelle stratégie prometteuse pour traiter les patients aveugles est une version de la thérapie génique différente qui la combine avec l’optique. Cette thérapie « optogénétique » consiste à utiliser des opsines microbiennes pour restaurer la vision. Les opsines sont des protéines sensibles à la lumière. Ce sont des canaux ou pompes qui, lorsqu’ils sont illuminés, font passer un flux d’ions à travers la membrane de la cellule, permettant ainsi de l’activer. Les opsines utilisées sont d’origine microbiennes, identifiées à l’origine dans des algues ou des bactéries. Il existe notamment la ChR, pour « channelrhodopsine », ou NpHR, pour « halorhodopsine », ou des versions améliorées de ces dernières. Dans la rétinite pigmentaire, les bâtonnets sont perdus en premier. Puis les cônes perdent leur segment externe, qui ressemble à une antenne captant la lumière : les cônes deviennent alors incapables de capter la lumière. Mais ils peuvent perdurer même sans segment externe : on parle alors de « cônes dormants ». Une première possibilité consiste à insérer une opsine dans ces cônes dormants pour les réanimer. Ainsi, on rétablit leur sensibilité à la lumière. Cette approche a été utilisée par l’équipe de Botond Roska, du Friedrich Miescher Institute, en Suisse, et José-Alain Sahel et Serge Picaud, de l’Institut de la vision. En 2010, ils ont démontré la possibilité de rendre la vision à des souris
aveugles, et ce à long terme, avec l’expression de la halorhodopsine dans les cônes dormants (2). Quelques années plus tard, ces résultats ont été reproduits chez l’animal avec une version plus efficace de la halorhodopsine, baptisée Jaws, par les équipes d’Ed Boyden (ÉtatsUnis) et Botond Roska (3).
Redonner une certaine autonomie
Cependant, beaucoup de patients ont une dégénérescence rétinienne plus rapide. Dans ce cas, à des stades avancés, les cônes dormants disparaissent. D’autres cellules doivent donc être activées pour être en mesure de restaurer la vision. L’idée consiste à insérer une opsine dans les cellules ganglionnaires de la rétine, neurones qui sont directement connectés au cerveau via le nerf optique. De surcroît, ce type de neurones persiste longtemps malgré l’évolution de la maladie. C’est donc une cible thérapeutique pertinente pour les patients qui n’ont plus de cônes dormants. Plusieurs équipes, notamment celle de Zhuo-Hua Pan, de l’université de Wayne State, dans le Michigan, ont démontré la possibilité de restaurer la vision grâce à l’activation des cellules ganglionnaires avec la channelrhodopsine (4 ) . Avec ce traitement, les cellules ganglionnaires remplacent les photorécepteurs, puisque ce sont elles qui deviennent capables de capter la lumière ! Aujourd’hui, des premiers patients sont traités avec cette stratégie par la société américaine RetroSense Therapeutics (5). Son objectif n’est pas de restaurer une vision complète, les images seront moins précises qu’avec une rétine saine. L’espoir est de redonner une certaine autonomie aux patients, en leur permettant de distinguer des formes et des objets larges. Les essais cliniques répondront à ces questions. Comment ces opsines, ou protéines optogénétiques, sont-elles activées une fois présentes dans l’oeil ? Leur particularité est qu’elles peuvent être « allumées » par une lumière de longueur d’onde spécifique. Ainsi, la channelrhodopsine (ChR) est activée par une lumière bleue. Or la lumière bleue peut être toxique à des intensités trop élevées et causer des lésions. Pour pallier cet inconvénient, les équipes de Jens Duebel et Deniz Dalkara, à l’Institut de la vision, ont eu l’idée d’utiliser la lumière rouge, moins nocive, pour restaurer la vision de souris aveugles. Dans une rétine saine, avec nos propres opsines, quand une petite quantité de lumière est cap- tée, le signal reçu est amplifié. Or ce phénomène d’amplification est absent avec les opsines microbiennes insérées dans une rétine malade. La réanimation optogénétique de la rétine nécessite donc de fortes intensités de lumière. Pour cette raison, il est préférable d’utiliser la lumière rouge qui, à intensité égale, n’est pas dangereuse. Les biologistes ont ainsi inséré une opsine baptisée ReaChR (une version modifiée de la ChR), sensible à la lumière rouge, dans les cellules ganglionnaires des souris aveugles (Fig. 1). Ces cellules deviennent alors activables par la lumière rouge. Puis, pour valider la thérapie, ils ont également testé les mêmes vecteurs sur des macaques et des rétines humaines post mortem. Ces rétines ont été maintenues vivantes en culture au laboratoire, et le vecteur a été déposé sur ces rétines pour obtenir l’expression de ReaChR quelques jours plus tard. Les chercheurs ont ensuite mesuré l’activité rétinienne : les cellules ganglionnaires sont devenues sensibles à la lumière rouge. Elles remplacent alors les photorécepteurs, car ce sont elles qui deviennent capables de transformer le signal lumineux en signal électrique grâce à la protéine ReaChR. La société RetroSense Therapeutics a déposé un brevet sur l’utilisation de ReaChR, l’opsine sensible à la lumière rouge, et envisage un essai clinique par cette technique ; d’autres essais cliniques sont prévus avec une opsine aux propriétés similaires, baptisée ChrimsonR (ChrR), par la société GenSight Biologics (6). Des vecteurs hautement efficaces seront utilisés pour que l’opsine soit présente dans les cellules ganglionnaires de la rétine, après une seule injection dans le corps vitré de l’oeil. Comme la thérapie optogénétique nécessite de fortes intensités de lumière, l’opsine devra ensuite être associée au port de lunettes de stimulation lumineuse par les patients. Combinées à une caméra, ces lunettes capteraient l’image extérieure. L’image serait ensuite projetée sur la rétine pour activer l’opsine avec la lumière rouge d’intensité appropriée. Sans ce dispositif, une intensité lumineuse ambiante ne serait pas suffisante pour activer l’opsine. (1) A. Sengupta, et al., EMBO Mol. Med., 11, 1248, 2016. (2) V. Busskamp et al., Science, 5990, 413, 2010. (3) A. S. Chuong et al., Nat. Neurosci., 17, 1123, 2014. (4 ) A. Bi et al., Neuron, 50, 23, 2006. (5) http://retrosense.com (6) www.gensight-biologics.com