Les mystères de Cérès dévoilés
Après deux années passées autour de Cérès, la sonde Dawn a révélé en détail l’histoire de cette petite planète glacée. Dans sa jeunesse, celle-ci aurait hébergé un océan dont on observe aujourd’hui de nombreuses traces. Un réservoir qui a pu abriter la vie ?
Lorsqu’elle se met en orbite rbite autour de Cérès, en mars 2015, 5, la sonde Dawn de la Nasa dévoile un astéroïde somme toute banal avec sa surface uniformément sombre et recouverte de cratères d’impacts. Mais peu à peu, les données envoyées par l’engin révèlent de nombreuses surprises, comme ces taches brillantes ou cette montagne haute de 5 000 mètres. Toutes ces étrangetés pointent désormais vers une seule et même conclusion : l’eau liquide a existé autrefois sur Cérès.ès. Une eau préservée sous sa surface face aujourd’hui sous forme de glace – où il fait en moyenne - 40 °C. Découvert en 1801, ce corps sphérique de 950 kilomètres de diamètre – ce qui lui vaut le statut de planète naine – intéresse au plus haut point les astronomes. Sa masse représente un tiers de celle cumulée de tous les astéroïdes de la « ceinture principale ». Dans cette région située entre Mars et Jupiter, on recense plusieurs centaines de milliers de ces objets rocheux, restes des matériaux qui ont servi à former les planètes. Leur étude détaillée, celle de Cérès en particulier, est donc la clé pour m mieux comprendre les premières étap étapes de la genèse de notre Système so solaire (lire p. 17). J Jusqu’ici, on disposait de peu d’informations sur cet astre. Les observations réalisées à partir du sol laissaient seulement suspecter qu’il était constitué pour moitié d’eau se présentant sous forme de matériaux solides hydratés au niveau de sa surface. Et qu’il pourrait être diff férencié – c’est-à-dire contenir un no noyau rocheux entouré d’un manteau et d’une croûte – et même dissimuler quelque part dans son sous-sol des poches de glace, voire un petit océan liquide. La seule preuvepreuv tangible de l’existence d’eau est venue en 2014 lorsque le télescope spatial européen Herschel a révélé deux « geysers » de vapeur d’eau, jaillissant de manière intermittente. Leur origine était controversée : pour certains, ces geysers résulteraient d’une collision récente avec un petit astéroïde qui aurait exposé une zone sous la surface dont la glace serait en train de se sublimer sous l’action du Soleil. Pour d’autres, ils trahiraient la présence d’eau liquide qui remonterait du sous-sol de la planète.
Après plus de deux ans passés autour de Cérès, Dawn a mis fin à toutes ces suppositions. Les observations de la sonde permettent de dire avec certitude que de la glace est présente sous la surface, où elle est protégée des rayons du Soleil. À faible profondeur, le détecteur de neutrons de l’engin a en effet identifié de l’hydrogène à une échelle globale, avec des concentrations de plus en plus fortes à mesure qu’on se rapproche des régions polaires. Une partie de cet hydrogène est due à la présence de molécules d’eau : il y a donc de la glace partout dans le sous-sol de Cérès, et ce d’autant plus près de la surface qu’on est proche des pôles. En surface aussi, la glace a subsisté, mais seulement à l’intérieur de certains cratères situés au pôle nord dans lesquels on trouve des zones où la lumière solaire ne parvient jamais. C’est dans ces refuges que le spectromètre infrarouge de la sonde a mis directement en évidence des étendues de glace. Pour les scientifiques, les collisions qui ont créé les cratères auraient projeté une partie de la glace qui se trouve sous la surface, et qui se serait accumulée ainsi dans les zones ombragées des cratères polaires. Et les autres preuves de la présence d’eau ne manquent pas. Telles ces fameuses taches blanches qui parsèment la surface de la planète naine. Plus d’une centaine d’entre elles ont été repérées par Dawn, dont la plus impressionnante se trouve au fond du cratère Occator, vaste dépression de 90 km de diamètre et de 4 km de profondeur. L’analyse de ces taches – la plupart associées à des cratères – a révélé qu’elles sont constituées en majorité de sels de carbonate de sodium. « L’impact qui a créé le cratère a exposé de la glace riche de ces minéraux en surface – ou bien a fait fondre cette glace qui est remontée vers la surface. En se sublimant, l’eau a laissé derrière elle ces dépôts salés », explique Julie Castillo-Rogez, membre de l’équipe scientifique de Dawn au Jet Propulsion Laboratory, en Californie. Une hypothèse confortée par l’observation par Dawn, aux heures les plus chaudes de la journée, de brumes diffuses au-dessus de la surface du cratère Occator. À cet endroit, de
la glace affleurerait encore aujourd’hui et se sublimerait quand le cratère est éclairé par le Soleil. Ce phénomène expliquerait du même coup la présence des geysers observés en 2014. Autre trace laissée par l’eau : la présence d’argiles partout sur la surface. Ces roches nécessitent forcément de l’eau liquide pour se former. Ce qui implique que le liquide était présent en grandes quantités dans la jeunesse de l’astéroïde. « Une grande partie de l’eau a été consommée pour former ces argiles », note Julie Castillo-Rogez. Une idée confirmée par la mesure du champ de gravité de Cérès – 35 fois plus faible que celui qui règne à la surface de la Terre – qui a permis de déterminer la répartition des matériaux dans l’astre : le centre est plus dense que la périphérie. Ainsi, la planète naine serait constituée d’une croûte de 40 km d’épaisseur faite d’un mélange de glace – à 35 % environ –, de roches – des argiles surtout – et de sels, au-dessus d’un manteau fait essentiellement d’argiles. Un autre élément complète le tableau : les données recueillies par la sonde américaine ont montré que les argiles qui recouvrent la surface de Cérès sont riches en ammoniac. Or Cérès est actuellement trop proche du Soleil pour que l’ammoniac puisse s’y condenser et rester piégé dans les roches. « Pour trouver de pareilles conditions, il faut aller dans le système solaire externe, loin de la ceinture principale, précise Pierre Vernazza, du Laboratoire d’astrophysique de Marseille. C’est pourquoi on n’exclut pas que Cérès ait pu se former dans cette région, peut-être même au-delà de Neptune, avant d’avoir été déplacé jusqu’à son emplacement actuel. » Ce scénario est compatible avec la thèse actuellement en vigueur selon laquelle, voici 3,8 milliards d’années environ, les planètes géantes Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune se seraient éloignées du Soleil et auraient chamboulé au passage les orbites des astéroïdes, en éjectant certains aux confins du Système solaire, et au contraire en rapprochant d’autres de notre étoile. Avec toutes ces informations, les astronomes peuvent désormais écrire en détail l’histoire de Cérès. Au
IL EST MÊME POSSIBLE QUE DE L’EAU À L’ÉTAT LIQUIDE PUISSE TOUJOURS EXISTER SUR CÉRÈS, AU MOINS LOCALEMENT
moment de sa formation, la protoplanète était bien plus chaude qu’aujourd’hui, car elle contenait encore beaucoup d’éléments radioactifs. Cette chaleur a fait fondre la glace, qui s’est ainsi séparée des roches primordiales. Peu à peu, une couche d’eau liquide s’est accumulée à la surface, avant de geler. Le phénomène a abouti à la formation d’une couche de glace pure de 50 à 100 km d’épaisseur sous laquelle un petit océan a pu exister.
UN MONDE UNIQUE
La situation aurait pu en rester là si Cérès n’avait pas migré. Une fois dans la ceinture principale, l’astre s’est retrouvé exposé à la fois à la chaleur du Soleil et à un bombardement météoritique intense. Résultat : en une centaine de millions d’années seulement, l’essentiel de la couche de glace a disparu, une petite partie subsistant dans le sous-sol. « Ce qu’on voit aujourd’hui à la surface de Cérès, ce n’est ni plus ni moins que le fond de cet océan primordial dans lequel les argiles et les sels observés par Dawn ont pu se former », commente Pierre Vernazza. Il est même possible que de l’eau à l’état liquide puisse toujours exister sur Cérès, au moins localement dans des réservoirs souterrains. La preuve, c’est cette montagne, baptisée Ahuna Mons, qui culmine à près de 5 000 mètres d’altitude. Seul scénario possible pour expliquer la présence d’un relief aussi élevé : il s’agirait d’un cryovolcan, formé non pas à partir de lave mais par la remontée d’un mélange de boue et d’eau très salée – ces sels permettraient d’abaisser son point de fusion à des températures très basses. Cette structure étant relativement jeune (moins d’une centaine de millions d’années), le sous-sol de l’astre pourrait encore cacher de l’eau liquide ! Toutes ces caractéristiques font de Cérès un monde unique. « À la différence des satellites glacés des planètes géantes que sont Europe ou Encelade, sur lesquels on pense qu’il existe encore aujourd’hui un océan mais sous une épaisse couche de glace, les vestiges d’un océan sont directement accessibles sur Cérès », lance Julie Castillo-Rogez. C’est pourquoi les responsables de Dawn planchent déjà sur un nouveau projet de mission qui irait cette fois se poser à la surface de Cérès pour l’étudier de près et savoir si le gros astéroïde a pu réunir autrefois les conditions propices à l’apparition de la vie. Car non seulement l’eau liquide était présente dans son passé, mais les instruments de la sonde ont aussi identifié sur sa surface des molécules organiques, autre ingrédient indispensable à la vie telle qu’on la connaît. Quel rôle a pu jouer ensuite Cérès, et plus largement les astéroïdes, dans l’apport d’eau et de molécules organiques sur Terre ? L’exploration future de la petite planète devrait nous en dire long sur cette question.