Comment les chocs peuvent rendre solides des liquides
Certains fluides parviennent à durcir sous l’effet d’un choc. Le rôle de forces répulsives dans ce comportement de fluides dits rhéoépaississants vient d’être montré expérimentalement.
Contrairement à la viscosité des fluides newtoniens, tels que l’eau, celle des fluides non newtoniens dépend de l a contrainte leur étant appliquée. C’est le cas des suspensions concentrées de fécule de pomme de terre, qu’on appelle fluides rhéoépaississants car ils se solidifient brusquement sous l’effet d’une forte pression. Dans les domaines médical et sportif, ces propriétés permettent d’imaginer des attelles ou des vestes souples qui se durcissent pour protéger d’un choc violent. Une équipe du CNRS et de l’Institut universitaire des systèmes thermiques industriels de Marseille a démontré expérimentalement l e modèle physique derrière ce phénomène, baptisé transition frictionnelle (1). En 2013, des rhéologues américains avaient émis l’hypothèse que des forces répulsives maintiennent les grains d’une suspension rhéoépaississante à distance les uns des autres, sous l’effet d’une faible contrainte. En revanche, sous l’action d’une forte pression ou d’un choc, les forces répulsives sont vaincues : les grains finissent par se frotter entre eux, ce qui conduit au durcissement du fluide (2). Cette hypothèse de transition frictionnelle a été testée par Cécile Clavaud et Antoine Bérut, sous la direction de Yoël Forterre et Bloen Metzger. Pour ce faire, ils ont imaginé une technique inédite. Ils ont mesuré l’angle, dit d’avalanche, que prend un tas de particules en suspension dans un fluide rhéoépaississant par rapport à l’horizontale, dans un tambour tournant.
SUSPENSION DE BILLES DE SILICE
Cela leur a permis de tester la friction des particules dans des conditions contrôlables, un angle faible témoignant d’une friction également faible. Pour Romain Mari, chargé de recherche CNRS à Grenoble, qui était impliqué dans l’hypothèse originale, « la bonne idée de leur expérience est de mesurer le frottement, non pas directement entre deux particules, mais en utilisant une signature macroscopique de ce frottement : cet angle d’avalanche ». L’équipe a d’abord utilisé une suspension de fécule de pomme de terre. Mais l’origine des forces répulsives y étant encore mal comprise, ils se sont tournés vers un fluide modèle : une suspension de billes de silice. Connaissant la nature électrostatique de la force répulsive dans ce fluide, ils ont pu la moduler en variant l’échelle de longueur sur laquelle des charges électriques peuvent compenser un champ électrostatique (la longueur de Debye). Ainsi, en ajoutant au fluide des sels, et donc des ions, ils ont pu diminuer la force répulsive jusqu’à l’annuler. Le fluide est alors redevenu frictionnel, même sous l’effet d’une faible contrainte. « C’est la première preuve expérimentale complète du scénario de transition frictionnelle. Elle confirme l’implication des forces répulsives dans le phénomène de rhéoépaississement », conclut Romain Mari.