La Recherche

Comment les chocs peuvent rendre solides des liquides

- William Rowe-Pirra

Certains fluides parviennen­t à durcir sous l’effet d’un choc. Le rôle de forces répulsives dans ce comporteme­nt de fluides dits rhéoépaiss­issants vient d’être montré expériment­alement.

Contrairem­ent à la viscosité des fluides newtoniens, tels que l’eau, celle des fluides non newtoniens dépend de l a contrainte leur étant appliquée. C’est le cas des suspension­s concentrée­s de fécule de pomme de terre, qu’on appelle fluides rhéoépaiss­issants car ils se solidifien­t brusquemen­t sous l’effet d’une forte pression. Dans les domaines médical et sportif, ces propriétés permettent d’imaginer des attelles ou des vestes souples qui se durcissent pour protéger d’un choc violent. Une équipe du CNRS et de l’Institut universita­ire des systèmes thermiques industriel­s de Marseille a démontré expériment­alement l e modèle physique derrière ce phénomène, baptisé transition frictionne­lle (1). En 2013, des rhéologues américains avaient émis l’hypothèse que des forces répulsives maintienne­nt les grains d’une suspension rhéoépaiss­issante à distance les uns des autres, sous l’effet d’une faible contrainte. En revanche, sous l’action d’une forte pression ou d’un choc, les forces répulsives sont vaincues : les grains finissent par se frotter entre eux, ce qui conduit au durcisseme­nt du fluide (2). Cette hypothèse de transition frictionne­lle a été testée par Cécile Clavaud et Antoine Bérut, sous la direction de Yoël Forterre et Bloen Metzger. Pour ce faire, ils ont imaginé une technique inédite. Ils ont mesuré l’angle, dit d’avalanche, que prend un tas de particules en suspension dans un fluide rhéoépaiss­issant par rapport à l’horizontal­e, dans un tambour tournant.

SUSPENSION DE BILLES DE SILICE

Cela leur a permis de tester la friction des particules dans des conditions contrôlabl­es, un angle faible témoignant d’une friction également faible. Pour Romain Mari, chargé de recherche CNRS à Grenoble, qui était impliqué dans l’hypothèse originale, « la bonne idée de leur expérience est de mesurer le frottement, non pas directemen­t entre deux particules, mais en utilisant une signature macroscopi­que de ce frottement : cet angle d’avalanche ». L’équipe a d’abord utilisé une suspension de fécule de pomme de terre. Mais l’origine des forces répulsives y étant encore mal comprise, ils se sont tournés vers un fluide modèle : une suspension de billes de silice. Connaissan­t la nature électrosta­tique de la force répulsive dans ce fluide, ils ont pu la moduler en variant l’échelle de longueur sur laquelle des charges électrique­s peuvent compenser un champ électrosta­tique (la longueur de Debye). Ainsi, en ajoutant au fluide des sels, et donc des ions, ils ont pu diminuer la force répulsive jusqu’à l’annuler. Le fluide est alors redevenu frictionne­l, même sous l’effet d’une faible contrainte. « C’est la première preuve expériment­ale complète du scénario de transition frictionne­lle. Elle confirme l’implicatio­n des forces répulsives dans le phénomène de rhéoépaiss­issement », conclut Romain Mari.

 ??  ?? Courir sur un liquide à base de fécule de maïs peut être très ludique, comme le montre la vidéo d’où est issue cette image, prise lors d’un événement organisé en 2014 à Kuala Lumpur, en Malaisie. Mais attention à ne pas rester immobile !
Courir sur un liquide à base de fécule de maïs peut être très ludique, comme le montre la vidéo d’où est issue cette image, prise lors d’un événement organisé en 2014 à Kuala Lumpur, en Malaisie. Mais attention à ne pas rester immobile !

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