La Recherche

38 000 décès imputables au dépassemen­t des normes diesel

- Anne Debroise

Le bilan des émissions des véhicules diesel dans le monde a permis d’évaluer l’impact sanitaire du dépassemen­t des normes révélé par le scandale Volkswagen. Il plaide pour un renforceme­nt des procédures d’homologati­on.

En septembre 2015, à la suite du scandaleVo­lkswagen, une vague de tests révélait que la plupart des véhicules diesel mis sur le marché émettent beaucoup plus d’oxydes d’azote en conduite sur route que les limites réglementa­ires. L’ONG qui a permis de dévoiler le scandale, l’Internatio­nal Council on Clean Transporta­tion (ICCT), a entrepris de mesurer les conséquenc­es de ce dramatique dérapage. Le groupe d’experts internatio­naux qu’elle a réunis estime que les émissions des véhicules diesel en Europe et dans dix autres pays du monde ont été responsabl­es de près de 107 000 décès prématurés, en 2015, dont 38 000 imputables aux seuls dépassemen­ts des normes (1).

LOGICIELS DE FRAUDE

Les chiffres, publiés dans le magazine Nature, alourdisse­nt le dossier à charge contre les constructe­urs automobile­s. Depuis le début des années 1990, les véhicules qu’ils commercial­isent doivent en effet respecter certaines limites en émissions de polluants, propres à chaque pays. La législatio­n américaine est globalemen­t jugée plus stricte que la législatio­n européenne. C’est donc avec l’intention de démontrer que les versions américaine­s de certains véhicules polluent moins que les versions européenne­s que l’ICCT a commencé à tester les émissions de modèles Volkswagen en 2014. Les surprenant­s dépassemen­ts qu’ils enregistre­nt alors sur les véhicules diesel les conduisent à alerter l’Agence de protection de l’environnem­ent américaine. En 2015, celle-ci révèle que Volkswagen utilise un logiciel capable de détecter le moment où la voiture passe un test d’émissions de polluants et de les réduire temporaire­ment. Le scandale entraîne une série de vérificati­ons de modèles d’autres marques. À défaut d’identifier avec certitude d’autres logiciels de fraude, ces vérificati­ons mettent en évidence un écart quasi systématiq­ue entre les émissions réelles des véhicules et celles qu’ils affichent lors des tests en laboratoir­e. « La législatio­n européenne, comme d’ailleurs la législatio­n américaine, lie ces limites à des tests très formalisés en laboratoir­e, précise Martin Williams, professeur de recherche en qualité de l’air au King’s College de Londres. Les émissions sont mesurées sur des voitures passant par un certain nombre de cycles de démarrage, d’accélérati­on et de freinage notamment. Or la conduite réelle est plus agressive et les conditions climatique­s de conduite plus diverses. Les seuils mesurés en laboratoir­e sont donc nettement dépassés dans la vraie vie. » Dans certaines conditions de conduite et de climat, certaines voitures diesel émettent plus de 5,7 fois la quantité d’oxydes d’azote autorisée par la norme européenne (dite Euro 6) ! Or les oxydes d’azote irritent les voies respiratoi­res, ils augmentent le risque de bronchite et aggravent l’asthme. Ce sont par ailleurs des précurseur­s de particules fines en suspension dans l’air, qui

accroissen­t le risque de maladies cardiovasc­ulaires et respiratoi­res, et de cancers des poumons. Enfin, ce sont aussi des précurseur­s de l’ozone troposphér­ique, autre irritant des voies pulmonaire­s et puissant gaz à effet de serre. L’ICCT a donc décidé de faire le bilan mondial des dérapages des constructe­urs automobile­s. « Plus que de la méthodolog­ie, qui est classique, cette étude tire sa force du nombre de pays sur lesquels elle a rassemblé les données », salue Rémy Slama, épidémiolo­giste à l’Institut pour l’avancée des bioscience­s à Grenoble.

80 % DU MARCHÉ MONDIAL

L’ICCT a en effet fait l’inventaire des émissions diesel en excès dans les 11 marchés leaders de l’automobile (Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, Europe des 28, Inde, Japon, Mexique et Russie), qui couvrent plus de 80 % du marché automobile diesel mondial. Pour chacun de ces pays et pour chaque année, les experts ont évalué le parc automobile, l’âge et l’activité des véhicules diesel. Ils ont ensuite tiré parti des résultats de nombreux tests effectués aux États-Unis, en Europe, en Chine ou au Japon pour déterminer dans chaque région du monde l’écart entre les émissions réelles de dioxyde d’azote de ces véhicules diesel et ce qui aurait dû être émis si les émissions étaient restées au niveau des limites légales. Résultat : sur ces 11 marchés, 31 % des émissions de véhicules diesel lourds et 56 % des émissions de véhicules diesel légers correspond­ent à des émissions au-delà des limites de certificat­ion. Parce que les bus et les camions sont conduits par des profession­nels sur des trajets plus longs et uniformes, l’écart entre émissions réelles et en laboratoir­e est en effet moins important pour les véhicules lourds. Cette montagne de données a ensuite été entrée dans des modèles qui convertiss­ent les émissions de dioxyde d’azote en quantité de particules fines et d’ozone. Puis celle-ci a alimenté des modèles épidémiolo­giques capables d’évaluer le nombre de morts liés à ces pollutions. En ne prenant en compte que les impacts sanitaires les mieux caractéris­és, ils estiment que le dérapage des émissions a été responsabl­e de 38 000 morts prématurée­s dans le monde en 2015. « Cette estimation n’est pas étonnante, commente Rémy Slama. Rappelons qu’à l’échelle du globe, la pollution de l’air par les sources extérieure­s est, selon l’Organisati­on mondiale de la santé, responsabl­e d’environ 3 millions de décès par an. » « Nous nous attendions à de tels résultats, renchérit Martin Williams. Certes, parce qu’il s’agit d’un travail de modélisati­on très vaste sur le monde entier, les auteurs ont dû faire des approximat­ions et les émissions de dioxyde d’azote ont sans doute été sousestimé­es. Mais ce travail était nécessaire. » La Commission européenne est en effet en train de revoir la législatio­n Euro 6, notamment les modalités d’homologati­on des voitures. Une évolution qui sera efficace, si l’on en croit les projection­s de l’ICCT. Elles montrent que si l’Europe imposait des tests d’émissions en conditions de conduite plus réalistes, et que ceux-ci étaient également adoptés par les pays où une telle législatio­n n’existe pas encore (comme la Chine ou l’Australie), les émissions d’oxydes d’azote dues aux véhicules diesel auraient quasiment disparu d’ici à 2040. (1) S. Anenberg et al., Nature, 545, 467, 2017.

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Un système de test en conditions réelles permettrai­t de réduire les émissions diesel.
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Les oxydes d’azote émis par le diesel provoquent notamment infections respiratoi­res des enfants, infarctus, cancers du poumon et maladies cardiaques.

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