Une clé pour comprendre l’agencement de l’ADN
Une étude apporte un nouvel éclairage sur l’organisation spatiale de l’ADN à l’intérieur du noyau de nos cellules. Une protéine serait responsable de l’isolation de gènes dans des espaces distincts. CHAQUE CELLULE RENFERME LA TOTALITÉ DU PATRIMOINE GÉNÉTIQUE, MAIS N’EN UTILISE QU’UNE PARTIE
Une équipe de l’Institut Gladstone, à San Francisco, a levé le voile sur le rôle d’une protéine dans l’organisation en trois dimensions des chromosomes. Et a surtout montré que deux phénomènes, découplés, seraient responsables de cette organisation : l’isolation et la compartimentation des gènes (1). Lorsqu’on observe, au microscope électronique, le noyau d’une de nos cellules, le génome apparaît comme des amas de pelotes d’ADN mal rangées. Il n’en est rien : chaque cellule renferme la totalité du patrimoine génétique, mais n’en utilise qu’une partie en fonction de son rôle dans l’organisme. Par exemple, une cellule de la peau se comporte très différemment d’un neurone. On sait depuis longtemps que l’ADN est enroulé à plusieurs niveaux autour de complexes protéiques pour former la chromatine, et que la présence de molécules sur l’ADN, ou sur ces complexes, inhibe ou active l’expression des gènes. Mais l’organisation spatiale du génome dans le noyau joue aussi un rôle dans la modulation de l’expression des gènes. En 2012, des biologistes ont mis en évidence que la chromatine forme des boucles – appelées des domaines d’association topologique (DAT) –, rassemblant plusieurs gènes et leurs éléments régulateurs dans un même espace, ce qui favorise leurs interactions. Dans chaque domaine, des gènes, emballés ensemble, sont isolés de ceux des domaines voisins. « Imaginez ces domaines comme des pièces adjacentes : comme les gènes de chaque DAT, les gens d’une chambre peuvent se parler, mais pas avec les personnes de la salle voisine », explique Elphège-Pierre Nora, à l’Institut Gladstone. Le laboratoire de Benoît Bruneau, avec d’autres équipes américaines, a démontré qu’une protéine, nommée CTCF, est responsable de l’isolation des DAT. Si elle est éliminée d’une cellule, les limites isolantes des DAT disparaissent presque : les gènes et les éléments régulateurs peuvent interagir avec ceux des DAT adjacents. La démonstration a été réalisée sur des cellules souches embryonnaires de souris. Une prouesse : jusqu’alors, les biologistes ne parvenaient pas à empêcher la production de CTCF sans faire mourir la cellule. L’équipe a employé une technique originale utilisant l’auxine, hormone essentielle au développement des plantes, pour marquer CTCF et faire en sorte qu’elle soit dégradée rapidement dans la cellule sans que celle-ci ne meure. Autre intérêt : cette dégradation est réversible. L’équipe a ensuite observé ce qui se passait au niveau du génome de la cellule. « Ce qu’on a vu au niveau des DAT, c’est que les frontières qui, normalement, les démarquent deviennent moins prononcées, si bien que les séquences chromosomiques qui étaient dans un domaine se mettent à contacter celles du domaine d’à côté », indique Elphège-Pierre Nora. Pour autant, l’équipe a aussi remarqué que la suppression de CTCF n’annule pas la compartimentation des gènes dans les domaines. Autrement dit, CTCF ne régulerait que l’isolation. « C’est un travail très intéressant, estime Giacomo Cavalli, de l’Institut de génétique humaine à Montpellier. Mais des questions demeurent sans réponse. Pourquoi les DAT restent-ils bien définis malgré la suppression de CTCF ? » Il pointe du doigt la cohésine, complexe protéique en forme d’anneau capable de capturer de l’ADN, qui jouerait un rôle dans la compartimentation des gènes (2). (1) E.-P. Nora et al., Cell, 169, 930, 2017. (2) J. H. I. Haarhuis et al., Cell, 169, 693, 2017.