La Recherche

Le soleil, architecte des plantes

La forme des plantes n’est pas due au hasard : plusieurs mécanismes, induits en particulie­r par la lumière, contribuen­t à les façonner et influent sur la longueur des tiges, la courbure des troncs, la densité des branchages ou la taille des feuilles. Des

- Bérénice Robert

Tige, branches, feuilles ou fleurs : l’architectu­re d’une plante est due à ses caractéris­tiques génétiques, mais aussi à sa réponse à différents signaux environnem­entaux. Parmi ces derniers, la lumière tient une place essentiell­e, contrôlant divers mécanismes. Tout d’abord, la direction de la lumière détermine l’orientatio­n de la plante – ce terme désignant ici les plantes herbacées, au contraire des arbres qui sont des plantes ligneuses. C’est ce qu’on appelle le phototropi­sme. Dans la plupart des cas, cette lumière est celle du soleil, on parle alors d’héliotropi­sme. Pour s’orienter vers la lumière, la plante s’appuie sur un moteur : la croissance différenti­elle, qui fait qu’un côté de la tige grandit plus rapidement que l’autre, générant ainsi une courbure. Ce phénomène est rendu possible par une hormone de croissance végétale, l’auxine, qui se concentre sur une face de la tige, puis sur l’autre. Lorsque la tige n’est éclairée que sur une face, l’auxine se concentre sur la face à l’ombre, permettant la croissance de cette face. La tige penche alors du côté du soleil. Le cas le plus emblématiq­ue est celui du tournesol domestique, qui semble tourner en même temps que le soleil. Fait surprenant, la fleur profite de la nuit pour revenir à sa position initiale. Les mécanismes sous-tendant ce phénomène ont été mis au jour en août 2016 par une équipe de biologiste­s de l’université de Californie à Davis (lire p. 72). Plus généraleme­nt, le phototropi­sme est largement répandu chez les végétaux. « Tous utilisent le phototropi­sme, couplé au gravitropi­sme [l’orientatio­n par rapport à la gravité, NDLR] pour sortir de terre et arriver à l’air libre », explique Bruno Moulia, directeur de recherche à l’Inra de Clermont-Ferrand. Le phototropi­sme a beaucoup été étudié chez les plantes, mais ce n’est que récemment, en associant expériment­ations et modélisati­on mathématiq­ue, que l’on a commencé à comprendre comment les plantes combinent les deux facteurs (1). En revanche, chez les arbres, il est moins connu. Dans ce cas, un deuxième moteur entre en jeu, spécifique des parties lignifiées : le bois de réaction. Au cours d’une année – une saison – de

croissance de l’arbre, ce bois est différenci­é sur un seul côté des branches ou des troncs dans le dernier cerne, c’est-à-dire la dernière couche de bois, et a la propriété de se rétracter ou de se tendre, ce qui entraîne des courbures des branches ou des troncs. Mais dans quelle mesure ? Pour répondre à cette question et tester comment la lumière, couplée à la gravité, modifiait la forme de l’arbre, Catherine Coutand, de l’Inra d’Avignon (alors à l’Inra de Clermont-Ferrand), et l’équipe de Clermont-Ferrand ont imaginé un dispositif original (2). Ils ont planté et incliné de jeunes plants de trois espèces différente­s – des hêtres, des chênes et des peupliers –, et les ont placés dans deux types d’environnem­ent lumineux : un environnem­ent anisotrope, dans lequel la lumière (naturelle ou artificiel­le) n’est pas la même partout (lumière unilatéral­e), et un environnem­ent isotrope, où la lumière reçue est identique quelle que soit la direction. « Dans un environnem­ent isotrope, les arbres se redressent jusqu’à la verticale, alors que dans un environnem­ent anisotrope, les arbres se redressent jusqu’à atteindre leur point d’équilibre, quelque part entre la position verticale et la position horizontal­e. Ce point d’équilibre est différent selon l’espèce, traduisant sa sensibilit­é propre à la gravité et à la lumière », indique Catherine Coutand. L’espèce la plus sensible à la direction de la lumière est le chêne, devant le peuplier et le hêtre. Ces études semblent indiquer l’importance de la sensibilit­é à la direction de la lumière et à la gravité, et surtout le point d’équilibre entre les deux, qui déterminer­ait en grande partie le port général de l’arbre, qu’il soit dressé comme c’est le cas pour le peuplier, ou plus étalé, comme chez le chêne. Ces recherches sur le phototropi­sme ont ouvert la voie à de nouvelles questions. Qu’est-ce qui détermine la position des branches ? Pourquoi certains arbres, tel le cyprès, ont des ramificati­ons extrêmemen­t serrées, tandis que d’autres ont un branchage beaucoup plus étalé ? La clé est peut-être également à chercher dans la photomorph­ogenèse – l’ensemble des phénomènes déclenchés par la lumière en tant que signal, qui modifient la forme des plantes.

Détecter le rouge et le bleu

À l’Inra de Lusignan, la photomorph­ogenèse fait l’objet d’un programme de recherche lancé il y a plus de trente ans. Ne pouvant pas se déplacer pour changer de milieu, les plantes, pour détecter leur environnem­ent, se servent de photorécep­teurs. Deux types ont été identifiés : les phytochrom­es et les cryptochro­mes (3). Les phytochrom­es détectent la lumière rouge et engendrent la réponse adaptée à la longueur d’onde reçue. En effet, ils existent sous deux formes chimiques qui ont un maximum de sensibilit­é au rayonnemen­t respective­ment dans deux longueurs d’onde, de 660 et 730 nanomètres (rouge clair et rouge sombre). Or les plantes absorbent davantage le rouge clair que le rouge sombre, et renvoient donc plus de lumière rouge sombre que de rouge clair. Une plante qui reçoit une proportion de lumière rouge sombre et de rouge clair voit un équilibre s’établir au niveau des deux formes de ses photorécep­teurs: ce ratio constitue ainsi un signal pour elle. Elle peut donc identifier la présence ou non de plante voisine, et répondre de manière adaptée. « Par exemple, nous avons constaté que les légumineus­es allongeaie­nt leurs tiges pour ne pas être gênées par leurs voisines, note Didier Combes, de l’Inra de Lusignan. Et plus il y a de voisines, moins il y aura de ramificati­ons, afin de favoriser la concentrat­ion de l’énergie dans un nombre restreint d’entre elles. » Actuelleme­nt, l’équipe de Didier Combes et Ela Frak, ainsi qu’une équipe de l’Inra de Toulouse, examinent la variation de ce signal grâce à une installati­on dans trois champs différents : un champ de blé, un champ de pois et un champ mixte de blé et de pois. Cette étude est couplée à un modèle. « Nous avons commencé les mesures le 21 mars dernier et elles se sont étalées sur deux mois, à raison de trois par jour, en suivant la croissance des plants. » Les biologiste­s ont observé

deux choses : le signal est modifié très tôt, juste après la germinatio­n, et les plantes peuvent percevoir un signal modifié par une haie située à 300 mètres d’elles. Reste à déterminer si cela induit une réponse chez la plante. Les autres photorécep­teurs entrant en jeu, les cryptochro­mes, sont sensibles au bleu, qui est un indicateur d’ombrage. Ils mesurent l’éclairemen­t : plus la plante est à l’ombre, moins elle reçoit de bleu. Cette variation du bleu constitue donc un signal pour la plante et induit, par exemple, la production de feuilles plus grandes. « Des travaux ont montré que ces récepteurs jouaient sur l’ouverture des stomates, petits orifices à la surface des plantes permettant un échange gazeux entre la plante et l’atmosphère », indique Didier Combes. S’il y a moins de bleu, les stomates se ferment, ce qui entraîne une évapotrans­piration moindre : l’eau qui aurait dû s’évaporer est alors utilisée pour la croissance de la plante. Mais la photosynth­èse est diminuée, car le bleu est inclus dans le rayonnemen­t utile à cette dernière, et donc à la production de biomasse. La plante puise donc dans ses réserves jusqu’à ce qu’elles soient épuisées, puis périclite. Ces découverte­s ont permis l’élaboratio­n de solutions concrètes, notamment pour les pelouses des stades. « Ces infrastruc­tures créent en effet un microclima­t lumineux, avec des zones à l’ombre et d’autres au soleil. Pour compenser cette diminution de photosynth­èse, des rampes lumineuses (qui servent également dans les serres à éclairer les cultures) sont donc utilisées dans les zones d’ombre. Nous avons d’abord étudié l’écartement nécessaire sur ces rampes dans les stades, pour un éclairemen­t efficace », précise Didier Combes. Puis, grâce à un modèle du rayonnemen­t solaire couplé à une représenta­tion du stade en 3D, l’équipe a pu « déterminer la quantité de lumière reçue en chaque point de la pelouse, afin d’établir l’éclairage et le temps d’exposition nécessaire­s aux zones les plus à l’ombre » . À partir de ces résultats, le Logiciel d’analyse du microclima­t (Lami) a été élaboré par Quanta Green, la start-up de Didier Combes, pour aider à la gestion de ces gazons. Il est déjà en place dans le stade Pierre-Mauroy de la métropole lilloise, et le stade de Furiani en Corse.

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Sur cette photo stroboscop­ique, l’Arabette des dames se redresse, malgré le noir complet. Menée par l’équipe de Bruno Moulia de l’Inra de ClermontFe­rrand, l’expérience montre que les plantes peuvent s’orienter vers le haut, sans lumière, grâce à la...
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Dans cette sphère, mise en place par l’équipe de Bruno Moulia de l’Inra de Clermont-Ferrand, et où la lumière reçue est identique quelle que soit la direction, le jeune hêtre incliné se redresse pour pousser droit.

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