La course à la lenteur
Depuis près de vingt ans, les physiciens savent freiner la lumière, jusqu’à la stopper. Ce phénomène curieux a aujourd’hui quelques applications en laboratoire.
À299 792 458 mètres par seconde, la lumière boucle un tour du monde avant qu’Usain Bolt n’ait quitté les starting-blocks. Pourtant, dans certaines circonstances, on peut ralentir la lumière au rythme de la tortue, voire l’arrêter complètement ! Rappelons que la valeur mentionnée ci-dessus (environ 300 000 km par seconde) est valable dans le vide. Dans un milieu matériel, la lumière se propage déjà moins vite. Elle interagit avec la matière en mettant en vibration les électrons des atomes, créant une « onde de polarisation ». Cette onde agit en retour sur la lumière, qui perd ainsi environ 30 % de sa vitesse dans le verre. L’indice de réfraction, le ratio entre la vitesse de la lumière dans le vide et celle dans le milieu considéré, quantifie ce ralentissement. Cependant, même avec cet effet, la lumière reste ultrarapide. Jusqu’à présent, nous nous sommes concentrés sur la vitesse des crêtes et des creux de l’onde lumineuse de longueur d’onde donnée qui se déplace, ce qu’on appelle la vitesse de phase. Mais les impulsions lumineuses, autrement dit les ondes lumineuses limitées dans le temps, sont toujours l’assemblage de plusieurs longueurs d’onde. Ces différentes ondes se superposent, s’additionnant ou s’annulant. Cela donne à l’impulsion une enveloppe, dont la vitesse est appelée vitesse de groupe. La vitesse de groupe se distingue de la vitesse de phase lorsque les ondes qui composent l’impulsion se déplacent à des vitesses différentes. Ce n’est pas le cas dans le vide, mais ça l’est dans beaucoup de milieux matériels, dits dispersifs : l’indice de réfraction dépend alors de la longueur d’onde. Plus précisément, la vitesse de groupe varie drastiquement, à la hausse ou à la baisse, lorsque l’indice de réfraction change très rapidement d’une longueur d’onde à l’autre. Elle peut alors chuter d’un facteur de plusieurs millions. Des phénomènes physiques produisent de telles fenêtres de ralentissement. Ainsi, la lumière a été ralentie pour la première fois en 1999 dans un gaz d’atomes froids grâce à un processus de transparence électromagnétique induite. Flashée à 61 km/h, elle aurait été battue par les sprinteurs du Tour de France. Depuis, elle a été ralentie dans des cristaux de rubis, des fibres optiques ou des matériaux nanostructurés (1). Il y a quinze ans, des applications ont été envisagées pour des réseaux tout optique ou des antennes de télécommunications. « C’était l’euphorie des débuts. Mais la lumière lente pose des problèmes de distorsion inévitables. À part quelques applications de niches, cela reste une curiosité de laboratoire », affirme Luc Thévenaz, de l’EPFL, dont l’équipe ne travaille plus sur ce sujet. En revanche, le phénomène est utilisé pour des mémoires quantiques : la lumière, complètement stoppée dans le matériau, transfère son information aux atomes, lesquels peuvent la restituer quelques instants plus tard à l’identique (2). Cependant, l’implantation de ces mémoires dans des réseaux quantiques de grande taille va aussi prendre du temps. (1) L. Thévenaz, « Nous ralentissons la lumière dans une fibre optique », Les Dossiers de La Recherche n° 38, février 2010, p. 38.
(2) B. Gouraud et al., PRL, 114, 180503, 2015.